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Le printemps des bloggeuses

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 avril 2010                      Lien  
Pour que les femmes trouvent leur place dans le monde de la bande dessinée, il a fallu peut-être la conjonction entre l’émergence de l’autofiction impulsée ces dernières décennies et la magie de l’Internet où les bloggeuses peuvent entretenir un lien direct avec leur public.
Le printemps des bloggeuses
"Cadavre exquis" de Pénélope Bagieu
Ed. Gallimard - Coll. Bayou

Grâce à cette conjonction favorable, certaines d’entre elles ont pu passer au-dessus de la tête des éditeurs engoncés dans leurs habitudes machistes. L’exemple le plus éclatant est certainement celui de Pénélope Bagieu.

La longue histoire de Pénélope

La légende veut que ce soit un blog qui l’ait fait connaître. Mais auparavant, la jeune femme avait déjà en poche un diplôme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, avec une spécialisation dans l’animation et le multimédia, réalisé un court métrage d’animation passé sur Canal + nominé à Amiens et à Annecy et développé une sacrée expérience dans la publicité avec une campagne déclinée dans la presse, la télé et Internet.

Grâce à son Blog autobiographique Pénélope Jolicoeur (2007), l’éditeur Jean-Claude Gawsewitch la repère et la publie dans sa collection « tendance fille » avec son premier album, recueil de ses pages publiées sur Internet :Ma Vie est tout-à-fait passionnante (2008). Une version en livre de poche et deux autres volumes issus de pages publiées dans la presse magazine : Joséphine, suivront. Elle multiplie les contrats d’illustration pour First ou Micro Application/Femme actuelle et devient la coqueluche des médias. C’est l’ascension de la star des blogs. Elle en arrive même à signer une ligne de lingerie.

Elle publie ces jours-ci chez Gallimard dans Bayou, la collection de Joann Sfar, Cadavres exquis où elle s’applique à raconter pour la première fois une histoire longue racontant une intrigue amoureuse dans le milieu littéraire d’aujourd’hui. La vie y est source du roman et le roman, une raison de vivre. C’est délicieusement raconté, le trait est observé, à la fois profond et léger.

"Cadavre exquis" de Pénélope Bagieu
(c) Pénélope Bagieu / Gallimard

Les souvenirs de Madeleine

Les Madeleines de Mady par Madeleine Martin
Ed. Delcourt

Pas moins intéressant est le parcours de Madeleine Martin qui publie de façon contemporaine Les Madeleines de Mady chez Delcourt. Aucun parcours artistique : un Bac +5 avec du droit et de la communication. Sortie de l’université, elle se laisse envahir par son « à-côté passionnel », le dessin. Des rencontres l’amènent à faire de l’illustration et à tracer sa voie dans les arts appliqués : piges pour des magazines de graphisme, design pour des jeux vidéo, création dans des boîtes de pub. Mais elle trouve qu’elle tourne en rond artistiquement. Le Blog lui offre l’occasion de ses expérimentations graphiques et surtout d’envisager la narration, elle qui, jusqu’à présent, se cantonnait essentiellement dans l’illustration.

Elle croise David Chauvel, éditeur chez Delcourt, dans un salon de BD et lui envoie un lien. Le Blog séduit et l’éditeur lui propose de publier un livre.

Entre le Blog et l’imprimé, il y a une refonte complète et de nombreux bonus. « L’éditeur a eu un grand rôle de soutien, dit-elle. Il a restructuré l’ouvrage, m’a aidée dans ma sélection. C’était ma première expérience dans la BD donc, forcément, il m’a appris plein de choses…  »

Les Madeleines de Mady par Madeleine Martin
(c) Madeleine Martin & Ed. Delcourt

L’ouvrage fonctionne sur le principe du Daily Candy ou de la Madeleine de Proust : chaque petite note retient une anecdote agréable, furtive, qui fait sourire. Le dessin est sans façon ni chichi, mais incroyablement précis et juste.

