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Les « Secrets » de Frank Giroud

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 septembre 2004                      Lien  
Le célèbre scénariste du Décalogue vient de lancer deux nouvelles séries dans la collection « Empreinte(s) » chez Dupuis. Leur thème ? Les secrets de famille inavouables... Rencontre avec un scénariste talentueux qui nous raconte les secrets de sa riche carrière.

Les « Secrets » de Frank Giroud  Du Décalogue à Louis La Guigne, en passant par cette nouvelle
collection "Secrets" chez Dupuis, vous ne cessez d’arpenter l’histoire. C’est dû à votre formation ?

D’abord, il y a un monde entre la façon dont “j’arpente” l’Histoire dans Azrayen ou certains tomes de Louis la Guigne, et les quelques références historiques présentes dans Secrets. Lorsque dans Azrayen (que Dupuis vient de rééditer en intégrale), je raconte les destins croisés du capitaine Valera, du jeune Meissonnier et de Takhlit, l’institutrice berbère, je porte effectivement, au-delà de ces drames
individuels, un regard sinon d’historien, du moins d’enquêteur sur la Guerre d’Algérie. Même chose pour Un automne à Berlin, l’Escouade pourpre ou Les Parias (tomes 3, 5 & 11 de Louis la Guigne). D’ailleurs, avant d’attaquer chacun de ces récits, j’ai épluché une masse de documentation considérable, et je n’ai pas hésité à me rendre sur place. Mais pour une bonne moitié, Le Décalogue n’a de rapport avec l’Histoire qu’au sens où les intrigues sont situées dans le passé, et il en est de même pour Secrets : dans L’Echarde, l’Histoire n’apparaît qu’à travers les allusions aux événements de Mai 68, et dans Le Serpent sous la Glace, qu’à travers l’anecdote de l’expédition soviétique au Pôle nord. Allusions et anecdote qui servent à construire l’intrigue et non à brosser un tableau de l’époque. Quant à L’Expert, dont une partie se déroule dans la Lituanie du XV° siècle, il s’agit là d’une vision beaucoup plus romanesque qu’historique.

Cela dit, l’Histoire me passionne depuis toujours et, quoi que j’écrive, il est rare qu’elle ne vienne pas pointer son nez quelque part ! Lorsque j’ai créé Mandrill, mon intention était simplement de construire un polar classique, dans l’esprit des films et romans noirs des Années Cinquante ; mais très vite et presque malgré moi, le contexte historique s’est imposé comme un élément majeur du récit.

- L’Histoire, ce sont aussi des histoires personnelles, vous l’avez dit. Dans quelle
mesure un destin personnel devient-il historique ?

Le destin personnel devient historique dans deux cas : lorsque l’individu, par ses actes ou ses prises de position, influe sur le cours des événements (par exemple lorsque Louis la Guigne, dans L’Escouade pourpre, empêche, sans saisir toutes les implications de son acte, un attentat contre Mussolini) ; ou lorsque le destin individuel devient emblématique. Dans Les Oubliés d’Annam, par exemple, Henri Joubert n’accomplit aucun exploit, mais par ses choix, ses espoirs, ses souffrances et ses désillusions, il représente ceux que l’on appelait les « Ralliés » ou les « Soldats blancs
d’Hô-Chi-Mihn ».

- On découvre avec ces albums qu’aux côtés des secrets d’état, il y a les secrets de famille. Les deux se rejoignent-ils parfois ?

Pour l’instant, ce n’est pas mon propos mais dans la réalité, il y a souvent coïncidence, bien sûr. Le cas le plus récent et le plus connu est celui de Mitterrand et de Mazarine.

- Dans L’Echarde, le père d’Annette et Hélène n’a pas pu supporter le poids de l’Histoire... La culpabilité finit par détruire la famille mais aussi par la libérer du mensonge... Cela ressemble à des choses que vous avez connues ?

L’Echarde est une histoire en deux tomes, et je doute que beaucoup de lecteurs aient déjà deviné ce qui pousse le père d’Annette au suicide. Je ne dévoilerai pas le pot aux roses, mais ce que je peux dire, c’est que... ce n’est ni la culpabilité, ni le poids de l’Histoire qui a provoqué son geste ! Par contre, il est acquis qu’une culpabilité, surtout lorsqu’elle est tue, rentrée, cadenassée à l’intérieur d’un individu, aura un jour ou l’autre des effets dévastateurs. Dans ma propre famille, les conséquences du secret ont été beaucoup moins tragiques, mais l’un de mes partenaires professionnels a effectivement connu ce genre de drame.

- Vos personnages ont tous un pan de leur vie qui était resté ignoré des proches. Si on comprend bien, derrière chaque personne que vous croisez, il y a un mystère à décrypter. Vu comme cela, la vie doit être passionnante...

La question semble ironique, mais je suis prêt à relever le défi. Présentez-moi une femme ou un homme persuadé(e) de n’avoir aucun secret, et donnez-moi la possibilité d’éplucher les livrets de famille de ses ascendants, d’interroger quelques aïeux et d’aller jeter un coup d’œil à quelques pierres tombales... Nous verrons alors s’il n’y a aucun mystère à décrypter !

- Si L’Echarde se passe à Paris, Le Serpent sous la Glace se déroule en Russie. Ce n’est pas la première fois que vous nous emmènez vers l’Est... C’est dû à vos voyages ?

Mes voyages m’ont plusieurs fois conduit à l’Est, c’est vrai, mais pas plus qu’ailleurs (je connais beaucoup mieux l’Afrique, par exemple). Cela dit, pour une histoire de secrets, quel meilleur cadre que ces contrées qui, durant un demi-siècle, sont restées coupées du reste du monde ? Bien que je ne rejette pas tous les acquis du communisme, loin de là, force est de reconnaître que le bloc de l’Est a été le royaume de l’opacité, du mensonge, des manipulations... et du secret. Bref : un
monde terrible pour ceux qui ont eu à le subir... mais fascinant pour un scénariste !

- Entre Jovanovic et Duvivier, vos méthodes de travail ont dû être très différentes.

Eh bien, lorsque nous avons décidé de travailler ensemble, Marianne ne faisait plus de BD depuis des années, et pour se remettre dans le bain, elle a eu besoin de se sentir épaulée. Notre relation a donc été particulièrement étroite... ce qui était plutôt agréable, vu que Marianne est une femme charmante et adorable ! La série elle-même tire son origine de notre relation. C’est au cours d’une promenade dans le Père-Lachaise, assortie de discussions sur les drames cachés de nos familles respectives, que nous est venue l’idée de Secrets. Par la suite, l’élaboration de L’Echarde, du scénario au crayonné en passant la mise en scène et le story-board, s’est faite à coups d’échanges permanents.

Avec Milan, les conditions étaient différentes. D’abord, les pages qu’il dessine régulièrement pour les “comics” yougoslaves lui donnent pratique et confiance ; aussi, en ce qui concerne les échanges, est-il moins demandeur. Ensuite, il habite Belgrade, ce qui limite nos possibilités de rencontre. Je suis allé le voir une fois, et il est venu une fois à Paris : le reste du temps, nous communiquons par mail. Mais nous avons des goûts communs et la même vision de ce que doit être une bonne BD, tant au point de vue de l’histoire que du dessin, si bien que notre collaboration se passe très bien. Pour moi, c’est toujours un régal de recevoir ses planches !

Propos recueillis par Didier Pasamonik, à Paris, le 26 septembre 2004.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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