Les Fleurs de cimetière est un projet que le dessinateur nourrit ardemment depuis plus de quatre ans. Un livre-fleuve de deux cents quatre-vingts pages qui cristallise à lui tout seul l’ensemble de l’œuvre d’Edmond Baudoin. C’est une véritable autobiographie où il évoque les moments passés de sa vie de façon rétrospective en incluant des citations de ses précédents ouvrages, des extraits de carnets, et des citations des œuvres qu’il admire comme celle de Christian Boltanski sur laquelle l’artiste s’interroge : « À l’intérieur du petit trait séparant la date de naissance et celle de la mort est inscrit toute une vie ».
Baudoin y raconte la sienne, celles de ses proches, mais également et surtout le rapport fusionnel qu’il aura eu avec les femmes tout au long de son existence. Un ouvrage introspectif que l’artiste semble avoir écrit de façon automatique, comme le journal d’une vie triée et condensée.
La forme est complètement déconcertante. Baudoin est un plasticien qui bâtit ses pages avec du dessin, bien sûr, mais également avec des peintures, des collages, des extraits de carnets, des incrustations issues d’autres livres. L’ensemble pourrait paraître rébarbatif de prime abord, mais il ne l’est pas, à aucun moment. Une habile cohérence corrobore l’ensemble et le rend admirablement vivant et organique.
Baudoin remonte le fil des années pour évoquer une existence vorace douée d’une liberté infinie. Une vie tournée vers la création, la nature et les femmes, qui est ici dévoilée sans prétention avec cette remise en question permanente du travail et de la valeur de l’art. Il le dira lui même : « J’écris sur quelqu’un qui va mourir inabouti ».
Dire que Baudoin est un artiste abondant est un euphémisme. À bientôt 80 ans, celui qui a abandonné sa carrière d’expert comptable pour se consacrer entièrement au dessin il y a 40 ans, n’a cessé depuis de développer une œuvre intime, touchante et parfois autobiographique. Avec une centaine d’ouvrages à son actif, il scrute dans ce dernier ses propres contradictions et dissèque son passé pour comprendre son monde.
Nous retiendrons tout particulièrement ses réflexions sur son rapport aux femmes. Incarnées par une seule entité nommée Ailes, il se sert de cette métaphore pour raconter sa conception du couple, ses liens avec la paternité, et le poids qu’ont pu avoir ses différentes compagnes tout au long de sa vie. Toutes ont une importance. De celles qu’il n’a connues que le temps d’une soirée à celles avec qui il est resté plusieurs années.
Un livre-somme à la narration téméraire qui peut dérouter. Baudoin propose une pérégrination ésotérique dans sa mémoire par laquelle les époques et les êtres se croisent et se rencontrent comme si l’auteur souhaitait, au crépuscule de sa vie, restructurer sa pensée une dernière fois, de façon définitive. Un ouvrage majeur dans la bibliographie de l’auteur.
(par François RISSEL)
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Les Fleurs de cimetière - Par Edmond Baudoin - L’Association - 72e volume de la collection Éperluette - avant-propos par Nadia Vadori-Gauthier - 29 x 22 cm - 288 pages en noir & blanc et couleurs - couverture souple avec rabats - parution le 4 juin 2021.
Écouter l’émission Le Rayon BD avec l’auteur comme invité (France Culture, 13 juin 2021).
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