Madeleine Martin - Photo : Roller / Ed. Delcourt

« Les Blogs ont répondu à une attente d’un public qui était jusque là insatisfaite jusqu’à ce que les Blogs de fille arrivent, cela me paraît évident, » analyse Madeleine Martin.

Cette proposition nouvelle se démarque aussi bien dans le ton que dans l’expression graphique. On ne sait si la tendance sera pérenne, mais elle est à coup sûr, le miroir du temps.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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16 Messages :
  • Le printemps des bloggeuses
    21 avril 2010 14:20, par la plume occulte

    En voilà un bel article qui enfile les lieux communs, les phrases toute faîtes et autres portes ouvertes.On parle ici de miroir de son temps,on y voit surtout la caricature d’un microcosme.Une caricature lénifiante que ce soit dans l’article, dans les ouvrages,ou les auteurs-heu..pardon !les auteures-chroniqués.Pas grave,personne n’est à l’abri d’un coup de fatigue...

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  • Le printemps des bloggeuses
    21 avril 2010 14:42, par Sergio Salma

    C’est effectivement très révélateur du temps que nous traversons. Mais je trouve qu’il est inutile d’insister sur le fait que les blogs de filles aient une quelconque prédominance. Il y a eu en même temps(et je crois bien même un peu avant, pardon de passer pour un macho sceptique) des dizaines de blogs tenus par des garçons, Frantico ou Boulet en tête.

    La reconnaissance ou le succès médiatique et commercial n’est quand même pas le seul critère. 2 remarques encore : les éditeurs (quelle formule absurde) ne sont pas spécialement réticents face aux femmes ; elles sont très nombreuses, de Dethan à Schipper en passant par Satrapi ou Marzena Sowa, scénaristes ou dessinatrices à travailler. La difficulté est la même pour tous, quel que soit le sexe : convaincre le partenaire de publier un livre quand 4000 autres sont lancés sur le marché.

    Ma dernière remarque qui vaut ce qu’elle vaut c’est la tendance de Bagieu par exemple. Les pages se structurent de plus en plus comme des pages de bandes dessinées classiques, il y a des contours de cases, des bulles, des décors(!), on se lance dans un découpage et un long récit, fini pour l’instant la petite note du jour sur la migraine ou la rencontre façon journal intime. Dans le fond et dans la forme, on vire vers la narration habituelle , le dessin se rapproche d’une certaine esthétique( Seth, Dupuy&Berbérian, Delisle, ...) On n’a plus devant les yeux une espèce de croquis mais une vraie volonté de planter un décor et des personnages.
    Arriveront dans la foulée, les personnages récurrents, l’aventure, les intrigues politico-financières ou ésotérico-guerrières ?

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 avril 2010 à  15:55 :

      Mais je trouve qu’il est inutile d’insister sur le fait que les blogs de filles aient une quelconque prédominance.

      Cher Sergio. Là n’est pas mon propos (je ne l’écris nulle part le mot "prédominance"). Nous avons là un phénomène, c’est tout. Et c’est sans doute tant mieux. Le fait est que dans la BD, les créatrices ne sont pas en majorité, ni même en parité. Les tendances récentes ont l’air de modifier la donne. C’est un constat, rien de plus.

      les éditeurs (quelle formule absurde) ne sont pas spécialement réticents face aux femmes ; elles sont très nombreuses, de Dethan à Schipper en passant par Satrapi ou Marzena Sowa, scénaristes ou dessinatrices à travailler. La difficulté est la même pour tous, quel que soit le sexe : convaincre le partenaire de publier un livre quand 4000 autres sont lancés sur le marché.

      Une simple question : combien d’éditrices pour combien d’éditeurs ? Combien de "patronnes" de maison d’édition ? Combien de chroniqueuses de BD ? Cela n’a rien d’une revendication, c’est encore une fois un constat. Les Japonais ont montré que le marché (mot absurde, lui aussi) avait tout à gagner à diversifier sa clientèle.

