Alors, rétroactes : Dans le Journal Tintin, le 26 septembre 1946, les jeunes lecteurs sortant à peine de la Seconde Guerre mondiale, ont une vision d’apocalypse : l’empire jaune de Basam-Damdu envahit le monde et toutes les grandes capitales occidentales sont en feu : Paris, Londres... Rappelons que nous sommes au moment où s’installe la Guerre Froide, à une encablure de la Guerre de Corée, et que les premières tensions entre les deux blocs qui se partagent l’Europe commencent à se faire jour. La décolonisation bat son plein au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique. L’Amérique du sud, avec sa valse de dictateurs, est sens dessus-dessous. La Chine entre dans la guerre civile, Mao s’apprête à créer un nouvel état communiste...
Edgar P. Jacobs imagine à ce moment précis une uchronie où les Anglais sauvent le monde grâce à deux de leurs intrépides citoyens : le Gallois Blake, Captain au MI5, le contre-espionnage britannique, et l’Écossais Mortimer, un savant hyperdoué qui invente L’Espadon, un avion submersible (préfiguration de celui que l’on voit dans le dernier James Bond) capable d’envoyer des missiles nucléaires au besoin.
Bizarre d’ailleurs ce monde libre sans les Américains et ce colonel Olrik, homme-lige des « Jaunes », qui porte sur sa coiffe une étoile de David -symbole du judéo-bolchévisme, comme dans la BD Vers les Mondes inconnus de Liquois dans le très nazi illustré de l’Occupation Le Téméraire ? La même étoile de David -rouge, cette fois- se retrouve sur les tanks et les fusées de l’envahisseur dans le même album... Trait antisémite ? Sans doute pas, mais un amalgame de tous les ennemis qui menacent alors l’empire britannique : les Sionistes de Ben Gourion en Israël, les Chinois face à Hong Kong, et les Communistes de Staline au Moyen-Orient ou dans le sous-continent indien.
On sait que nos héros sauveront le monde, et l’empire britannique par la même occasion. God Save the King ! Au passage, on notera que Jean Van Hamme ne tombe pas dans les ambigüités de Jacobs. Il faut dire qu’entre 1946 et aujourd’hui, un fait majeur a changé la donne : c’est la création de l’État d’Israël en 1948.
Le Dernier Espadon
Nous sommes dans ce nouvel épisode en 1948, nos deux comparses se remettent au service de sa majesté pour déjouer un complot fomenté par… des membres de l’IRA contre la couronne britannique, lesquels ont fait appel à un ancien nazi pour mener l’opération.
Concernant cette alliance étrange, un astérisque peut renvoyer à une note en bas de page indiquant qu’elle est « authentique ». Durant la Seconde Guerre, les agents allemands Henry Obed, Herbert Tributh et Otto Dietergaertner ont effectivement mené un tel projet visant Buckingham Palace.
Rappelons qu’à côté de l’Irlande du Nord encore britannique, la République irlandaise, pays neutre toute la guerre -même lorsque les USA entrèrent en guerre en 1941, autorisait le survol de leur territoire par les avions militaires allemands et que les navires de guerre et les sous-marins allemands ont pu croiser dans les eaux irlandaises durant tout le deuxième conflit mondial.
Dublin était un nid d’espions de l’Abwher. Fondée en 1937, l’Irlande fut le seul « Dominion » du Commonwealth britannique à ne pas approuver la déclaration de guerre à l’Allemagne et le dernier pays du monde à rompre ses relations diplomatiques avec le gouvernement nazi, envoyant même des condoléances au pays à la mort d’Adolf Hitler ! Dans les premiers temps de la guerre, Winston Churchill craignait que les Allemands passent par l’Irlande. Mais le gouvernement de l’Eire avait coupé les ponts avec l’IRA dont les visées politiques ne leur convenaient guère.
C’est cette situation complexe qui sert de terreau au nouveau scénario de Jean Van Hamme qui fait un autre constat : c’est qu’en 1948, la base des Espadons se retrouve dans un pays nouveau qui a pris son indépendance : le Pakistan.
Tout ceci fonde ce récit formidablement raconté. Le scénariste de Largo Winch, de XIII, de Thorgal, n’a pas perdu la main à 82 ans (le script a été écrit il y a trois ans) et c’est dessiné par un duo de Hollandais qui a déjà œuvré avec Yves Sente sur Blake & Mortimer : Peter Van Dongen et Teun Berserik qui nous font du Jacobs quasi parfait.
Cela donne un album qui s’inscrit parfaitement dans la saga mythique et qui régalera les fans. Ces derniers peuvent aussi trouver en kiosque un Hors-série du Monde sur Blake et Mortimer, sous la forme d’un abécédaire aussi réussi qu’érudit. Après les Gaulois, ce sont les Britanniques qui envahissent nos librairies. By Jove !
Écoutez le podcast où Jean Van Hamme vous confie les derniers secrets de l’Espadon.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Blake & Mortimer : Le Dernier Espadon - Par Jean Van Hamme, Peter Van Dongen et Teun Berserik – Ed. Dargaud
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