On retrouve dans les rues d’une petite cité balnéaire le corps atrocement mutilé de plusieurs prostituées. Un couple d’inspecteurs est chargé de l’enquête. Couple improbable composé de « Nutella », quarantenaire intègre, honnête et plutôt sérieux au regard de son collègue « Light », désorganisé, insouciant un peu désabusé. Ces deux-là vont se trouver confrontés aux pratiques particulièrement perverses du meurtrier sur fond de climat lourd et pesant en raison du contexte de l’enquête.
Chacun a son truc pour évacuer la pression. Light se goinfre dans les fast-foods faisant fi de sa silhouette bedonnante. Nutella, le Noir (de son vrai nom Assane Diaye , mais vous aviez compris n’est-ce pas ?), lui, évacue le stress par la pratique de la natation. C’est là qu’il fera la connaissance d’une jeune femme belle mais mystérieuse. Celle-ci semble cacher quelque chose, un secret qui risque de ramener notre inspecteur au cœur de son enquête...
Prenez un couple atypique de policiers, ajoutez une succession de meurtres en série de prostituées, relevez le tout avec une relation trouble entre l’un des flics et une belle inconnue (peut-être) impliquée dans l’enquête. Vous obtiendrez le pitch assez classique, pour ne pas dire ordinaire de bon nombre de polars ! Cette histoire fonctionne sur deux plans : la lente progression de l’enquête est rythmée par des sauts dans le temps et des variations de tons qui nous maintiennent astucieusement en haleine.
On ne présente plus Zidrou, scénariste surdoué qui trouve là encore une occasion de nous surprendre. Dialogues ciselés, découpage précis et parfaitement construit : tout contribue à nous plonger (jeu de mots involontaire !) dans une atmosphère aussi sombre que lourde mais que vient alléger une aventure amoureuse suffisamment prenante et confuse.
Mais le principal atout de cet album, à relire plusieurs fois pour en mieux apprécier le style narratif, reste l’incroyable capacité de Laurent Bonneau à créer à partir d’un savant mélange de traits précis et de couleurs fondues et vaporeuses des atmosphères totalement expressives. À l’aide de lavis et de gris colorés subtils et fascinants, il apporte au récit une dimension visuelle incomparable. Son travail révèle une capacité à restituer les sensations et les ambiances singulières dans lesquelles évoluent ses personnages. Un traitement graphique qui s’avère particulièrement efficace pour nous faire entrer dans la psychologie des acteurs.
Rien de surprenant pour ceux qui ont déjà pu apprécier le travail de ce dessinateur. Après les Nouvelles Graphiques d’Afrique publiées aux Ronds dans l’O en 2015, Laurent Bonneau a rejoint la collection Grand angle avec des récits plus intimistes comme Ceux qui me restent, album puissant sur la maladie d’Alzheimer (sur un scénario de Damien Marie) ou encore On sème la folie, chronique douce-amère des états d’âme d’un groupe de jeunes trentenaires.
En s’attaquant au genre polar, il confirme à coups d’encre de chine, de mine de plomb et d’encre colorée son entrée dans le cercle, assez restreint, des dessinateurs dont le langage sublime le récit qu’ils supportent.
(par Patrice Gentilhomme)
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