      Je constate aussi que sur la scène de la cérémonie des Prix d’Angoulême en janvier dernier, les femmes étaient plus visibles cette année ;)

      Ma dernière remarque qui vaut ce qu’elle vaut c’est la tendance de Bagieu par exemple. Les pages se structurent de plus en plus comme des pages de bandes dessinées classiques, il y a des contours de cases, des bulles, des décors(!), on se lance dans un découpage et un long récit, fini pour l’instant la petite note du jour sur la migraine ou la rencontre façon journal intime. Dans le fond et dans la forme, on vire vers la narration habituelle , le dessin se rapproche d’une certaine esthétique( Seth, Dupuy&Berbérian, Delisle, ...)

      Je rejoins tout à fait cette analyse.

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    • Répondu par Beatriz Capio le 21 avril 2010 à  18:29 :

      Ce qu’on peut noter -et regretter pour ma part- c’est que les femmes semblent surtout s’adresser aux femmes (et pas seulement chez les bloggeuses), comme les hommes se sont avant tout adressés aux hommes pendant des années (et continuent de le faire). Les petit(e)s bourgeois(es) parlent aux petit(e)s bourgeois(es), etc. Diversifiée sur le papier, la bande dessinée en se segmentant continue à tourner en rond, à s’enclaver.

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      • Répondu par la plume occulte le 21 avril 2010 à  20:06 :

        Ho que oui !!Sans compter qu’en plus, ce sont toujours les mêmes qui sont mis(es) en avant et qui reçoivent les prix:le franco -belge est en train de sérieusement s’enterrer actuellement.Le prix des albums,une volonté de "faire" luxe,la récupération de la BD par un certain public qui aime se croire être l’élite ;si on ajoute à cela tout ce qui a été énuméré plus haut:on court droit vers un embourgeoisement général de cet art donc les membres actifs semblent tout faire pour le couper de son public populaire.Dans les comics,ils payent encore cette grossière erreur.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 avril 2010 à  22:28 :

          Houlàlà, comme vos propos, chère plume au culte, sentent la rancœur et le règlement de compte avec son paquet d’amalgames et d’arguments d’autorité qui tournent en boucle. Discuter avec vous devient rapidement sans intérêt.

          En revanche, autant je trouve la remarque de Beatriz justifiée en termes généraux, autant elle se trompe ici. Le Pénélope Bagieu contient une bonne intrigue et un tableau des mœurs littéraires assez bien vu, tandis que les notations de Madeleine Martin sont d’agréables gammes de bonne humeur qui ne me donnaient pas l’impression de ne concerner qu’un public féminin.

          Bref, un peu de nuance ne ferait pas de tort.

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      • Répondu par Sergio Salma le 22 avril 2010 à  10:24 :

        Sans entrer dans un débat chiant, je ne crois pas que la bédé s’enclave . En tout cas , pas plus que d’habitude. Attention à ne pas ressentir ce qui est une évolution constante( depuis plus de 100 ans) avec notre propre vision, notre historique personnel , celui qui commence avec notre intérêt pour la chose.

        Il y a une mouvance perpétuelle et la segmentation est bien réelle depuis de nombreuses années. Il y a forcément une scission plus visible puisque le nombre de titres a quasiment été multiplié par 10 en environ 20 ans ! Si on reprend l’histoire de ces 30 dernières années, avec l’apparition justement de cette bande dessinée adulte( dans la francophonie et en Europe), les secteurs se sont lentement mais sûrement précisés( humour, jeunesse, fantastique, historique...) avec de nouveaux genres dernièrement ( ésotérique , les cycles, les sagas multi-auteurs , les métiers... ) pour arriver( c’est mon impression) à un partage très précis mais qui laisse justement bien des libertés.

        Qu’est-ce qui vous fait dire que la bande dessinée tourne en rond ? C’est étrange. Quand je vois les nouveautés de cette semaine, je suis au contraire épaté , je voudrais bien tout lire et l’auteur que je suis constate que le champ est immense , que tout est encore à explorer. On n’est bien sûr plus du tout , ou en tout cas plus très souvent dans l’expérimentation ou la recherche graphique et narrative, mais d’immenses auteurs sont en train de nous livrer un travail incroyable.

