Tandis que son mari gaspille leur argent dans des entreprises hasardeuses, la jeune Pomeria s’ennuie à la maison. Un jour, un inconnu lui propose trois chiens en échange de ses bijoux. Pomeria accepte, ravie d’avoir des compagnons pour égayer sa solitude, mais son mari furieux s’en prend violemment à elle. Les trois chiens protègent Pomeria et elle s’enfuit avec eux. Ils la libèrent ensuite de sa longue et lourde chevelure, symbole de son enchaînement au foyer. Grâce à leurs pouvoirs, elle pénètre dans un palais où tous ses vœux sont exaucés.
Après quelque temps, elle revient chercher Sénio. Bien que son mari sidéré l’accueille d’abord en la traitant de sorcière, elle lui propose de la suivre dans son château magique, ce que Senio s’empresse d’accepter. Le château continue de pourvoir à tous leurs besoins. Pomeria profite de cette émancipation des tâches ménagères pour étudier, toujours accompagnée de ses trois chiens. Senio quant à lui s’enlise dans l’oisiveté, multipliant les souhaits futiles, jusqu’à ce qu’il provoque la colère du génie du château. Pour sauver sa peau, il est prêt à sacrifier Pomeria, mais les trois chiens veillent...
La dessinatrice Laura Camelli utilise une trichromie en orange, mauve et noir pour illustrer le conte avec force et lisibilité, tout en laissant la part belle à l’imaginaire. Le château magique a des airs de palais des Mille et Une nuits et le génie du château rappelle les dragons asiatiques tandis que la masure du couple semble nichée au cœur d’une forêt européenne. Ces références multiples contribuent à rappeler à l’universalité du conte. Les chiens, représentés par des traits noirs charbonneux aux contours flous, sont une présence constante à la fois rassurante et inquiétante, dont la dessinatrice joue avec subtilité.
Le scénariste Samuel Daveti opère la réécriture d’un conte de son pays en mélangeant les archétypes du genre à quelques éléments anachroniques : au cœur du château, lorsque Senio commande du poulet frit, un cornet tout droit sorti d’un fast food apparaît dans ses mains. Tout en apportant une touche humoristique, ces ruptures indiquent la valeur intemporelle du conte.
De nos jours, nous vivons dans ce château magique où la nourriture nous est livrée d’un simple clic. Mais il nous appartient de faire bon usage du temps libéré par les services contemporains. Auparavant débordée par les tâches ménagères, Pomeria jouit de son temps libre pour étudier et se préparer à réaliser son rêve, tandis que Senio ne sait que dilapider le sien, qu’il soit seigneur ou mendiant.
Le plus étrange dans ce conte est l’attachement de Pomeria envers Senio, un personnage dénué de toute qualité, hormis un certain bagou. Ce n’est que lorsqu’il la trahit et révèle sa bassesse qu’elle se libère définitivement de son emprise. Elle devient enfin réellement indépendante.
C’est peut-être cette expérience de vie maritale puis d’émancipation qui lui permet de refuser une proposition de mariage à la fin du conte. Au lieu de la fin attendue que constitue le mariage princier, Poméria préfère continuer à explorer le monde. Une rafraîchissante morale d’indépendance et d’émancipation pour un conte bien moderne.
(par Lise LAMARCHE)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"Les Trois Chiens", par Samuel Daveti et Laura Camelli, chez Sarbacane.
19 x 26cm, 88 pages, 17.00€