Nous vous avions présenté en mars dernier le lancement de la nouvelle collection de Glénat consacrée aux Grands Peintres. Après les Grands Écrivains scénarisés par Jean Dufaux et publiés au début des années 1990, l’éditeur grenoblois impressionnait en annonçant un programme de pas moins de trente albums signés par davantage encore d’auteurs. La première salve nous avait autant conquis que laissés de marbre, en fonction des albums présentés et des choix opérés par leurs auteurs. Cette seconde rafale reproduit le même sentiment d’intérêt et d’inégalité que pour la première.
Vinci : un récit sans consistance
Parmi les grands peintres, nul ne laissa si peu de tableaux et fit pourtant autant parler de lui que Léonard de Vinci. Figure emblématique de la Renaissance, génie de l’invention, il reste un modèle adulé près de cinq cents ans après sa mort. On attendait digne de cette figure majeure, mais malheureusement, il n’en est rien.
Alors que d’autres auteurs n’ont volontairement pas toujours choisi le tableau emblématique d’autres artistes pour livrer des récits originaux, le scénariste Patrick Weber s’attaque à l’œuvre mythique par excellence : La Joconde. Et il a choisi d’aborder l’origine mystérieuse du tableau pour tenter de dépeindre le caractère de Léonard.
Ainsi, le récit débute alors que le Florentin vient de traverser les Alpes pour rejoindre la cour de François 1er. Le monarque lui adjoint un nouvel apprenti qui l’interroge sans relâche sur l’un de ses portraits commencé à Florence en 1503 : le fameux portrait au mystérieux sourire. Léonard, qui s’amuse de la curiosité de son élève, lui livre alors différentes versions de son œuvre qui correspondent à autant de moments particuliers de son existence. Selon ses dires, il pourrait aussi bien s’agir d’un autoportrait travesti, du portrait de l’un de ses amis, du portrait de sa mère ou d’une certaine Lisa Del Giocondo...
Si le scénario a ainsi la volonté d’en apprendre un peu plus sur les origines brumeuses de Léonard ou sur sa vie, cette succession d’hypothèses ne dresse finalement pas un portrait fidèle, car perclus de mensonges, de l’homme, ni même, et c’est plus rédhibitoire, intéressant. Patrick Weber rassemble les différentes légendes du portrait de Mona Lisa dans un récit sans rythme, rappelant l’attachement que le maître portait au tableau, et accessoirement les théories sur son homosexualité. Les liens forts qui unirent Léonard à ses disciples sont ainsi bien évoqués, l’exercice restant très artificiel.
Quant au dessin d’Olivier Pâques, l’auteur de Loïs, souvent sans âme, il est cependant suffisamment documenté pour donner à ce récit une forme d’authenticité. Le lecteur reconnaîtra les châteaux de Blois, d’Amboise, de Chambord et le Clos Lucé. Efforts méritoires, mais cet album bien creux peine à évoquer un des plus grands génie que l’humanité, et sa Mona-Lisa, l’une des peintures les plus admirées au monde. Les déçus devront donc attendre la biographie de Bernard Swysen est actuellement en train de réaliser sur le même sujet, et qui devrait sortir courant 2016.
David : un impérial récit révolutionnaire
Lorsqu’on évoque le peintre David, c’est bien entendu l’immense tableau du Sacre de Napoléon qui vient à l’esprit. François Dimberton a pourtant choisi de se concentrer sur le Portrait de Pierre Sériziat et sur Les Sabines, deux peintures bien éloignées de la gloire de l’Empereur. En effet, afin de le sortir de la réputation de peintre officiel de Bonaparte, les auteurs prennent soin de rappeler que David fut un fervent révolutionnaire ! Chose que met admirablement en images Dimberton.
Ami et protégé de Robespierre, le peintre Jacques-Louis David peint très peu durant les premières années de la Révolution, car il est tout entier consacré à son engagement politique et à la transformation du palais du Louvre en musée. En juillet 1794, après deux années de terreur, la France se débarrasse de Robespierre et jette l’artiste en prison. Derrière les barreaux, David parvient à se procurer du matériel de peinture et dessine avec fébrilité un célèbre autoportrait. Par miracle, il échappe à la mort.
Prenant alors conscience qu’il est un artiste avant d’être un homme politique, il se jure de ne plus jamais quitter les pinceaux. En prison, il a d’ailleurs eu l’idée d’une toile monumentale qui prônerait la réconciliation entre les royalistes et les révolutionnaires : Les Sabines !
Sans user de grands artifices graphiques, François Dimberton réalise une bande dessinée à l’ancienne, d’une redoutable efficacité. Le récit vaut autant pour l’aspect biographique de la vie de David, que par la restitution de l’époque révolutionnaire et pré-révolutionnaire. Les explications liées à l’utilisation du Louvre, le salon qui en découle et le travail de David pour le transformer en musée sont passionnantes. Les multiples passages en prison permettent de mieux comprendre l’ambiance de l’époque et la psychologie du peintre. Les restitutions des bâtiments donnent le cadre nécessaire pour porter cette superbe évocation historique, et qui détaille également les petits secrets des oeuvres, du choix du support aux influences.