        Et ce dans les contraintes, les risques et le climat prétendument apocalyptique.

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        • Répondu par Beatriz Capio le 23 avril 2010 à  17:16 :

          Je ne voulais pas énoncer une vérité générale et absolue, mais souligner un mouvement circonscrit mais conséquent et (j’espère) circonstanciel à l’intérieur de l’afflux de femmes auteures. Si cette fois-ci Pénélope Bagieu s’est ouverte un peu (je te crois sur parole, je n’ai pas lu ce livre), on ne peut pas dire qu’elle se soit lancée à l’aventure dans des contrées perdues... le milieu littéraire parisien étant plus ou moins le sien... ce qui ne dévalue pas son travail automatiquement, entendons-nous bien. Posy Simmonds ne parle pas d’autre chose, et ses livres sont formidables !

          Ce qui me gêne plus précisément c’est le fait que les femmes commencent à faire de la bande dessinée (en nombre, disons) depuis que celle-ci est devenue (entre autres choses) nombriliste, et qu’elles se confinent souvent, ici comme ailleurs, aux champs de l’intime, du sentiment, du quotidien, des petits riens... Bref, elles sont globalement ce qu’on attend d’elles, et ça me chagrine un peu. Des auteurs comme Claire Brétécher, Nicole Claveloux, Chantal Montellier ou d’autres ont en leur temps ouvert des portes, explorer des formes, des thèmes nouveaux, tandis que les auteures d’aujourd’hui (dans leur ensemble, pas toutes) me semblent tenir position dans un petit pré carré fraîchement clotûré.

          Sergio, je vois bien que nous ne tomberons pas d’accord cette fois-ci : pour moi la segmentation, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, est toujours un enfermement (à moins de se jouer de la segmentation, comme le font Donjon ou Adèle Blanc-Sec par exemple). Est-ce que ce n’est pas en étant segmentée "pour enfants" que la bande dessinée a si longtemps stagné (dans sa forme, dans ses thèmes, etc) ?

          Mais bien sûr que la bande dessinée continue d’avancer, elle a temps de chemin devant elle ! Je ne voulais pas être moi-même apocalyptique ! Mais je pense qu’elle avance mieux, et va plus loin sans étiquettes.

          Maintenant, si on fait remonter la bande dessinée à la Tapisserie de Bayeux, elle a vraisemblablement été pratiquée par des femmes, bien avant Claire Brétécher ou Davine Velter... et affranchie de toutes catégories...

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          • Répondu par Oncle Francois le 23 avril 2010 à  20:26 :

            Bien d’accord avec vous, chère amie. Je dirai même plus : en dehors des thèmes traités, il y a parfois similitude de moyen de diffusion (les blogs pour se faire connaitre, puis passage chez les editeurs à l’affut des modes, delcourt par exemple), sans oublier une certaine similarité graphique des styles. Maintenant, toutes n’ont ni le style élégant de Penelope Bagieu, ni son humour. Je suis plutot old school comme on dit pour avoir l’air branché en utilisant deux mots d’anglais, donc je préfére les femmes à humour (ou à talent !)aux femmes à moustaches. arf arf arf !°

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          • Répondu par Sergio Salma le 23 avril 2010 à  23:00 :

            Je m’en veux d’en remettre une couche mais je peux pas m’empêcher.
            Non, Beatriz, pour le coup on ne sera pas d’accord parce que vous semblez penser que le cloisonnement d’un genre est castrateur alors que je pense exactement le contraire. Nous quittons donc le point de départ de la discussion ( les bandes dessinées d’auteures) mais en fait on y reste un peu aussi.

