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"Les 3 A", pépite des Sixties signée Tibet, Mitteï & Duchâteau

Par Charles-Louis Detournay le 12 avril 2016                      Lien  
Parallèlement à "Ric Hochet", Tibet, assisté par Mittéi, et le scénariste André-Paul Duchâteau vont réaliser pendant cinq ans une série qui fut plébiscitée par les lecteurs du Journal Tintin, mais qui ne connut pas vraiment les joies d'une édition constante à l'époque. Heureusement, BD Must l'a retravaillée afin de rendre hommage à un auteur souvent resté dans l'ombre : Mitteï.

Mitteï, de son vrai nom Jean Mariette, est sans doute l’un des auteurs de Tintin comme de Spirou les plus injustement tombés dans l’oubli. Décoriste entre autres de Walthéry, Tibet et Cuvelier, il tint ses propres séries, eut comme assistants de petits jeunes tels que Dany, Marc Hardy ou Seron, réalisa bien des albums scénarisés par son ami Greg, fut à l’initiative des Meilleurs Récits du Journal de Spirou dont il fut le principal fournisseur avec notamment l’adaptation en bande dessinée des Lettres de Mon Moulin. Il scénarisa également les séries Modeste et Pompon et Les Petits Hommes sous le pseudonyme d’Hao, et même quelques gags de Boule et Bill et de Gaston Lagaffe, etc.

C’est avec un souci bien légitime de l’honorer que BD Must a décidé de remettre au goût du jour l’une des séries qui était au top 5 du référendum du Journal Tintin dans les années 1960 : Les 3 A. Les lecteurs suivaient avec intérêt les enquêtes de trois jeunes scouts de France au cœur d’intrigues policières : André le sportif fonceur, Alain l’intellectuel et Aldebert le jeune paresseux et contestataire. Derrière ce pitch aussi simple qu’efficace se cachait la fine équipe déjà aux commandes de Ric Hochet : les personnages des 3 A étaient dessinés et encrés par Tibet, tandis que Mittéï s’occupait des décors, et que le scénario était confié à ce spécialiste de l’intrigue qu’était André-Paul Duchâteau, camouflé derrière l’un de ses pseudonymes : Michel Vasseur.

"Les 3 A", pépite des Sixties signée Tibet, Mitteï & Duchâteau

Dans une lettre manuscrite publiée dans le dossier de Gilles Ratier, introduction à cet album, Duchâteau explique qu’il a bien été scout, mais uniquement une année, juste avant-guerre. En effet, si les intrigues des 3 A reprennent souvent des bonnes actions ou des jeux scouts (jeu de piste, jeu de nuit, morse, etc.), le lecteur profite surtout d’une alternance de vraies séries policières dont les intrigues auraient pu trouver leur place dans Ric Hochet, ainsi que de récits plus aventureux et pleines d’action.

Ce parallèle avec Ric Hochet est amplifié par des thématiques qui se font écho d’une série à l’autre. Est-ce le fait de réutiliser les ressorts scénaristiques, ou de profiter de la documentation déjà amassée pour une scène de l’autre série ? Nous notons en effet des réminiscences dans certaines aventures tels que l’hélicoptère de L’Épreuve de feu et de L’Ombre du Caméléon, les décors du Mage de Castelmont et les fonds sous-marins d’Abordage à Bonifacio qui rappellent Mystère à Porquerolles, les bateaux des Naufrageurs de la brume qui part sur une base du yacht de Défi à Ric Hochet, etc. Une belle façon de relire ces aventures grâce à ces points de comparaison.

Une édition en intégrale

Fidèle à son habitude, l’éditeur BD Must a choisi de rendre hommage à Mitteï en publiant d’un bloc la totalité des aventures des 3 A. En effet, comme cela avait le cas pour bien des séries de l’âge d’or, telles que Le Chevalier Blanc ou Jari, les aventures des 3 A avaient été partiellement éditées en albums au Lombard au sein de la peu qualitative collection Vedette avant d’être partiellement remise en avant par Bedescope (1979) et Récréabull dans les années 1980. Sébastien Thinnes nous avait précédemment expliqué le crédo de BD Must :

« Nous voulons effectivement proposer la globalité de la série, mais nous retravaillons aussi les couleurs, parfois en les recolorisant complètement lorsque les originaux étaient seulement en noir et blanc. Nous voulons apporter un plus à ces séries. En recherchant par exemple les récits courts et autres éléments rares, et en réalisant parfois ce travail de restauration pour la totalité de l’œuvre. Nous voulons donner l’assurance au lecteur qu’il aura alors l’intégralité de la série, avec tout ce qu’il pourrait rechercher, y compris des dossiers spéciaux réalisés par des grands spécialistes de la bande dessinée, comme Gilles Ratier. »

