Mitteï, de son vrai nom Jean Mariette, est sans doute l’un des auteurs de Tintin comme de Spirou les plus injustement tombés dans l’oubli. Décoriste entre autres de Walthéry, Tibet et Cuvelier, il tint ses propres séries, eut comme assistants de petits jeunes tels que Dany, Marc Hardy ou Seron, réalisa bien des albums scénarisés par son ami Greg, fut à l’initiative des Meilleurs Récits du Journal de Spirou dont il fut le principal fournisseur avec notamment l’adaptation en bande dessinée des Lettres de Mon Moulin. Il scénarisa également les séries Modeste et Pompon et Les Petits Hommes sous le pseudonyme d’Hao, et même quelques gags de Boule et Bill et de Gaston Lagaffe, etc.
C’est avec un souci bien légitime de l’honorer que BD Must a décidé de remettre au goût du jour l’une des séries qui était au top 5 du référendum du Journal Tintin dans les années 1960 : Les 3 A. Les lecteurs suivaient avec intérêt les enquêtes de trois jeunes scouts de France au cœur d’intrigues policières : André le sportif fonceur, Alain l’intellectuel et Aldebert le jeune paresseux et contestataire. Derrière ce pitch aussi simple qu’efficace se cachait la fine équipe déjà aux commandes de Ric Hochet : les personnages des 3 A étaient dessinés et encrés par Tibet, tandis que Mittéï s’occupait des décors, et que le scénario était confié à ce spécialiste de l’intrigue qu’était André-Paul Duchâteau, camouflé derrière l’un de ses pseudonymes : Michel Vasseur.
Dans une lettre manuscrite publiée dans le dossier de Gilles Ratier, introduction à cet album, Duchâteau explique qu’il a bien été scout, mais uniquement une année, juste avant-guerre. En effet, si les intrigues des 3 A reprennent souvent des bonnes actions ou des jeux scouts (jeu de piste, jeu de nuit, morse, etc.), le lecteur profite surtout d’une alternance de vraies séries policières dont les intrigues auraient pu trouver leur place dans Ric Hochet, ainsi que de récits plus aventureux et pleines d’action.
Ce parallèle avec Ric Hochet est amplifié par des thématiques qui se font écho d’une série à l’autre. Est-ce le fait de réutiliser les ressorts scénaristiques, ou de profiter de la documentation déjà amassée pour une scène de l’autre série ? Nous notons en effet des réminiscences dans certaines aventures tels que l’hélicoptère de L’Épreuve de feu et de L’Ombre du Caméléon, les décors du Mage de Castelmont et les fonds sous-marins d’Abordage à Bonifacio qui rappellent Mystère à Porquerolles, les bateaux des Naufrageurs de la brume qui part sur une base du yacht de Défi à Ric Hochet, etc. Une belle façon de relire ces aventures grâce à ces points de comparaison.
Une édition en intégrale
Fidèle à son habitude, l’éditeur BD Must a choisi de rendre hommage à Mitteï en publiant d’un bloc la totalité des aventures des 3 A. En effet, comme cela avait le cas pour bien des séries de l’âge d’or, telles que Le Chevalier Blanc ou Jari, les aventures des 3 A avaient été partiellement éditées en albums au Lombard au sein de la peu qualitative collection Vedette avant d’être partiellement remise en avant par Bedescope (1979) et Récréabull dans les années 1980. Sébastien Thinnes nous avait précédemment expliqué le crédo de BD Must :
« Nous voulons effectivement proposer la globalité de la série, mais nous retravaillons aussi les couleurs, parfois en les recolorisant complètement lorsque les originaux étaient seulement en noir et blanc. Nous voulons apporter un plus à ces séries. En recherchant par exemple les récits courts et autres éléments rares, et en réalisant parfois ce travail de restauration pour la totalité de l’œuvre. Nous voulons donner l’assurance au lecteur qu’il aura alors l’intégralité de la série, avec tout ce qu’il pourrait rechercher, y compris des dossiers spéciaux réalisés par des grands spécialistes de la bande dessinée, comme Gilles Ratier. »
Pour chaque album cartonné proposé par BD Must, la couverture a parfois été refaite, ainsi que les couleurs, afin de procurer un maximum de plaisir de lecture, en hommage au récit initial. Un ex-libris est également collé en face de chaque page de titre avec la cote de l’intégrale limité à mille exemplaires. Jean-Michel Boxus, l’éditeur de BD Must, nous a expliqué quel travail de restauration il a réalisé pour cette intégrale :