            Sans abonder avec la formule "l’art naît de la contrainte",je ne peux que réagir à votre vision. En restant ( pour faire simple) dans la bande dessinée franco-belge élargie de quelques autres nations ( l’Italie par exemple), le fait-même que des critiques ou autres observateurs( et trices) pensent que cet art a été "cantonné" prouve le malentendu. Franchement le schtroumpfissime n’est-il pas un chef-d’oeuvre absolu ? L’exemple est volontairement obtus (comme moi) mais je ne crois pas un seul instant que les artistes depuis 100 ans et plus se soient sentis à l’étroit. Ils se sont forgé un style à l’intérieur de ces obligations et contraintes et de là ont surgi Hergé et Franquin. Gênés aux entournures par la censure ? Ah bon. Non, je crois pas. En revanche, quand les années 60 ont tout chamboulé dans les têtes, il s’est passé effectivement quelque chose mais la grande majorité des auteurs (et surtout la grande majorité des succès) ont continué sur la même ligne.

            Je reste persuadé que cette impression d’un enfermement dans la bande dessinée jeunesse( celle qui semble la plus contrôlée de prime abord) vient de la frustration du lecteur et non de l’auteur. Un peu comme si un jour on se disait merde j’ai envie d’un truc trash, qui décoiffe, qui fait tout péter sur son passage. C’est une émotion de lecteur, de récepteur. Des centaines, des milliers d’auteurs , eux, même s’ils ont senti un vent agréable ou troublant , ont continué sur leurs bases. Je dirais , toujours pour schématiser et me faire bien comprendre que Franquin, toujours lui,a montré en traversant les 30 glorieuses et puis les 20 suivantes tout aussi lumineuses comment un auteur pouvait être influencé par l’air du temps( tout en étant un acteur de premier plan). De 46 à 76, il est un auteur-jeunesse de génie, maître incontesté et puis sa dépression , sa relation à son métier et à sa vie l’amènent doucement sur d’autres voies , très noires et adultes. Ce sera son parcours à lui. Moebius autre géant ira dans le même sens même si lui maîtrisera avec calme un retour et des allées et venues entre sa carrière et ses expériences.

            La segmentation est anecdotique pour un auteur. Enfin je crois. Lui, de toute façon, il est dans son monde et il doit trouver un partenaire qui s’occupera de lui , il s’en fout de savoir s’il entre dans une collection ou une autre. Le spectre est autrement plus large qu’on ne croit dans ce qu’on considère comme un carcan.

            Pour prendre un autre exemple caricatural, les séries télé US ne sont-elles pas nées dans ce même "enfermement" ? C’est aussi un art qui naît de la contrainte, le format est toujours le même , le canevas serré, les personnages calibrés. Et vous voyez bien dans quelle fantaisie on est amenés en tant que spectateurs. Une série comme Friends, c’est 6 amis , un appartement et la vie quotidienne. Les scénaristes et les auteurs qui y ont travaillé 10 saisons ont été amenés à se fondre dans le principe, adopter un timing, suivre une bible, respecter des données à la lettre. Pour un auteur ( version franco-française ) cet asservissement est un avilissement. Il sera payé comme un employé, aura des horaires, des vacances à dates fixes et les contrats publicitaires seront à la table des négociations. ça fait partie du jeu. Est-ce une contrainte ? Oui certainement mais cet état de fait a permis d’accoucher de centaines de perles.

            Le format du 44 pages couleurs n’a-t-il pas permis à des dizaines de livres d’entrer dans l’inconscient collectif, je ne citerai personne on les connaît tous par coeur ces bouquins.

            Donc dire que la bande dessinée en évitant ces cloisonnements résoudrait certains problèmes c’est carrément pour moi inverser l’équation. C’est justement quand on laisse trop de "libertés" à l’auteur que celui-ci sera enclin à se laisser aller à des fainéantises tout à fait humaines. Si certains jamais n’accepteront d’être formatés, j’ai plutôt la nette impression que la plupart cherchent la sécurité. Une série( mot encore tabou il y a 15 ans) permet à l’auteur d’approfondir son univers. Autant on a pensé pendant des années que la série était le symbole de l’emprisonnement, autant au contraire , elle donnait la possibilité d’enrichir continuellement un univers.

