Une collection érotique chez les Requins Marteaux ? Mais qui a donc eu cette drôle d’idée ? Les responsables sont clairement identifiés. Ils ont pour nom Lisa Mandel, Cizo et Frédéric Felder. Jamais les derniers pour la poilade, les voila qui se lancent dans la gaudriole. Avec comme profession de foi de permettre « aux auteurs d’explorer leur libido en toute liberté tout en se confrontant à l’exercice imposé de la pornographie ».
Sans chichi, la collection s’appelle « BD Cul ». Peut-on être plus clair ? Si vous trouvez le nom un tantinet vulgaire, vous n’êtes pas forcément à ranger dans la catégorie des culs serrés. Cizo et Felder, chargés de l’identité visuelle de la collection, se placent en effet sous les auspices de la littérature de gare des années 1970, ces petits fascicules à prix modique dont les couvertures attiraient l’œil par leurs débordements impudiques en même temps qu’elles l’agressaient par des couleurs criardes aux associations douteuses. Le logo ainsi que la couverture du premier album de la collection « BD Cul » respectent en cela parfaitement le cahier des charges. Ce n’est pas une surprise de la part des Requins Marteaux : on a bien affaire ici à du porno postmoderne.
Mais curieusement, le contenant ne prépare en rien au contenu. Alors qu’on pouvait s’attendre à un premier album parodique, transpirant la gauloiserie et des dialogues à la Frédéric Dard, le résultat est à l’opposé de ces préjugés d’un autre temps, celui où les pornos passaient dans les salles à côté des films grand public. Le mérite en revient à Aude Picault, l’auteure de Comtesse, titre qui inaugure la collection.
Oubliés le second degré et les couleurs criardes, les pages de l’album adoptent la bichromie et l’histoire trouve son inspiration dans les années 70 certes, mais 1770, période où le Marquis de Sade était vigoureux comme un châtaigner. Il pourrait d’ailleurs très bien être l’auteur de cette bagatelle qui voit une jeune comtesse se morfondre dans son château en attendant le retour de son vieux comte de mari.
Et que fait-on dans un grand château quand on ne voit pas passer les heures ? Et bien on s’ennuie, on rêvasse, on imagine des choses avec ses domestiques, on rougit de les avoir imaginées, on hésite, on explore, on passe à l’acte et finalement, on prend du bon temps. Et c’est ce qui pourrait bien arriver au lecteur (ou à la lectrice) qui se laissera entraîner dans cette fantaisie de 120 pages sans paroles (et aux scènes parfois parfaitement explicites) dont l’intrigue n’est peut-être pas très originale mais qui a l’immense vertu de faire preuve d’une grande sincérité. Ajoutez à cela la précision et la douceur du trait et vous aurez un rafraîchissant récit érotique féminin, ancienne terra incognita aujourd’hui de plus en plus défrichée.
Et l’on se prend à attendre avec une saine curiosité les prochaines publications de la collection « BD Cul ». L’eau vient à la bouche en détaillant la liste des futurs pornographes : Killoffer, Morgan Navarro, Hugues Micol, Grégory Mardon, Nine Antico et Blutch. Un casting trois étoiles qui devrait faire des étincelles car, comme si l’on en croit l’éditeur albigeois dans son communiqué de presse : « la plupart des dessinatrices et dessinateurs ont une libido sur-développée mais une vie sexuelle quasi-inexistante. »
(par Thierry Lemaire)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Comtesse sort le 22 mai.
publication réservée aux adultes.
Participez à la discussion