Pour chaque album cartonné proposé par BD Must, la couverture a parfois été refaite, ainsi que les couleurs, afin de procurer un maximum de plaisir de lecture, en hommage au récit initial. Un ex-libris est également collé en face de chaque page de titre avec la cote de l’intégrale limité à mille exemplaires. Jean-Michel Boxus, l’éditeur de BD Must, nous a expliqué quel travail de restauration il a réalisé pour cette intégrale :
« Concernant les couleurs, je suis reparti des jeux de films qui étaient dans les archives du Lombard. Ceux-ci ont été numérisés, puis ensuite j’ai personnellement fait un gros travail de correction. En règle générale, la numérisation des vieux films donne une teinte qui vire trop vers le rouge magenta : les bruns deviennent violets, etc… C’est ce qui me dérange le plus dans d’autres intégrales de la même époque : on pourrait faire beaucoup mieux en corrigeant la numérisation des vieux films. Certaines couleurs de paysages ou de prairie sont aujourd’hui choquantes par rapport aux couleurs d’époque... »

« Bref, il faut parfois les corriger planche par planche, voir case par case. D’un autre côté, certaines teintes originales des albums d’époque me dérangeaient également , comme au début de L’Épreuve de feu où la couleur des collines n’était pas très naturelle. Après, c’est un équilibre entre le temps investi dans cette correction et ce qui demeure acceptable. J’anticipe aussi le fait que le papier mat va boire l’encre et foncer les teintes. »

« Pour les couvertures, mon coloriste a refait totalement celles des tomes 1, 2, 3 et 5. Nous sommes repartis des couvertures des fascicules Tintin et pas des albums ; je trouvais que ces dernières présentaient plus d’impact que les couvertures des albums du Lombard. Enfin, concernant les couvertures des tomes 4, 6 et 8, j’ai moi-même refait les couleurs depuis les films couleurs numérisés. »

Un travail patrimonial

Les neuf albums de ce pack décliné à différents niveaux reprennent donc les huit aventures de 30 pages des 3 A. Le neuvième album propose un récit inédit en album ainsi qu’un passionnant et copieux dossier réalisé par Gilles Ratier. Ce dossier rend bien entendu hommage à la série elle-même, en expliquant comment Les 3 A sont nés d’un changement d’orientation graphique de Mitteï, déçu que ses autres bandes ne rencontraient pas le succès escompté. Mais comme la difficulté à réaliser les personnages demeurait, Tibet les a d’abord crayonnés, avant de les peaufiner, puis finalement de les encrer directement pour que cela aille plus vite. C’est ainsi que le trio de Ric Hochet se retrouva à animer de la même façon deux des trois séries du Journal Tintin les plus plébiscitées à l’époque.

À grand renfort de témoignages, de citations et de documents d’époque, le passionnant dossier de Gilles Ratier revient en détail sur ce travail d’équipe, mais également sur les différentes raisons qui ont fait stopper net cette collaboration : un manque de reconnaissance public ressenti par Mitteï, mais également une volonté du rédacteur-en-chef d’augmenter le nombre de Ric Hochet aux dépens des 3A.

Gilles Ratier contextualise également la série dans le thème du scoutisme dans bande dessinée. Son dossier, qui compte une vingtaine de pages dans le dernier album de cette intégrale, revient enfin et surtout sur l’étonnante et diversifiée carrière de Mitteï, en lui rendant un meilleur hommage que le court paragraphe introductif de cet article. L’occasion de revisiter plusieurs dizaines d’années de production franco-belge par le biais du parcours de cet auteur trop souvent resté dans l’ombre.

Jean-Michel Boxus nous promet d’autres pépites du même accabit : « Il y aura bientôt les trois tomes de la Trilogie des Flandres de Bob De Moor, et nous préparons également les 5 Oncle Zigomar de Bob De Moor qui paraîtront pour la première fois en français (ils étaient parus uniquement en néerlandais). » On trépigne d’impatience.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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19 Messages :
  • le pendant de la patrouille des castors pour le journal de Tintin ?

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  • esperons qu’ils feront comme pour pom et teddy et jari , vendre aussi les albums séparément

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  • "On trépigne d’impatience."

    Avec déambulateur et défibrillateur. Vive la BD pour les jeunes de plus de 77 ans !

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    • Répondu par Mister XY, jeune homme ambitieux ! le 14 avril 2016 à  19:01 :

      Oui, si l’on en tremblait, ce serait peut-être un indice de Parkinson !
      Ceci dit, ces oeuvres méritent d’être proposées au public limité qui continue à les vénerer, miracle de la nostalgie !

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      • Répondu le 18 avril 2016 à  08:46 :

        Et toujours plus limité puisque condamné à disparaître.

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    • Répondu par Matthieu V le 15 avril 2016 à  10:36 :

      Mais ce sont des classiques, au même titre que bien des romans du 19e et 20e siècle... Si ils sont bien fait, pourquoi se priver du plaisir de les lire/découvrir/redécouvrir ?

