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Les Brigades du Tigre ou la tentation des passerelles

Par Yves Alion le 17 avril 2006                      Lien  
Série remarquée de la télé, {Les Brigades du Tigre} font l'objet d'une adaptation sur le grand écran. Le scénario est signé Xavier Dorison et Fabien Nury, qui jouent un rôle dans le film. Si ce sont là leurs premières incursions remarquées dans le cinéma, ils sont loin d'être des inconnus dans le monde de la BD.
Les Brigades du Tigre ou la tentation des passerelles
Paris 1912
(c)Les films Manuel Munz

Tout le monde se souvient de la série culte qui fit les beaux jours du petit écran dans les années 70, d’autant plus qu’une sortie DVD sous la forme de plusieurs coffrets était venue la rappeler au bon souvenir des moins attentifs. Au moment où - ce n’est sans doute pas un hasard - une super-suite du même nom accoste sur le grand écran. Le scénario est signé Xavier Dorison et Fabien Nury. Deux noms qui chantent aux oreilles des lecteurs d’ActuaBD. Ils avaient travaillé ensemble sur la série W.E.S.T. [1] On les retrouve également au générique d’un nouvel album qui paraît chez Glénat, consacré... aux Brigades du Tigre.

Les producteurs de cinéma n’étant pas des philanthropes, ce que personne d’ailleurs ne songerait à leur reprocher, ils ont tendance à chercher l’idée qui tue, ou du moins celle qui caresse le spectateur dans le sens du poil. Quitte à recycler un certain nombre de succès des autres médias : la bande dessinée depuis toujours, les jeux vidéo depuis quelques années et bien sûr les séries télé.

Les Brigades du Tigre, le film
(c) Les Films Manuel Munz

Le phénomène n’est pas nouveau. Certains se rappellent que « Le temps des copains », feuilleton du début des années 60 (quand il n’y avait qu’une seule chaîne - en noir et blanc - pour nous abreuver d’images) avait débouché en 1963 sur une adaptation pour le grand écran, signé Robert Guez. Mais force est de reconnaître que c’est surtout Hollywood qui a pillé ces séries avec une ardeur que l’on pourrait qualifier d’industrielle. Parfois avec bonheur, surtout quand il était possible de se démarquer : De Palma a à cet égard aussi bien réussi "Les Incorruptibles" que "Mission impossible". Mais que dire du pitoyable "Chapeau Melon et bottes de cuir" ?

Comme avant eux Hitchcock et Stan Lee,
Fabien Nury & Xavier Dorison jouent dans le film. Photo DR

Les Français semblent être à leur tour atteints de nostalgie. À peine les jets des "Chevaliers du ciel" (triste publicité pour l’Armée de l’air) se sont-ils posés que nous voilà embarqués par "Les Brigades du Tigre". Autant le dire tout de suite, le résultat est superbe. Certains pourraient même échanger les trente-six épisodes de la série contre ce seul opus cinématographique (mais une suite est en écriture), et troquer par la même occasion les sympathiques Jean-Claude Bouillon, Jean-Paul Tribout et Pierre Maguelon contre, respectivement, Clovis Cornillac, Edouard Baer et Olivier Gourmet qui, dans les mêmes rôles, incarnent avec allant les trois mousquetaires des brigades de police mobile créées par Clémenceau.

Les Brigades du Tigre
L’introduction inédite (prequel) publiée aux Editions Glénat

C’est Jérôme Cornuau qui signe la chose. Son nom ne dit pas grand chose aux cinéphiles. Sauf à ceux qui ont eu la curiosité de voir qui avait réalisé deux nanars d’anthologie avec Ophélie Winter (« Bouge » et « Folle d’elle »), dont Cornuau convient "qu’il n’aurait jamais vu ces films s’il ne les avait pas réalisés" ; sauf à ceux qui s’intéressent à la fiction télé. Et c’est bien sûr au petit écran, avec « Dissonances », que le cinéaste a commencé à briller. Avec un thriller décapant à la construction savante, porté par un Jacques Gamblin en état de grâce. Jacques Gamblin qui incarne ici avec brio le rôle de Bonnot (que Bruno Cremer avait jadis tenu dans "La Bande à Bonnot").

