« Instants volés », comme on dit « baisers volés » ? Sans doute. C’est Maurice Genevoix, dont on parle tant en ce moment, qui faisait remarquer, je ne sais plus où, je l’ai lu il y a longtemps, toute la poésie que recelait une phrase piquée au hasard dans la conversation d’une table de bistrot à côté de la nôtre. Sur cette seule incise, on peut imaginer une histoire, des personnages, des situations… C’est aussi un test bien connu en psychologie que celui qui permet d’évaluer l’imagination mais aussi le taux d’angoisse ou de morbidité du patient en lui faisant commenter une photographie, imaginer ce qu’il s’est passé avant ou après cette scène...
Il y a de cela dans chacune des images de ce beau livre : un moment d’intimité illustrant un instant, à l’opposé des déambulations urbaines de la dernière exposition de l’artiste. D’intimité mais aussi de timidité : chacune de ces figures est abordée avec une précaution empreinte de pudeur. Que le modèle soit nu ou habillé, endormi ou éveillé, il est regardé, abordé, avec une élégante délicatesse. L’instant « volé » est celui de l’abord, avant que la rêverie ne se dissipe dans une conversation forcément futile.
Cette délicatesse on la retrouve dans le traitement de la couleur qui s’inscrit dans la pratique déjà ancienne du serti à la Rouault et dans les vibrations chromatiques retrouvées de Gauguin ou de Maurice Denis mais avec des formes modernes : une petite robe, un déshabillé, le négligé d’une coiffure… car le focus est toujours centré sur le modèle, le reste de la scène restant le plus souvent dans l’abstraction.
À l’heure où le « jus numérique » est en train d’enlaidir le dessin, ce livre d’images est là pour nous rappeler le beau mot de contemplation.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Instants volés – Par Götting – Éditions Champaka - Dupuis – 120 pages – 55€
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