Voilà donc un récit qui passionne sans utiliser d’esbroufe graphique. L’auteur termine son récit sur un superbe clin d’œil à la bande dessinée, tout en rappelant ce que l’art français doit finalement à David, bien au-delà d’un Sacre !
Bruegel : le mystère…
Les amateurs de récits moins linéaires se saisiront sans aucun doute du Pieter Bruegel réalisé par François Corteggiani & Mankho. Dès la première page, l’efficacité saute aux yeux ! Du regard singulier des protagonistes à l’évocation de célèbres architectures bruxelloises, cette chronique louvoie entre grande Histoire et complots plus imaginaires.
En 1568, en effet, les temps sont troublés dans les provinces du nord, car Philippe II, roi d’Espagne, règne en tyran sur les Pays-Bas. Sous la bannière de Guillaume d’Orange, ceux qui se nomment eux-mêmes les « gueux » combattent pour la liberté de la Flandre. Initiée comme un combat pour le protestantisme, leur révolte se transforme très vite en une insurrection contre la domination espagnole dont les troupes occupent le pays. Une terrible répression s’ensuit, menée par un comte surnommé « Le Diable rouge », à la tête de ses mercenaires germaniques...
Ne reculant devant aucune exaction, ces criminels se fraient un chemin sanglant dans le pays à la recherche d’un tableau, une œuvre, dit-on, de Pieter Bruegel, sur laquelle sont représentés cinq mendiants : trois d’entre eux auraient les traits des chefs de la rébellion. Mais très vite, ils apprennent que d’autres tableaux avec le même motif seraient apparus dans les villes alentour. Parmi ces différentes toiles, quelle est celle qui fait apparaître les véritables visages des chefs de la rébellion ?
Les amateurs d’histoire de l’art seront sans doute déçu par ce scénario fantasmatique, car on en apprend finalement très peu sur Bruegel dans ce récit. Si l’intrigue ménage effectivement un suspense savamment maintenu de bout en bout, afin d’évoquer au mieux cette guérilla menée par les « gueux », armée et organisée de manière rudimentaire, contre la force de l’armée espagnole, le sujet de l’album est loin, même si, de surprise en découverte, on profite d’un vrai et d’un bon récit de bande dessinée.
Le peintre en lui-même est finalement très bien évoqué par les huit pages documentaires traditionnelles qui concluent chacun de ces albums. L’œuvre et le contexte historique reprennent alors leurs droits.
La Tour : une personnalité
Les défauts de ces deux premiers titres ne se retrouvent pas dans les suivants. Rappelons que Li-An & Laurence Croix (aux couleurs) ne sont pas novices en la matière, car ils avaient déjà réalisé une passionnante biographie de Gauguin->art11337] chez Vents d’Ouest en 2010. Une fois de plus, Li-An choisit d’approcher l’homme, afin de mieux comprendre son travail.
Georges de la Tour, peintre bourgeois, est dans la tourmente alors que la cité de Lunéville est assiégée par les troupes de Louis XIII. La guerre de Trente Ans fait rage, aussi prend-il la décision de mettre les siens à l’abri dans la ville de Nancy. Car plus que la situation politique, c’est sa vie de famille qui le préoccupe. Son propre fils, Étienne, semble avoir un goût modéré pour la peinture et il n’est pas sûr du tout qu’il souhaite prendre sa succession. L’héritage du peintre est incertain, surtout lorsqu’un incendie ravageur survient. La Tour imagine ses tableaux rongés les uns après les autres par le feu qui consume la ville.
L’œuvre de ce maître du clair-obscur est donc évoquée dans un des moments les plus tragiques de sa vie. Sa fragilité dans cet instant historique, les tensions familiales et au sein de son couple, son dédain pour les classes moins favorisées, les aspirations artistiques que ses enfants repoussent à leur façon, tout cela se conclut de manière remarquable dans la dernière évocation du récit : l’inspiration pour sa Madeleine à la veilleuse. Au plus près du peintre et ses tableaux majeurs, l’album de Li-An ose sortir de la ligne historique pour livrer un récit des plus vivants ! Un exemple de ce que la collection peut livrer de plus intéressants.
Si les albums de la collection Les Grands Peintres continuent de briller par leur qualité disparate, ils conservent bien souvent leur intérêt, support d’un travail pédagogique ou lecture plaisante pour les esprits curieux .
Dans un mois, sortiront trois nouveaux titres dans cette collection : Van Gogh et son Champ de blé aux corbeaux par Michel Durand, Courbet et le fameux tableau L’Origine du monde réalisé par Fabien Lacaf, et le très attendu Bosch et Le Jugement dernier de Griffo, qui avait si justement dessiné Sade dans la collection des Grands Écrivains !
(par Charles-Louis Detournay)
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David - Par François Dimberton (Glénat) chez Amazon ou à la FNAC
Pieter Bruegel - Par François Corteggiani & Mankho (Glénat) chez Amazon ou à la FNAC
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