Lucky Luke est sans conteste un des grands héros de notre enfance. Depuis sa création par Morris en 1947, un gars qui était le compagnon de route de Jijé, de Franquin, de Peyo, de Will et de Paape, le gratin de l’école belge, et qui avait appris la fine stylisation du trait en vivant quelques années à New York où il fréquentait Harvey Kurtzman ou Bill Everett, ce gars-là fut le premier à repérer le talent de René Goscinny. Il lui confia Lucky Luke et Jolly Jumper.
De cette pépite, Goscinny fit un joyau, notamment en ressortant de la naphtaline les Dalton que Morris, par respect pour l’histoire de ces authentiques malfrats de l’Ouest, avait envoyé ad patres. Goscinny et Morris firent de Lucky Luke la quintessence de la parodie du western, celui de Tom Mix, de John Ford, de Howard Hawks, de John Sturges, de Fred Zinnemann, de George Stevens... Un western qui avait du panache, une certaine noblesse, sorte de chanson de geste de l’Ouest.
De son côté, le dessin de Morris était élégant, séduisant et stylé comme un sourire de Cary Grant, nonchalant comme une réplique de Jack Palance.
Goscinny comme Morris avaient vécu quelques années en Amérique. Leur connaissance du pays était non seulement observée mais sentie. De 1954 à 1977, ils nous ont livré un western parodique qui faisait écho à l’histoire de France selon Astérix. Avec leur sens de la caractérisation, ils ont fait surgir avec intelligence des personnages qui ont marqué nos imaginaires : Rantanplan, Calamity Jane, Billy the Kid, Jesse James, Roy Bean... L’histoire du western était sollicitée pour mieux ridiculiser les fripouilles qui en constituaient la légende.
Cette magie-là, nous ne la retrouvons pas dans le dernier épisode de la série, Les Tonton Dalton. La première intervention de Laurent Gerra sur la série -peut-être un bon imitateur de télévision, mais un piètre imitateur de bande dessinée- avait fait un succès de librairie sans doute en raison de la curiosité que suscitait le passeur de plats de Michel Drucker. Mais les histoires restaient peu imaginatives, les gags cousus au fil qui chante (téléphonés, allô quoi...), et le sujet, perclus de private jokes en guise de gags, sans grand intérêt. Achdé, appliqué et sympathique, suivait comme il pouvait. Le moment de surprise passé, l’album suivant eut une réception bien plus tiède que la première, même si l’esprit de la série était mieux respecté.
Ensuite, c’est le duo Benacquista/Pennac qui se mit au scénario. Au moins, ces deux-là savaient raconter une histoire. Mais pour l’humour et l’invention, ce n’était pas ça...
Nous revoici avec le comique de la télévision, assisté de Jacques Pessis, journaliste et producteur de TV, grand connaisseur d’humour puisqu’il est l’exécuteur testamentaire de Pierre Dac, l’homme de Radio Londres qui employa Goscinny dans L’Os à moëlle. On découvre le chroniqueur mondain du Figaro scénariste de BD alors qu’il était jusqu’ici éditeur des classiques du Lombard et pourvoyeur de stars médiatiques chez Dargaud. Là encore, la déception est au rendez-vous.
D’abord dans le propos original : alors que la série Lucky Luke est d’un bout à l’autre une parodie du western, élément constitutif de son identité, les auteurs prétendent nous coller un hommage au cinéma français des années 1960, et en particulier aux Tonton flingueurs de Georges Lautner, avec force hommages lourdingues au cinéaste en frontispice, comme si avoir bu des coups avec un grand homme conférait une quelconque légitimité. Idem pour Audiard, le Goscinny du cinéma français, totémisé de la même manière. Inutile de dire que ni le sens de la caractérisation du cinéaste, ni le génie du dialoguiste ne sont au rendez-vous. Lautner dans Lucky Luke, c’est comme introduire des extra-terrestres dans Astérix (Ah bon, ça a été fait ?), c’est une rupture de la convention implicite passée entre les auteurs et le lecteur. Un coup de canif dans le contrat.
Les auteurs trouvent aux Dalton un neveu, comme naguère Goscinny leur trouva une mère (que l’on retrouve ici à contre-emploi, les géniales trouvailles de Goscinny se trouvant ridiculisées) et Bob De Groot, un oncle... Avec ça, tout est dit : le récit est poussif, paresseux, faussement révérencieux. Et Achdé suit, aussi fatigué que ses scénaristes, en Jolly Jumper fourbu. Le précédent Lucky Luke n’avait pas rencontré le public, on avait même parlé à son sujet d’"accident industriel"... Nous ne serions pas étonné que celui-ci prenne le même chemin...
Le moment est peut-être venu de reconsidérer la destinée de cette licence. Naguère, des scénaristes comme Léturgie et Fauche, Bob De Groot, Lo Hartog van Banda ou Yann (ces derniers parmi les meilleurs) avaient porté la série avec talent sans la trahir. Certains de ces scénaristes, qui ont assuré des ventes au-delà du million d’exemplaires au titre, sont encore disponibles. Cela n’aurait-il pas plus de sens de solliciter ces véritables auteurs de BD plutôt que des intermittents du spectacle forcément au plus bas de leur talent ? Cela motiverait certainement davantage un dessinateur qui n’est pas, lui non plus ici, à son meilleur niveau.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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