« Je m’appelle Pénélope. Mais je n’attends pas. Je ne tisse pas. Je sauve des vies. »
Chirurgienne pour une organisation humanitaire, Pénélope passe la plupart de son temps en mission dans des pays en guerre. Quand elle revient chez elle, elle retrouve un mari aimant, une fille adorable et un foyer rassurant.
Et pourtant ces retours à la maison lui sont de plus en plus pesants. Comment s’intéresser à la vie de tous les jours quand on pense sans cesse aux morts qu’on a laissés derrière soi ? Chez elle, Pénélope se sent inadaptée, pas à sa place.
Chaque album de Judith Vanistendael est particulier. Et celui-ci ne fait heureusement pas exception à la règle. Tout d’abord dans la forme : dans sa présentation, son séquençage, sa méthode graphique, etc. Pour Les Deux Vies de Pénélope, l’autrice a laissé de côté ses crayons de couleur, et même les simples traits de contour, pour ne dessiner (ou plutôt peindre) cet album uniquement à l’aquarelle.
Le résultat est spectaculaire de douceur et d’évocation, de poésie et de justesse. Alliée à la pertinence d’un découpage évocateur, surtout dans la seconde séquence qui allie la guerre à Alep et une scène intime de sa famille, le graphisme à lui seul séduit, tout en servant magnifiquement le récit.
Concernant le fond, l’autrice s’est plongée dans L’Odyssée. De la société grecque qu’elle a initialement trouvé assez misogyne, elle en a tiré par la suite une profonde réflexion sur la société et le travail. Et elle a inversé les codes en inventant cette Pénélope qui n’attend pas Ulysse, mais se sent déchirée entre son devoir de chirurgienne humanitaire, et sa famille.
En réalité, cela faisait plus de dix ans que l’autrice voulait raconter "cette histoire d’une maman qui quitte sa famille à cause d’un job pour lequel elle est vraiment douée". Le résultat dépasse largement nos attentes. Outre une réflexion sur la famille, les liens que nous tissons avec nos proches, les façades sociales, Les Deux Vies de Pénélope traite surtout du devoir d’être parent, et de la difficulté à trouver un équilibre entre son développement personnel et son obligation sociétale à partiellement se sacrifier pour ses proches.
À ce titre, on sent un grand investissement moral de la part de l’autrice. Une motivation personnelle, puisée au fond d’elle, qu’elle développe d’un point de vue universel pour mieux toucher chaque lecteur. Les Deux Vies de Pénélope ne parle donc pas seulement des médecins, mais également des auteurs et de toutes les personnes qui s’investissent dans leur travail, quitte à en ramener une part fantomatique à la maison.
Sensible, touchant, plein de sens caché et permettant de multiples lectures qui ouvrent à des réflexions nouvelles suscitées par les aquarelles de l’autrice, Les Deux Vies de Pénélope est une formidable réussite. De quoi vous convaincre définitivement du très grand talent de Judith Vanistendael, si cela n’était pas encore le cas.
(par Charles-Louis Detournay)
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A propos de Judith Vanistendael, lire :
une précédente interview : "La Jeune Fille et le Nègre raconte avant tout une histoire d’amour !"
La jeune fille et le nègre (Papa et Sophie t.1) - Par Judith Vanistendael-Actes Sud/l’AN 2
La jeune fille et le nègre T.2 : Babette et Sophie - Judith Vanistendael (traduction Hélène Robbe) - Actes Sud/l’AN 2