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Les Tontons Dalton - Par Laurent Gerra, Jacques Pessis et Achdé - Lucky Comics

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 décembre 2014                      Lien  
Produite à rythme cadencé, un album tous les deux ans, en alternance avec un "Kid Lucky", la série "Lucky Luke" est un classique que l'on ressort chaque année avec le sapin, les boules de noël et les santons de la crèche. Hélas, parfois la fête est décevante.

Lucky Luke est sans conteste un des grands héros de notre enfance. Depuis sa création par Morris en 1947, un gars qui était le compagnon de route de Jijé, de Franquin, de Peyo, de Will et de Paape, le gratin de l’école belge, et qui avait appris la fine stylisation du trait en vivant quelques années à New York où il fréquentait Harvey Kurtzman ou Bill Everett, ce gars-là fut le premier à repérer le talent de René Goscinny. Il lui confia Lucky Luke et Jolly Jumper.

De cette pépite, Goscinny fit un joyau, notamment en ressortant de la naphtaline les Dalton que Morris, par respect pour l’histoire de ces authentiques malfrats de l’Ouest, avait envoyé ad patres. Goscinny et Morris firent de Lucky Luke la quintessence de la parodie du western, celui de Tom Mix, de John Ford, de Howard Hawks, de John Sturges, de Fred Zinnemann, de George Stevens... Un western qui avait du panache, une certaine noblesse, sorte de chanson de geste de l’Ouest.

De son côté, le dessin de Morris était élégant, séduisant et stylé comme un sourire de Cary Grant, nonchalant comme une réplique de Jack Palance.

Goscinny comme Morris avaient vécu quelques années en Amérique. Leur connaissance du pays était non seulement observée mais sentie. De 1954 à 1977, ils nous ont livré un western parodique qui faisait écho à l’histoire de France selon Astérix. Avec leur sens de la caractérisation, ils ont fait surgir avec intelligence des personnages qui ont marqué nos imaginaires : Rantanplan, Calamity Jane, Billy the Kid, Jesse James, Roy Bean... L’histoire du western était sollicitée pour mieux ridiculiser les fripouilles qui en constituaient la légende.

Cette magie-là, nous ne la retrouvons pas dans le dernier épisode de la série, Les Tonton Dalton. La première intervention de Laurent Gerra sur la série -peut-être un bon imitateur de télévision, mais un piètre imitateur de bande dessinée- avait fait un succès de librairie sans doute en raison de la curiosité que suscitait le passeur de plats de Michel Drucker. Mais les histoires restaient peu imaginatives, les gags cousus au fil qui chante (téléphonés, allô quoi...), et le sujet, perclus de private jokes en guise de gags, sans grand intérêt. Achdé, appliqué et sympathique, suivait comme il pouvait. Le moment de surprise passé, l’album suivant eut une réception bien plus tiède que la première, même si l’esprit de la série était mieux respecté.

Ensuite, c’est le duo Benacquista/Pennac qui se mit au scénario. Au moins, ces deux-là savaient raconter une histoire. Mais pour l’humour et l’invention, ce n’était pas ça...

Nous revoici avec le comique de la télévision, assisté de Jacques Pessis, journaliste et producteur de TV, grand connaisseur d’humour puisqu’il est l’exécuteur testamentaire de Pierre Dac, l’homme de Radio Londres qui employa Goscinny dans L’Os à moëlle. On découvre le chroniqueur mondain du Figaro scénariste de BD alors qu’il était jusqu’ici éditeur des classiques du Lombard et pourvoyeur de stars médiatiques chez Dargaud. Là encore, la déception est au rendez-vous.

Les Tontons Dalton - Par Laurent Gerra, Jacques Pessis et Achdé - Lucky Comics
Les Tontons Dalton - Par Laurent Gerra, Jacques Pessis et Achdé
© Lucky Comics

D’abord dans le propos original : alors que la série Lucky Luke est d’un bout à l’autre une parodie du western, élément constitutif de son identité, les auteurs prétendent nous coller un hommage au cinéma français des années 1960, et en particulier aux Tonton flingueurs de Georges Lautner, avec force hommages lourdingues au cinéaste en frontispice, comme si avoir bu des coups avec un grand homme conférait une quelconque légitimité. Idem pour Audiard, le Goscinny du cinéma français, totémisé de la même manière. Inutile de dire que ni le sens de la caractérisation du cinéaste, ni le génie du dialoguiste ne sont au rendez-vous. Lautner dans Lucky Luke, c’est comme introduire des extra-terrestres dans Astérix (Ah bon, ça a été fait ?), c’est une rupture de la convention implicite passée entre les auteurs et le lecteur. Un coup de canif dans le contrat.

