Ce n’est pas la première fois qu’une bande dessinée se trouve traduite en yiddish. Dès la fin du 19e Siècle des bandes dessinées paraissent dans les journaux yiddish publiés à New York et à Paris. Dans les premiers comic strips américains, même quand ils ne sont pas créés par des auteurs juifs, des mots de yiddish cockney apparaissent sporadiquement.
Dans les années 1920, le célèbre poète yiddish Der Tunkeler, le traducteur yiddishiste de Henrich Heine, traduisit les bandes dessinées de Wilhelm Busch (Max und Moritz devenant Notl un Motl), un auteur pourtant qui donna parfois une image peu flatteuse des juifs.
Mais le premier album à proprement parler date de 1984 : Il s’agit d’Un contrat avec Dieu de Will Eisner (An Opmakh mit Got, coédition entre la librairie Lambiek et Magic Strip) publiée en deux versions : lettres hébraïques et lettres romaines. Rien d’étonnant à ce que les aventures de Fromme Hirsch se retrouvent dans la langue parlée par les parents de Will Eisner qui étaient autrichiens. Le succès n’a pas été fulgurant : les jeunes juifs ne parlant pas le yiddish, et les vieux juifs ne lisant pas les bandes dessinées…
Une édition paradoxale
Et voici que Tintin s’y met. À l’occasion de la Foire du Livre d’Anvers qui a eu lieu le 7 novembre dernier, une association néerlandaise, Hergé Genootschap, avait organisé une bourse des éditions étrangères de Tintin. Le reporter à la houppe est en effet traduit dans une centaine de langues et les organisateurs avaient organisé une rencontre avec plusieurs des traducteurs de Tintin. C’est dans cette circonstance qu’a été présentée la maquette d’une version de Tintin en yiddish traduite en accord avec les éditions Casterman.
Pour les juifs, ce rapprochement est surprenant car tous ont en mémoire les différentes représentations des juifs par Hergé dans Tintin, portant souvent les traces de l’antijudaïsme chrétien si commun dans la bande dessinée belge [1]. On se souvient du fripier juif dans Tintin au Pays des Soviets, de l’antiquaire de L’Oreille cassée, de Rastapopoulos dont bien des caractéristiques renvoient au « rastaquouère » producteur de cinéma stigmatisé par Céline, jusqu’aux dessins carrément antisémites de L’Étoile mystérieuse, parus dans Le Soir volé en 1942. Il n’est pas jusqu’à la représentation des terroristes juifs de L’Or noir apparaissant au lendemain de la guerre (disparus dans les versions ultérieures) qui ne soient marquée d’ambigüité.
Hergé s’est longuement expliqué sur ces clichés qu’il attribuait à son environnement (il qualifia lui-même Le Vingtième Siècle de journal d’ « extrême-droite ») et s’en est parfois même excusé. Il est probable qu’il aurait beaucoup apprécié cette version en « langue juive » [2] qui sonne un peu pour lui comme une réhabilitation. Cette version n’est en ce moment qu’à l’état de maquette, mais quand elle sera en librairie, nous ne manquerons pas de vous en informer.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Source de l’info : Objectif Tintin
En médaillon : Dessins d’Hergé. (c) Moulinsart.
[1] Certains lecteurs savent que je planche depuis quelques années sur la question, ces travaux devant aboutir dans un ouvrage collectif, La Diaspora des bulles, non encore achevé à ce jour.
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