Jérôme Cornuau
Photo : D. Pasamonik

Le film de Cornuau possède à peu près toutes les qualités que l’on attend d’un film à grand spectacle. Impeccable sur le plan esthétique, doté d’un rythme soutenu (mais non effréné, ce n’est pas un jeu vidéo, et il n’y a pas de honte à faire le pari que le spectateur est capable d’écouter quelques lignes de dialogue), riche dans son arrière-plan historique (les anars de la bande à Bonnot occupent la première moitié du film, les emprunts russes défrayent la chronique dans la seconde), permettant aux personnages d’exister au-delà de la place qui leur est allouée dans la magistrale partie d’échecs opposant les puissants et les justes (pour simplifier). La matière est riche, et le mérite des deux scénaristes n’est pas mince. Ils feraient merveille dans le domaine de la bande dessinée. D’ailleurs ils en font...

Les Brigades du Tigre
La prequel du film (Glénat)

Et c’est là que « Les Brigades du Tigre » atteignent une nouvelle dimension. Une nouvelle passerelle est édifiée entre le cinéma et la bande dessinée. Mais il ne s’agit pas ici d’adapter une BD pour le grand écran (c’est chose commune), ni même de transposer un film existant en BD (« À l’attaque », de Guédiguian ; « Toute une vie », de Lelouch). Cette fois la BD et le film se complètent plus qu’ils ne se superposent. La chronologie des deux histoires imaginées par Dorison et Nury est d’ailleurs disjointe, la BD se terminant au moment où débute le film. Autant dire que Bonnot, Raymond la science et leurs complices se taillent ici la part du lion. Et que nos brigadistes s’y opposent avec toute leur fougue, en essayant de ne pas tomber dans les pièges tendus par la Préfecture de police (qui n’aime pas ces électrons libres de la Police et fait tout pour leur mettre des bâtons dans les roues).

Les Emprunts russes
au centre de l’intrigue. Au passage, un clin d’oeil au scénariste Richard Malka (L’Ordre de Cicéron).

Dessinées par Jean-Yves Delitte, les planches nous ravissent. Non seulement parce que le trait est sûr, les personnages expressifs dans un réalisme de bon aloi, mais aussi parce que le dessinateur a su s’affranchir des limites des cases pour lier l’action, donnant un peu plus de vie encore à ses héros, qui parfois semblent jaillir des pages comme des diables hors de leur boîte. Signalons également la qualité des couleurs, sépias à l’occasion, bleutées avec retenue si nécessaire, plus appuyées quand il le faut. Une façon là aussi d’apporter sans ostentation intempestive un supplément d’âme. Ajoutons que l’album se clôt par un dossier succinct mais impeccable sur le sujet. Nous sont dévoilés les référents historiques (la brigade, la police scientifique, la bande à Bonnot) et quelques éléments graphiques du passage du film à la BD (et vice-versa). Il n’est pas interdit de penser que si le film fait des petits, la BD a elle aussi quelques beaux jours devant elle. Compteront-ils trente-six épisodes comme l’a fait jadis la série télé ?

(par Yves Alion)

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Code EAN :

Une aventure des Brigades du Tigre : « Ni Dieu, ni maître » - Par Xavier Dorison, Jean-Yves Delitte, Fabien Nury - Glénat.

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[1Par ailleurs, l’un et l’autre affichent des succès de librairie : Xavier Dorison avec Le Troisième Testament, chez Glénat, mais aussi Prophet ave Mathieu Lauffray et Sanctuaire avec Christophe Bec aux Humanoïdes Associés ; Fabien Nury, quant à lui, a scénarisé le remarquable Je suis Légion dessiné par John Cassaday, aux Humanoïdes Associés, ce dernier étant également en cours d’adaptation au cinéma.

✏️ Jean-Yves Delitte
 
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