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Les Garde-fous - Par Frédéric Bézian - Editions Delcourt

Par Patrice Gentilhomme le 4 janvier 2008                      Lien  
Avec "Les Garde-fous", Bézian nous propose un récit puissant où le personnage principal s’apparente davantage …au décor qu’aux protagonistes de ce huis-clos tendu à l’extrême.

D’abord, il y a cette couverture envoûtée de nuances bleues tranchées par des rais de lumière jaune, cadrée par une rigueur géométrique. Cette vue plongeante et obsédante des terrasses de l’immense villa où tout se joue vers un lac immobile annonce le vertige à venir.

L’histoire reste assez banale car elle se concentre sur la recherche d’un tueur en série, signalé aux alentours de la somptueuse demeure d’un couple d’éditeurs branchés vaguement bobos réfugiés quelque part au fin fond du Gers. Un policier au look atypique et aux méthodes assez singulières débarque dans cet univers isolé du monde. Alice, la compagne de Boris serait la prochaine victime du tueur. A part l’éditeur et son beau-père, peu de personnages ne peuvent être suspectés, si ce n’est une sorte d’ermite dont les relations troubles avec Alice alimenteront tous les soupçons ! Au bord du lac noir, le mystère installe peu à peu chaque pièce de la villa radieuse dans une atmosphère implacable et crispante.

Si l’intrigue peut sembler un peu mince aux amateurs de huis-clos à suspense, l’intérêt réside principalement dans le traitement narratif, pour ne pas dire esthétique, de cette histoire.
Le découpage et le déroulement du récit illustrent une parfaite maîtrise du genre par un auteur qui n’hésite pas à en pousser les recettes au paroxysme : villa isolée, ambigüité des personnages, intérieur bourgeois au design résolument moderne (la dédicace au Playtime de Tati n’est évidemment pas là par hasard), lumière et silence jouant sur la pesanteur d’une atmosphère où chacun, lecteur compris, attend que « quelque chose se passe ».

Le graphisme se joue habilement des contraintes architecturales de cette construction high-tech dont les lignes sans fin prolongent le climat à la fois oppressant et séduisant d’un modernisme délicieusement kitch ! Jamais peut-être depuis Schuiten, n’avait-on aussi bien exploité les ressources émotionnelles de l’architecture en BD par un recours aussi bien maîtrisé des lumières contrastées et immobiles et de plans silencieux et éblouissants.(On pourra d’ailleurs sur ce thème, consulter le dossier fort documenté du site du9. Le dessinateur, en s’appuyant sur le tranchant des décors, les angles et les volumes use de nombreuses plongées pour faire basculer son récit vers l’angoisse et le vertige psychologique. Des jeux d’ombres et de lumières subtils procurent à ce récit une impression très cinématographique sans se limiter aux effets les plus faciles du genre. Grâce à ce dessin profondément épuré et étayé d’une réflexion approfondie sur la couleur l’auteur parvient à nous installer dans un récit envoûtant tout en longueur, tout en langueur, et dont l’épilogue nous replonge à nouveau dans un silence obsédant assourdissant.

Ce one-shot décliné sur près de 80 pages sollicite notre attention de bout en bout. Si, au fil des pages, on relève diverses influences (on pense parfois à Mattotti), on ne peut s’empêcher de savourer l’originalité de la démarche et le talent d’un auteur aussi exemplaire et qu’exigeant.

Ceux qui souhaiteront une présentation plus exhaustive du travail de Frédéric Bézian se reporteront avec profit au numéro spécial « BD » de Beaux Arts Magazine.

(par Patrice Gentilhomme)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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