            Des auteurs comme Bilal ou Hislaire n’ont-ils pas donné une nouvelle définition de la série ? Idem pour Schuiten & Peeters et Tardi que vous citez judicieusement. Watterson et avant lui Schultz étaient contraints par le format et le support . Résultat : feu d’artifice d’intelligence. 10 ans pour le premier 50 pour l’ancien !
            On voit aujourd’hui une série comme "Seuls" , on est dans le tous-publics( qui est un drôle de secteur très mouvant, très mystérieux) et les auteurs jouent perpétuellement avec ces données et ces limites. Et la force naît de cette jubilation , ça se sent.

            L’environnement est anecdotique pour un auteur. Qu’il soit cinéaste, peintre, écrivain, musicien, le monde est toujours hostile et contraignant. Il va inventer un code personnel de conduite et de là surgira son art. Un gars comme Biolay naît avec la génération Starac, il est personnel, intelligent et crée un œuvre ultra-personnelle pourtant le monde de la musique traverse aussi sa pire crise depuis Mireille Mathieu ! Les 4000 bandes dessinées qui sortent sont subdivisées en une trentaine de genres( faudrait faire l’inventaire) et puis ces 30 genres c’est pas tous les auteurs. Il y a tous les autres qui n’entrent dans aucune école (Frédéric Peeters, Prudhomme...)Ces "hors-genre" sont aussi un genre . Et alors ? A chaque fois que j’ai des bouquins en mains, j’oublie vite le format ( 44cc ou 300 pages bichro), personnages récurrents , série ou au contraire one-shot pur et dur, c’est la substance qui m’intéressera. De Dave McKean à Bravo en passant par Yann ou Dodier, chacun travaille dans un cadre limité et puis pourtant ils sont au top !

            Attention, il y a effectivement des dérives. Et je considère qu’il y a malheureusement trop de bandes dessinées ...d’éditeur ! C’est quoi une bande dessinée d’éditeur ?! C’est une bande dessinée où l’auteur est interchangeable et interchangé. C’est une bande dessinée qui a pris en compte un peu trop généreusement l’avis du marché. Ce marché qui pourtant est un idiot. Mais qui pourtant aussi arrive à dicter ses lois tant qu’en face on ne lui oppose pas d’autres règles de conduite. Ce n’est pas contrairement à ce qu’on pourrait croire une déchéance, une déviance. C’est plutôt une panique générale qui imprime une direction et souvent quand il y a panique, on court un peu dans tous les sens. Je dirais pour tempérer mon doute sur ces objets-là que parfois même cette situation paradoxale ( l’éditeur trouve l’idée et engage des auteurs ou bien plus pervers, un auteur trouve une idée d’éditeur et la lui vend !) peut faire naître de bonnes surprises, on le disait plus haut "après tout l’environnement est anecdotique pour un auteur". S’il doit créer quelque chose de bien , il le fera malgré les conditions qui l’encadrent.

            Beaucoup d’auteurs souffrent en travaillant. Mais je ne crois pas que ce soit le cahier des charges de l’éditeur avec lequel ils travaillent qui en soit la cause. Je dirais même que ces données et les frontières qui vont avec offrent un sentiment de sécurité. Les limites sont généralement et instinctivement difficiles à assimiler mais dès qu’elles le sont, elles deviennent indispensables.

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            • Répondu par Beatriz Capio le 26 avril 2010 à  11:26 :

              Je ne voulais pas seulement parler de contraintes techniques ou éditoriales imposées aux auteurs (personne n’a obligé Pénélope Bagieu à travailler de cette manière, il me semble même qu’elle évoquait un moment dans sa carrière où on lui reprochait le côté trop "girly" de son travail). Je souscris à l’ensemble de ce que vous dites à propos de la contrainte (souvent stimulante) et de la liberté créative (parfois asphyxiante).

