Vous connaissez sans doute Monsieur Desmesmaeker [1], l’homme des contrats de Gaston Lagaffe ? Eh bien, c’est le vrai nom de Jidéhem : De Mesmaeker. Jean De Mesmaeker : JDM. Pour l’anecdote, c’est le père de Jidéhem qui aurait servi de modèle au créateur de Gaston Lagaffe. Comment cela ? Parce que Jidéhem a été l’assistant de Franquin et même tout un temps le dessinateur du gaffeur.
Jidéhem fait partie de la seconde vague de ces dessinateurs belges qui découvrent dans l’après-guerre la voie tracée par Hergé, Jijé, Edgar Pierre Jacobs ou Franquin. Une vague de « seconds couteaux » qui vont néanmoins constituer l’épine dorsale de l’école belge.
Jidéhem fait ses classes dans l’hebdomadaire de Fernand Cheneval [2], Héroïc-Albums dont Tillieux avait été la principale découverte. Avec le personnage de Ginger, une démarque de Félix, Jidéhem ajoute sa contribution aux histoires policières hard boiled qui peuplent ce journal très inspiré par les comic-books américains dont il reprend d’ailleurs le format.
Bientôt, Héroic-albums tombe sous les coups de la Commission de censure de la Loi de 1949 et doit fermer ses portes. Nous sommes en 1956. Les talents d’Héroïc s’égayent alors un peu partout dans le paysage de l’édition belge : au Lombard qui cherche à ce moment un second souffle et qui récupère Tibet, Weinberg, les Funcken, Greg… ; chez Spirou, où la porte s’ouvre (enfin) pour Tillieux tandis que Craenhals passe un peu de temps dans les publications de l’Abbaye d’Averbode.
Le dessin de Jidéhem en ce temps-là n’est pas encore très personnel, il est clairement sous l’influence de Tillieux. Mais Tillieux encre comme Hergé, davantage à la plume, tandis que Jidéhem encre de façon plus ronde, comme le Franquin un peu rapide de Modeste & Pompon.
Dans l’atelier de Franquin
Cela n’échappe pas à Charles Dupuis qui sait que son auteur vedette a besoin d’un assistant. Franquin s’était, une fois de plus, embringué dans une situation inextricable : un temps fâché avec Dupuis, il avait signé un contrat de cinq ans avec le Lombard pour dessiner Modeste & Pompon qui démarre en 1955. Il se rabiboche ensuite avec Dupuis et continue de dessiner Spirou…
Mais ce n’est pas tout : Il assume, grâce à ou à cause d’Yvan Delporte, de plus en plus l’illustration rédactionnelle du journal : couverture de recueils, mise en valeur de la Une, ou encore illustration d’une rubrique automobile –une de ses passions- pour laquelle il crée le personnage de Starter en 1952 et qu’il anime régulièrement chaque semaine depuis 1956. Voici qu’en février 1957 arrive Gaston. Les coups de main des copains (Greg et Goscinny au scénario, Will ou Roba au décor…) ne suffisent plus.
Dupuis aime bien l’idée de la formation d’un atelier (chose qui se concrétisera plus tard avec Peyo) et envoie de plus en plus de jeunes dessinateurs prendre des conseils auprès de celui qui devient LA référence graphique du journal. Il aiguille vers lui le jeune dessinateur au chômage.
Quand il voit les possibilités de Jidéhem, Franquin lui refile aussitôt l’animation de Starter, puis les décors de Spirou (les épisodes scénarisés par Greg, son collègue d’Héroïc-Albums : Le Prisonnier du Bouddha et le cycle des Zorglub), enfin Gaston Lagaffe dont Jidéhem réalisera près de 500 planches en symbiose avec le créateur du Marsupilami.
Pendant de nombreuses années encore, Jidéhem travaillera dans l’ombre de Franquin. Lui qui était venu pour faire de la bande dessinée chez Spirou et qui travaille tous les jours avec le dessinateur le plus génial de cette génération souffre un peu de ne pas exister.
Son émancipation passera par une bande dessinée autour de Starter. Le personnage étant inventé par Franquin, Dupuis n’avait rien à redire. Subtilement, après deux épisodes, Jidéhem va imposer Sophie…
La présente édition comprend tous ces rétroactes et seul le premier épisode de Sophie, L’Œuf de Karamazout y est repris. Mais, à la clé, nous avons une flopée d’ « incunables » (dont le mini-récit de Starter), et ô combien de documents inédits. Une fois de plus, voici une intégrale intéressante.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Sophie Intégrale T1 : De Starter à Sophie – Par Jidéhem – Ed. Dupuis.
Lire l’interview de Walthéry à propos de Jidéhem.
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[1] Mais connaissez-vous son prénom ? Je vous le laisse deviner…
[2] Et non Chenneval, comme l’écrit le préfacier de cet ouvrage.
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