« Concernant les couleurs, je suis reparti des jeux de films qui étaient dans les archives du Lombard. Ceux-ci ont été numérisés, puis ensuite j’ai personnellement fait un gros travail de correction. En règle générale, la numérisation des vieux films donne une teinte qui vire trop vers le rouge magenta : les bruns deviennent violets, etc… C’est ce qui me dérange le plus dans d’autres intégrales de la même époque : on pourrait faire beaucoup mieux en corrigeant la numérisation des vieux films. Certaines couleurs de paysages ou de prairie sont aujourd’hui choquantes par rapport aux couleurs d’époque... »
« Bref, il faut parfois les corriger planche par planche, voir case par case. D’un autre côté, certaines teintes originales des albums d’époque me dérangeaient également , comme au début de L’Épreuve de feu où la couleur des collines n’était pas très naturelle. Après, c’est un équilibre entre le temps investi dans cette correction et ce qui demeure acceptable. J’anticipe aussi le fait que le papier mat va boire l’encre et foncer les teintes. »
« Pour les couvertures, mon coloriste a refait totalement celles des tomes 1, 2, 3 et 5. Nous sommes repartis des couvertures des fascicules Tintin et pas des albums ; je trouvais que ces dernières présentaient plus d’impact que les couvertures des albums du Lombard. Enfin, concernant les couvertures des tomes 4, 6 et 8, j’ai moi-même refait les couleurs depuis les films couleurs numérisés. »
Un travail patrimonial
Les neuf albums de ce pack décliné à différents niveaux reprennent donc les huit aventures de 30 pages des 3 A. Le neuvième album propose un récit inédit en album ainsi qu’un passionnant et copieux dossier réalisé par Gilles Ratier. Ce dossier rend bien entendu hommage à la série elle-même, en expliquant comment Les 3 A sont nés d’un changement d’orientation graphique de Mitteï, déçu que ses autres bandes ne rencontraient pas le succès escompté. Mais comme la difficulté à réaliser les personnages demeurait, Tibet les a d’abord crayonnés, avant de les peaufiner, puis finalement de les encrer directement pour que cela aille plus vite. C’est ainsi que le trio de Ric Hochet se retrouva à animer de la même façon deux des trois séries du Journal Tintin les plus plébiscitées à l’époque.
À grand renfort de témoignages, de citations et de documents d’époque, le passionnant dossier de Gilles Ratier revient en détail sur ce travail d’équipe, mais également sur les différentes raisons qui ont fait stopper net cette collaboration : un manque de reconnaissance public ressenti par Mitteï, mais également une volonté du rédacteur-en-chef d’augmenter le nombre de Ric Hochet aux dépens des 3A.
Gilles Ratier contextualise également la série dans le thème du scoutisme dans bande dessinée. Son dossier, qui compte une vingtaine de pages dans le dernier album de cette intégrale, revient enfin et surtout sur l’étonnante et diversifiée carrière de Mitteï, en lui rendant un meilleur hommage que le court paragraphe introductif de cet article. L’occasion de revisiter plusieurs dizaines d’années de production franco-belge par le biais du parcours de cet auteur trop souvent resté dans l’ombre.
Jean-Michel Boxus nous promet d’autres pépites du même accabit : « Il y aura bientôt les trois tomes de la Trilogie des Flandres de Bob De Moor, et nous préparons également les 5 Oncle Zigomar de Bob De Moor qui paraîtront pour la première fois en français (ils étaient parus uniquement en néerlandais). » On trépigne d’impatience.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Acheter cette intégrale :
dans sa version standard limitée à mille exemplaires
dans son coffret collector
dans son coffret collector 3A accompagné d’un fac-similé signé par Duchâteau
A propos des intégrales de BD Must, lire nos autres articles consacré à ce sujet :
Enfin une intégrale respectueuse du Chevalier Blanc de L. & F. Funcken
Jari, figure cardinale du tennis en bande dessinée
Sébastien Thinnes : « Le credo de BD Must est de publier ce que nous aimons, tout simplement. »
Participez à la discussion