Les auteurs trouvent aux Dalton un neveu, comme naguère Goscinny leur trouva une mère (que l’on retrouve ici à contre-emploi, les géniales trouvailles de Goscinny se trouvant ridiculisées) et Bob De Groot, un oncle... Avec ça, tout est dit : le récit est poussif, paresseux, faussement révérencieux. Et Achdé suit, aussi fatigué que ses scénaristes, en Jolly Jumper fourbu. Le précédent Lucky Luke n’avait pas rencontré le public, on avait même parlé à son sujet d’"accident industriel"... Nous ne serions pas étonné que celui-ci prenne le même chemin...

Le moment est peut-être venu de reconsidérer la destinée de cette licence. Naguère, des scénaristes comme Léturgie et Fauche, Bob De Groot, Lo Hartog van Banda ou Yann (ces derniers parmi les meilleurs) avaient porté la série avec talent sans la trahir. Certains de ces scénaristes, qui ont assuré des ventes au-delà du million d’exemplaires au titre, sont encore disponibles. Cela n’aurait-il pas plus de sens de solliciter ces véritables auteurs de BD plutôt que des intermittents du spectacle forcément au plus bas de leur talent ? Cela motiverait certainement davantage un dessinateur qui n’est pas, lui non plus ici, à son meilleur niveau.

Les Tontons Dalton - Par Laurent Gerra, Jacques Pessis et Achdé
© Lucky Comics
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(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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17 Messages :
  • ou proposer aux frères Coen ou à Tarantino d’écrire le scénario, les dialogues. Succès garanti.

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  • Bien d’accord avec votre analyse, cet album n’apporte pas grand chose au mythe original. Gerra fait de bonnes imitations vocales, comme un Gai (Thierry le) Luron, il doit bien gagner sa vie avec ses émissions de radio et de télé, alors qu’a t’il besoin d’envahir les librairies de BD avec des albums de cet acabit ? Qu’il laisse aux vrais scénaristes de BD le soin d’écrire de vraies BD, le monde n’en tournera que mieux !

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  • Cela reste toutefois moins pire que le Iznogoud de son collègue Nicolas Canteloup.
    J’en connais un qui doit se retourner dans sa tombe, en voyant à qui a été légué son prestigieux héritage...

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  • Audouart, le Goscinny du cinéma français. C’est la première fois que j’entends un truc pareil. Audouart, le bérêt, baguette, pinard, pur parigot et sa gouaille, et Goscinny, humour plus coloré,plus fantaisiste, un humour d’immigré polono-argentin . Autant dire que ça n’a rien à voir.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 décembre 2014 à  16:54 :

      Audiard, mon bon monsieur. Audiard. Vous ne connaissez pas Goscinny manifestement, ni la biographie, ni l’œuvre. Je crois qu’il aurait pris cette comparaison un peu osée comme un compliment.

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      • Répondu le 15 décembre 2014 à  17:31 :

        C’est vrai, Merci pour la correction.Je confonds avec un bon pote à moi qui s’appelle Audouar. Il aurait été flatté. Qu’est-ce que vous en savez de ce que je connais de Goscinny et d’Audouar, pardon Audiard ?RIEN. Voici donc ce que je pense : curieuse comparaison. Ce n’est pas insultant, il me semble.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 décembre 2014 à  17:45 :

          Qu’est-ce que vous en savez de ce que je connais de Goscinny et d’Audouar, pardon Audiard ?RIEN.

          Parler de Goscinny en disant qu’il pratique "un humour d’immigré polono-argentin" prouve que vous ne connaissez rien de lui. RIEN.

          Et RIEN d’Audiard non plus.