              Je parlais surtout d’un enfermement de la perception. Bien souvent, on (=les lecteurs, les prescripteurs, les éditeurs, les libraires) enferme des oeuvres dans des cases sans qu’elles y rentrent tout à fait. C’est ce qui me fait regretter l’engouffrement de certain(es) dans des cases très étroites (format blog sur le thème de la vie quotidienne/sentimentale des petites bourgeoises parisiennes, par exemple), excluantes à plus ou moins court terme. D’ailleurs, Bagieu elle-même semble élargir (un chouïa) son horizon avec Cadavre Exquis.

              Ce qui a enfermé la bande dessinée, ce n’est pas le fait qu’elle ait été réservée aux enfants, c’est le fait qu’on l’ai perçue comme telle, même longtemps après qu’elle ait produit des récits s’adressant à un public plus large ou plus adulte (dès les années 20 en Europe avec Frans Masereel, par exemple). Au point qu’on a pas perçu certains travaux (parfois majeurs) comme étant de la bande dessinée.

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  • des éditeurs engoncés dans leurs habitudes machistes ?
    22 avril 2010 22:41, par Oncle Francois

    Ah bon ? Parce qu’il y a du sexisme chez les éditeurs BD ? C’est nouveau ça, moi je croyais surtout qu’il y avait peu de dessinatrices de BD. Que faites vous de Davine Velter (dessinatrice de Spirou), de Liliane Funcken, de Claire Brétécher, Montellier, Claveloux, Goetzinger, Hélène Bruller et compagnie ? Il y eut la revue Ah nana (vers 1980) entiérement réalisée par des femmes. Il y eut aussi l’excellente scénariste Laurence Harlé, une dessinatrice chez bazooka (Olivia Clavel) et tant d’autres que j’oublie (pardon mesdames !).

    Aujourd’hui il y a effectivement une vogue du blog Bd féminin, mais bon, pour une Bagieu, combien d’imitatrices ?

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    • Répondu par Raph le 24 avril 2010 à  20:08 :

      Quitte à citer les grands auteurs, Molière aurait mieux convenu tant notre époque est truffée de tartuffes et regorgent de trissotins.
      S’il suffit de citer le nom de Proust pour faire littéraire et de remplacer l’émotion récurrente créée par le léger dénivellé d’une marche par des chutes en cascades ponctuées par des ouille et des aïe, alors tout le monde peut faire littéraire. Faudrait arrêter de se pousser du col les amis. Bravo pour le trait juste et intelligent de Madeleine Martin, mais tout ça reste un peu léger (je n’ai pas dit frivole).
      La critique est facile et il y a peut-être là des pistes intéressantes prises par des gens de talent. Toutefois, quand on sort du dernier Ferry comme c’est mon cas, on a du mal à redescendre au ras des pâquerettes avec des petits blogs riquiqui bon chic bon genre.

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      • Répondu par Rosse le 24 avril 2010 à  23:37 :

        Il existe une grande dessinatrice suédoise, Nina Hemmingson, qui est le contrepied absolu de ce que l’on peut voir et lire sur ces blogs. L’anthitèse, et d’une cruauté saine et absolument meurtrière. Et elle fait un tabac en ce moment en Scandinavie. Ses suites de dialogues psychotiques ont été adaptés au théatre dans une pièce se nommant "Jag är din flickvän nu" (cad, "Je suis ta petite amie maintenant") Venant de Nina Hemmingson cela semble être le plus pur cauchemar auquel un homme puisse être confronté ! Outrageant, drôle, revigorant en diable et finalement très vengeur... quel que soit le sexe auquel on appartienne.

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      • Répondu par Alain Perfide le 25 avril 2010 à  18:49 :

        Toutefois, quand on sort du dernier Ferry comme c’est mon cas...

        Le dernier Ferry ? "La Cité Engloutie" ?

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        • Répondu par Raph le 26 avril 2010 à  18:31 :

          ni l’un ni l’autre et ni le ferry corse ... mais le Ferri qui a les pieds bien sur terre.. le Ferri bucolique, drôlatique et profond.
          (sans coup férir, je pars me cacher )

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