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Le scandale Jacobs

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 septembre 2017                      Lien  
Dans une passionnante enquête, Daniel Couvreur, dans le quotidien belge Le Soir, révèle l’incroyable imbroglio dont a fait l’objet l’héritage d’Edgar Pierre Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer, mort sans enfant et dont le patrimoine qui devait être préservé dans une fondation se retrouve partiellement dispersé dans des circonstances mystérieuses.

Dans Le Cousin Pons (1847), Honoré de Balzac décrit la figure d’un original, Sylvain Pons, vivant dans une pauvreté sordide mais dont la seule raison de vivre est une collection qu’il accumule et dissimule d’une façon paranoïaque. À l’article de sa mort, une noria de profiteurs s’intéresse de près à cette collection dont on découvre qu’elle vaut une fortune : cousins éloignés, logeuse, brocanteurs, collectionneurs vont mettre en place un véritable complot pour capter l’héritage.

Rien n’a changé depuis Balzac. Ici, l’histoire commence par un auteur de bande dessinée de 82 ans qui a perdu son épouse et dont la création, l’équivalent d’une dizaine d’albums, figure parmi les classiques absolus de la bande dessinée belge.

« Blake et Mortimer victime du casse du siècle », titre le premier article du Soir qui en raconte le récit. On nous y explique qu’Edgar Pierre Jacobs avait, comme à l’habitude, tout prévu. Une fondation devait préserver les originaux afin de pérenniser l’œuvre. Un « Studio Jacobs » était chargé de la prolonger avec de nouveaux auteurs. 20% des revenus du studio venaient financer la Fondation. Un nouveau label, les éditions Blake et Mortimer, étaient chargés de publier les titres à l’expiration de leur contrat au Lombard, lesquels étaient échus au bout de trente ans. En quelques années, l’auteur récupérait toute l’œuvre. Tout cela était acté dans un testament devant notaire en 1986. Pour le mettre en œuvre, Jacobs s’appuie sur des amis plus ou moins proches, parmi lesquels des admirateurs pas toujours désintéressés.

Le scandale Jacobs
Cette planche mythique, extraite de "La Marque jaune", ne figure heureusement pas dans une collection particulière. Elle appartient au Musée des Beaux-Arts de Liège qui l’avait acquise auprès de l’auteur.
© Éditions Blake & Mortimer

Suivez mon regard...

Nous vous passons les différentes péripéties qui, à elles seules, mériteraient une dizaine d’articles. Mais toujours est-il que ces quinze dernières années, selon Le Soir, près 200 planches originales, normalement inaliénables, se sont retrouvées sur le marché, dans des ventes publiques ou en vente de gré à gré. Comment est-ce possible ? Tous les regards se tournent vers Philippe Biermé, son « fils spirituel », à la fois président de la Fondation et gérant du Studio Jacobs qui a mis la Fondation en liquidation.

Biermé invoque l’absence d’inventaire et, ce qui est plus troublant encore, le délai de prescription. Le journal Le Soir le montre à côté de sa Rolls tandis qu’il explique que ses parts dans les Editions Blake et Mortimer et le Studio Jacobs (tous deux vendus à Média-Participations) lui permettaient de se payer ce caprice. Il se défend de toute manœuvre frauduleuse. On veut bien le croire…

Le deuxième article, intitulé « Blake et Mortimer, le jackpot des marchands d’art » s’intéresse au circuit de ces œuvres. Certaines sont vendues de gré à gré, d’autres en vente publique, à des prix qui vont de 70 000 à 220 000 €. Tous ces marchands affirment que la source était régulière, qu’ils disposent de factures et même dans certains cas de certificats d’authenticité signés… Philippe Biermé !

Philippe Biermé et sa Rolls
Extrait du journal Le Soir

Marchands et collectionneurs

Le troisième article s’intitule « Blake et Mortimer aux mains des collectionneurs » et s’intéresse à ceux qui achètent ces œuvres pour des fortunes. Il y a ce Français qui habite Hong Kong, des collectionneurs français et belges. Ils ont réussi à obtenir des pièces, parfois les plus iconiques. Ces passionnés, véritables conservateurs du patrimoine, se récrient quand on leur évoque l’origine douteuse. La notion de recel implique que l’on connaisse le caractère illicite de la provenance de l’œuvre. Ils plaident la bonne foi, avancent les factures et rappellent qu’en droit, en matière d’œuvre d’art, « possession vaut titre ».

Enfin, pour ajouter à la litanie de malheurs qui accable le patrimoine de l’auteur belge, le dernier article intitulé « Blake et Mortimer contre les faussaires » signale le nombre croissant de faux Jacobs sur le marché dont la qualité de la reproduction est digne d’un Van Megeren…

Partie de bras de fer

Peut-être pour se protéger, Philippe Biermé a créé une nouvelle Fondation Jacobs où se loge le reste du patrimoine et en a confié la gestion à... Nick Rodwell, le sémillant patron de Moulinsart ! L’affaire donne des hauts le cœur du côté des éditeurs de Blake et Mortimer et il semble bien qu’une partie de bras de fer pourrait s’ensuivre entre les deux protagonistes. En attendant, personne, à ce jour n’a porté plainte en ce qui concerne la curieuse gestion de l’héritage de l’ermite du Bois des pauvres.

Que penser de tout ce mic-mac ? Pas grand chose. Que décidément, les mœurs du temps de Balzac ne sont pas révolus, en dépit des prétendues avancées de la modernité. Et de conclure benoîtement, en historien, qu’il y a une preuve de plus que la bande dessinée est vraiment devenue un art, avec ses travers et, heureusement, ses splendeurs.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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✏️ Edgar P. Jacobs
 
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