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Les Images de l’Affaire Dreyfus

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 juillet 2006                      Lien  
Il y a 100 ans, le 12 juillet 1906, les chambres réunies de la Cour de Cassation annulèrent un jugement qui avait condamné l'officier Albert Dreyfus « par erreur et à tort ». Avant cela, « l'Affaire » avait déchiré la France, déclenchée par le célèbre article de Zola : « J'Accuse ! » Le dessin de presse a joué un rôle majeur dans cette tragédie.
Les Images de l'Affaire Dreyfus
100 dessins de l’Affaire Dreyfus
de Raymond Bachollet (Editions Dabecom)

« C’est un crime d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie jusqu’à la faire délirer. C’est un crime d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance, en s’abritant derrière l’odieux antisémitisme. [...] C’est un crime que d’exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine... » Ainsi s’exprime Émile Zola dans son célèbre article de L’Aurore : « J’accuse ! Lettre au président de la République » publié le 13 janvier 1898.

Drumont et la Libre Parole
l’avant-garde graphique antisémite

Dans ce « crime d’empoisonnement », la caricature et la bande dessinée ont joué un rôle important. Un ouvrage de Raymond Bachollet, Les 100 plus belles images de l’Affaire Dreyfus rassemble une collection de ces images saisissantes. La chronologie est éclairante : le 15 octobre 1894, Dreyfus, soupçonné d’espionnage, est arrêté. Le 1er novembre, à la faveur de fuites savamment orchestrées par l’État Major, le journal de l’antisémite Édouard Drumont, l’auteur de La France juive publiée dix ans plus tôt, écrit pour la première fois le nom d’Alfred Dreyfus dans un de ses articles. Dix jours plus tard, dans le supplément illustré du journal, La Libre parole illustrée où Gravelle, Chanteclair, Maillotin et bien d’autres publient des dessins antijuifs, mais aussi Henry de Sta, auteur chaque semaine d’une page de bande dessinée sur ce sujet, Édouard Drumont jubile. Représenté tenant Dreyfus avec des pincettes, il dit, en le jetant dans le caniveau : « Français, voilà huit ans que je vous le répète chaque jour !!! ». Qu’il répète quoi ? La même chose que dans La France juive : Que les juifs sont des traîtres.

La dégradation de Dreyfus aux Invalides
dessin d’Henri Meyer pour Le Petit Journak illustré.
Dans Psst...! Caran d’Ache croque Zola

Dans le Figaro, le talentueux Caran d’Ache n’est pas en reste. Nous avons écrit, dans ces pages, à quel point ce fondateur de la BD française était, à notre sens un des créateurs de la grammaire graphique antisémite moderne produisant, deux ans avant l’Affaire, un Carnet de Chèques se moquant des « chèquarts », ces députés corrompus mouillés par le Scandale de Panama et dont la liste avait été précisément publiée dans La Libre Parole de Drumont. En plein cœur de l’Affaire, Caran d’Ache s’associe avec son ami le dessinateur Forain, pour créer le magazine Psst... ! dans lequel il offre une caricature de Zola (ici représentée en surcharge de la une de L’Aurore), un auteur qu’il admire pourtant, agitant un brûlot. Dans Le Figaro, où il a sa page tous les lundis, Caran d’Ache consacrera plusieurs bandes dessinées à l’Affaire dont une page montre le soldat Dreyfus trafiquant un drapeau français avec son coreligionnaire allemand Jacob. On connaît aussi de lui, l’ellipse restée célèbre, Un dîner en famille, symbole de la France divisée par la passion antisémite. Il arrêta Psst.. ! à l’issue du Procès de Rennes, considérant que l’honneur de l’armée avait été lavé. Il aura l’occasion de vivre la réhabilitation de Dreyfus puisqu’il décède en 1909.

Caran d’Ache : "Ils en ont parlé"
Ce dessin du Figaro, plus tard parodié par Chaland, est devenu le symbole de l’Affaire.

L’anarchiste Pépin dans Le Grelot dont les sentiments anticléricaux et anti-bourgeois accableront Dreyfus dans un premier temps fit un revirement remarquable. Une fois la lumière faite sur la forfaiture, il se montrera également féroce avec les scélérats. [1] Il traduit les tergiversations d’une certaine gauche aussi antisémite que la réaction antirépublicaine, et dont une frange saura, derrière Jaurès, réviser ses préventions racistes.

Psstt..!, fondé par Caran d’Ache et Forain

La plupart de ces dessins sont reproduits dans le livre de Raymond Bachollet. C’est l’occasion, au passage, de découvrir des talents graphiques incroyables qui se sont mis heureusement au service de la bonne cause, car tous ne participaient pas à cette destruction des valeurs : un Gustave Henri Jossot qui finit la fin de sa vie converti à l’Islam, un Félix Vallotton, l’ami de Dreyfus, qui le défend dans Le Cri de Paris, un Henri Gabriel Ibels ou un Édouard Couturier qui animèrent le magazine Le Sifflet, concurrent au Psst... ! auquel ils répondent coup pour coup, à Jacques Villon dans Le Courrier français, à Maximilien Luce, qui raille « les filles à soldat » que sont devenus «  l’ex-communard Forain » et « le caporal Poiré, dit Caran d’Ache »,

Emile Zola
par Charles Léandre

à Léandre qui brocarde Drumont l’ogre bouffeur de Juifs, à l’élégant Paul Iribe, s’indignant de l’attentat contre Dreyfus au moment du transfert des cendres de Zola au Panthéon. Tous les talents du dessin n’étaient pas, heureusement, au seul service du déshonneur. Ce fut une vraie bataille.

Raymond Bachollet, qui rappelle que la petite fille de Dreyfus finit à Auschwitz, conclut brillamment cette « leçon d’histoire » par une rime d’image : Celle d’un dessin d’Esnault, couverture de La Libre Parole illustrée, montrant un Juif aux doigts crochus agrippé à une mappemonde face à l’affiche de l’exposition au palais Berlitz organisée par les nazis en septembre 1941, Le Juif et la France. L’image est quasi la même. Certains dessins ont un destin terrifiant.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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