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      • Répondu le 18 avril 2016 à  08:46 :

        "Les 3 A" : trop générationnel pour être un classique. Les classiques traversent les époques. Il y a des tas de romans du 19 et 20ème siècles qui n’intéressent plus personne parce que trop marqués par leur époque, devenus illisibles. Quel jeune pourrait avoir envie de lire au premier degré "Les 3 A" aujourd’hui ?

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        • Répondu par Mister XY, jeune homme ambitieux ! le 19 avril 2016 à  00:25 :

          Un classique pour une niche de mille collectionneurs environ, sans doute avides de la relecture d’une série qui a les a fait vibrer dans leur jeunesse. L’Intégrale serait sortie au Lombard s’il y avait un potentiel important !!

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          • Répondu le 19 avril 2016 à  09:12 :

            Le propre d’un classique est d’être universel, pas de dormir au fond d’une niche.

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    • Répondu le 19 avril 2016 à  17:39 :

      Personne ne vous obligé à lire ces rééditions ! Si vous préférez les nouveautés, vous n’avez que l’embarras du choix !

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  • "Les 3 A", pépite des Sixties signée Tibet, Mitteï & Duchâteau
    17 avril 2016 17:43, par François Durand

    J’attends avec une grande impatiente la même chose avec Vincent Larcher, une série dans Tintin de la fin des années soixante, mélange d’une grande originalité entre science fiction et ésotérisme et une pincée de football.
    Le jeune lecteur que j’était a l’époque en était absolument ravi.

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    • Répondu le 18 avril 2016 à  08:49 :

      Science-fiction + ésotérisme + pincée de football. Effectivement, vous deviez être très jeune pour avaler des bêtises pareilles. Gardez ce souvenir dans un coin de votre tête, revoir ça aujourd’hui pourrait être un choc violent. Vous vous rendriez compte à quel point ce souvenir agréable cache une réalité médiocre.

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      • Répondu par Mister XY, jeune homme ambitieux ! le 19 avril 2016 à  00:32 :

        Vincent Larcher est quand même une série plus originale que les 3 A. Le héros est footballeur, mais ses aventures ne se limitent pas qu’au stade ! Quarante ans après, je me souviens encore d’un climat d’étrangeté et d’angoisse qui baignait certaines pages de la série, sans doute vers sa fin. Du Raymond Reding très bizarre, qui montre qu’il ne s’intéressait pas qu’au sport !!!

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        • Répondu le 19 avril 2016 à  09:16 :

          Il faudrait peut-être lancer une collection "Vincent Larcher vu par…". Ça ferait fureur chez les marchands.

          Vous vous souvenez… relisez, vous aurez peut-être une autre impression, plus juste.

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        • Répondu par Antonio le 19 avril 2016 à  09:32 :

          Vous avez tout à fait raison. Si mes souvenirs sont bons, il y a au moins trois albums exceptionnels par leur étrangeté, et scénario de science-fiction de bon alloi, dans la série "Vincent Larcher" : "Olympio 2004", "11 Gauchers pour Mexico" et, dans une moindre mesure, "Le Condottiere". Les autres histoires sont plus conventionnelles (et la dernìère, "Minijupes et maxi foot" franchement pénible). J’ai l’impression que la pression de la rédaction a forcé Reding à abandonner l’approche SF, puis la série tout bonnement. Dommage. Une intégrale de "Vincent Larcher" serait certes la bienvenue.

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          • Répondu le 19 avril 2016 à  11:23 :

            Bientôt, la surproduction des intégrales pour nostalgiques…
            Peut-être que des séries s’achèvent parce que tout simplement anecdotiques. Une intégrale tirée à moins de 2000 exemplaires n’est pas très rentable. Les intégrales permettent surtout aux éditeurs de conserver des droits. Vincent Larcher n’est pas une propriété qui déborde d’avenir.

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            • Répondu le 19 avril 2016 à  17:37 :

              Vous avez raison, vive la culture de l’instantané jetable. Blague à part, vous n’avez pas une grande connaissance de l’édition pour penser que la réédition de titres comme vincent larcher est une manipulation. D’éditeur qui veut s’en foutre plein les poches. Pour des titres comme celui là, il n’a pas beaucoup à y gagner mais plutôt à perdre. Par contre cela peut permettre à la veuve de reding ou à ses enfants de mettre un peu de crème fraîche dans les nouilles...

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            • Répondu par Mister XY, jeune homme ambitieux ! le 19 avril 2016 à  21:58 :

              Dans le cas des 3 A, ce n’est pas l’éditeur d’origine (le Lombard) qui procède à la réédition. S’il a cédé les droits, c’est parce que cela ne l’intéresse pas, c’est son droit. Mais on ne peut que saluer l’initiative de petits labels qui s’aventurent dans ces réhabilitations. Cela participe à la restauration de la mémoire de la BD.

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          • Répondu par François Durand le 23 avril 2016 à  23:41 :

            Effectivement, trois albums exceptionnels, mais il s’agit de : Olympic 2004, 11 gauchers pour Mexico et Le zoo du Dr Ketzal. Ces trois albums ont été édités dans la collection Jeune Europe du Lombard.

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