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  • Je ne sais pas combien de fois le verbe DECEVOIR est décliné dans votre post mais Il y en a un paquet.est-ce une rengaine ?

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 décembre 2014 à  16:52 :

      Deux fois, une fois dans l’intro et une fois dans la conclusion. C’est trop pour dire que l’on a été déçu ? Oui, oui, on a été déçu. Par Gerra, par Pessis, par Achdé et par Lucky Productions. Dé-çu. Là ça fait un paquet de fois.

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      • Répondu le 15 décembre 2014 à  17:23 :

        Faut vous en remettre alors,Une fois, ça va, on a compris. Deux fois, on remet une couche. 3 fois : je commence à m’inquiéter . Y a quand même pire dans la vie qu’une bd ratée, non ?

        Des bides, tout le monde a connu des bides, eux, vous...Pourquoi un tel acharnement sur une bd pas plus mauvaise que certaines qui sont souvent ici encensées ?

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 décembre 2014 à  17:52 :

          Faut vous en remettre alors,Une fois, ça va, on a compris. Deux fois, on remet une couche. 3 fois : je commence à m’inquiéter . Y a quand même pire dans la vie qu’une bd ratée, non ?

          Oh oui, il y a pire. Et alors ?

          Des bides, tout le monde a connu des bides, eux, vous...

          Vous, non ? Bravo, quel talent !

          Pourquoi un tel acharnement sur une bd pas plus mauvaise que certaines qui sont souvent ici encensées ?

          Rooo, de l’acharnement, alors qu’on est simplement déçu,déçu,déçu,déçu,déçu...

          Ce serait un post de troll, en s’en foutrait. Mais LE Lucky Luke, le monument bâti par Morris et Goscinny ! Ah là là : déçu,déçu,déçu,déçu,déçu... Et oui, déçu.

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          • Répondu le 15 décembre 2014 à  18:58 :

            Je m’en trolle de ces navets, c’est ça que ça voulait dire.Si on veut lire LE LUCKY LUKE, on les relit. et on s’en balance de ces navets. Pourquoi même en parler ?? Justement en parler c’est faire leur pub !Eclairez-nous puisque vous êtes un grand connaisseur au lieu de nous parler de votre déception qui m’a appris quoi au final ? quoi ?

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            • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 15 décembre 2014 à  23:12 :

              Bien sûr, on vous a attendu 17 ans pour que vous nous indiquiez ce que nous avons à faire. Tous nos lecteurs ne sont pas aussi brillants ni aussi omniscients que vous. Nous avons l’orgueil de croire qu’ils ont le droit d’être informés. Voilà pourquoi. Mais cela ne concerne pas votre esprit élevé. Nous sommes les premiers surpris que vous ayez pris le temps de nous lire. C’est sans doute là un de ces miracles dont Noël a le secret.

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  • C’est effrayant le nombre de médiocres qui croient avoir le talent d’Audiard parce qu’ils ont eu l’occasion de partager un repas avec Georges Lautner. Ils sont généralement prompts à sortir le "Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnait" sans s’apercevoir que ça s’adresse avant tout à eux-mêmes.

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    • Répondu le 19 décembre 2014 à  22:39 :

      quelle férocité quelle méchanceté.Est-ce bien nécessaire de flinguer ainsi des gens même si on n’aime pas leur travail ?

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  • Triste fin d’année : un Spirou médiocre, un Lucky Luke moyen... Ne serait il pas temps de laisser ces monuments de la bande dessinée tranquilles, de ne pas multiplier les mauvais albums, afin de ne pas couler définitivement ces chefs-d’œuvre d’antan dans le cœur des lecteurs ?

    Hélas, entre les éditeurs frileux de laisser à l’abandon ce qui constituent quelques uns de leurs best-sellers, et des auteurs peu imaginatifs et, disons le encore, médiocres, qui vivent des cendres de leurs illustres et prestigieux prédécesseurs, je crois qu’on devra encore subir longtemps ces mauvais albums qui décrédibilisent les légendes du 9ème art...

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    • Répondu par Polo le 16 décembre 2014 à  09:48 :

      Qui décrédibilisent le 9ème art tout court.

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