Hier soir, c’était la fête pour la sortie du nouvel Astérix. Une soirée pour « happy fews » réservée au personnel d’Hachette, aux proches des auteurs et des ayants droits et à quelques médias privilégiés. L’humeur était au champagne, mais l’attaché de presse des éditions Albert-René maugréait. Un mauvais papier dans Libé titré « Pourquoi on se contrefout d’Astérix » le chagrinait. Amusante aporie, cela dit : voici un quotidien qui ne peut pas passer à côté d’un tel événement et qui se contrefiche de l’événement… Comme dit un certain renard gascon :
« Le galand en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
"Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. "
Fit-il pas mieux que de se plaindre ? »
Nous, on est des fans, on ne se contrefout pas d’Astérix et nous avons même trouvé dix bonnes raisons pour trouver le dernier album plutôt réussi, et sans doute le meilleur à date du duo Jean-Yves Ferri - Didier Conrad. Ces dix raisons les voici :
1. Une relecture iconoclaste de l’histoire. On connaît tous cette scène fondatrice de l’histoire du Gaulois de Goscinny et d’Uderzo : celle où Vercingétorix dépose les armes sur les pieds d’un César qui s’exclame : « Ouap ». Les créateurs de la série déconstruisaient ainsi une figure historique fabriquée par le Second Empire et la IIIe République qui voyaient en Vercingétorix le symbole d’une résistance face à l’ennemi. Ferri & Conrad surfent sur cette icône initiale pour construire leur histoire. Vercingétorix aurait-il eu une fille ? Personne ne peut affirmer le contraire.
2. Une floppée de nouveaux personnages. Un album réussi d’Astérix est souvent celui qui arrive à construire son récit autour de ses personnages. Au fil des histoires, la famille s’est agrandie, et l’univers s’est enrichi. Ferri en invente une demi-douzaine de nouveaux dans cet album dont les plus réussis sont sans conteste Adrénaline, la petite ado rebelle qui mène le récit comme un chef et le maître-espion Adictosérix et son cheval Nosferatus.
3. Une bonne caractérisation. Ferri a cette fois trouvé la potion magique. Jamais sa caractérisation n’a été aussi réussie : les ados du village (oui,, oui, il y en a…), les chefs arvernes et leur accent chuintant, le petit Goth musicien Ludwikgamadéus… Mention spéciale pour la caricature de de la personnalité, un autre passage obligé des aventures d’Astérix, consacrée à Charles Aznavour, décédé au moment de la réalisation de l’album.
4. Un album truffé de jeux de mots. Ferri s’en est donné à cœur joie de la « montée d’Adrénaline » sur le mât du navire des pirates jusqu’à la suppression du poste de Baba, Ferri a retrouvé la rythmique de Goscinny inspirée du cinéma d’animation américain : un gag par seconde. Et vraiment, ici, le lecteur en a pour son content.
5. Un storytelling fluide. Ferri ne reproduit pas ici l’erreur d’Astérix chez les Pictes où l’argument initial se perdait un peu ensuite dans le fil d’un récit confus. Un scénario d’Astérix est une mécanique fine : il faut que cela tourne autour des personnages principaux avec une série de rendez-vous obligés : la potion magique, la confrontation avec les Romains, éventuellement les pirates jusqu’au banquet final. C’est d’une difficulté crasse : allez raconter une histoire dans cet écheveau de contraintes ! Ici, l’histoire est parfaitement fluide, jamais ennuyeuse et trouve sa résolution avec beaucoup de naturel. Quasiment un sans-faute.
6. Un bon usage des gags récurrents. Astérix est une série très référentielle, en particulier à elle-même en raison de ses gags récurrents. Ils sont ici utilisés avec beaucoup d’intelligence qui creusent à chaque fois la caractérisation des personnages principaux. On peut prendre comme exemple le banquet final où Assurancetourix se retrouve ligoté dans des circonstances inédites ou encore cette séquence où César se soigne des blessures aux pieds occasionnées par la déposition des armes du général gaulois.
7. Des rendez-vous réussis. La technique des running gags est elle-aussi désormais bien au point. Le cri de guerre des Arvernes donne lieu à des moments réjouissants et la rencontre entre Adrénaline et les sempiternels pirates est un des incontournables de cet album. Tout cela coule avec naturel (ce n’est pas l’équipage du bateau pirate qui me contredira) sans que l’on ait l’impression d’un exercice obligé.
8. Des gags dans l’air du temps. Astérix, on le répète pas assez, n’est pas un cours d’histoire. C’est une parodie du passé vue à travers le prisme du temps présent. La petite Adrénaline est vegan, très « peace and love » et profondément écoresponsable : elle râle notamment contre la surconsommation des sangliers. Rien à voir avec la petite Greta Thurnberg : l’album a été dessiné avant qu’elle apparaisse dans les radars des médias. Même Emmanuel Macron est évoqué au détour d’une fine allusion.
9. Un dessin respectueux et fidèle. Celui sur qui pèse le plus gros des contraintes est sans aucun doute Didier Conrad. Il endosse, en reprenant le dessin d’Uderzo, un costume qui n’est pas le sien et qui n’a pas été vraiment conçu pour être du « prêt-à-porter ». Il n’est pas au même niveau de lisibilité que son modèle mais une fois entré dans l’album, on se laisse emporter dans le dessin sans que l’on se dise : « - Tiens, je ne reconnais pas ce personnage ! » Là aussi, c’est quasiment un sans-faute.
10. Une collection de cases et de phrases-cultes. Ce que l’on aime dans Astérix c’est de retenir quelques images et quelques dialogues qui, avec le temps, constituent sa légende. Gageons que certaines expressions comme « - La violence ne sert à rien » et sa réplique obélixienne « - ça sert à rien mais ça détend ! », « la potion rend obèse » ou encore « Forts comme l’auroch… Dichcrets comme la taupe » resteront au Panthéon des bons albums d’Astérix.
L’argumentation systématique contre les reprises revient régulièrement comme un prurit saisonnier. On a beau avancer que cela tient au génie des repreneurs : Jijé, André Franquin et Émile Bravo avec Spirou, Carl Barks ou Cavazzano dans l’univers Disney, ont plutôt rayonné dans l’exercice, rien n’y fait. On peut presque dire que cela fait partie du folklore. Lequel peut aussi être une partie de plaisir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos ; D. Pasamonik (L’Agence BD)
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