Le dessinateur américain Ben Katchor, dans les pages d’ActuaBD.com, était sceptique sur le sujet : « Vous savez, disait-il à propos de l’élection de George W. Bush, je pense que les BD ou les caricatures dites « engagées » sont seulement lues par les gens que cela concerne. La grande masse des électeurs ne s’y intéresse pas. C’est pourquoi vous trouvez très peu de ces travaux dans les grands journaux. » De fait, les habitués de Charlie Hebdo, de Siné Mensuel et du Canard enchaîné connaissent. Mais les autres médias ? Ils sont peu engagés dans le dessin.
Reste cette question : pourquoi fait-on ce genre de livre ? Est-ce comme un tract électoral qui, comme le diagnostique Ben Katchor, ne convaincra que les convaincus, ou est-ce là pour mieux cristalliser les arguments que l’on veut opposer au candidat ? Il est clair que la plupart de ces livres ne sont pas destinés à être des classiques, des ouvrages de fonds de librairie, ni même des opuscules de référence en sciences politiques une fois l’élection passée… Quoique.
La voix de l’opposition ?
Le fait est qu’elles sont de plus en plus documentaires, de mieux en mieux renseignées, participant au phénomène de la « BD de reportage » qui, depuis Rural d’Étienne Davodeau (Delcourt, 2001) et quelques autres, ont façonné la bande dessinée contemporaine. Et si elles étaient là pour « faire histoire », opérant un véritable travail de mémoire ?
C’est semble-t-il l’objectif de cette Présidence Macron sous enquêtes publiée par Mediapart/La Revue Dessinée. En introduction de cet album, on a ce petit rappel : « On a tendance à l’oublier mais sans l’affaire Fillon, Emmanuel Macron n’aurait sûrement jamais été élu président de la République en 2017. » Cela se discute bien sûr, mais cela permet dans la foulée de lister une longue liste de « reniements », de « dossiers gênants », de « pratiques que l’on espérait oubliées… » Et d’évoquer la probité d’une présidence « qui n’aura jamais été exemplaire. » C’est une publication de Mediapart. Ils sont dans leur rôle...
Que la bande dessinée devienne la voix d’une opposition, c’est le jeu démocratique. Avant eux, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande se sont fait passer au kärcher des bulles. Leurs commentaires politiques en sont venus à la BD, si l’on en croit Richard Malka, scénariste de BD et avocat de Charlie Hebdo : « du fait qu’il y avait déjà eu beaucoup d’ouvrages [sur ces hommes politiques, NDLR], mais que ceux-ci n’avaient pas touché un large public : par le média BD, le public touché pourrait être plus large. Même les gens pas franchement politisés pourront être séduits par ce support, d’un abord plus facile… »
Sur les pas des candidats
Il est vrai qu’aujourd’hui, suite aux attentats contre Charlie Hebdo, où la caricature a payé « le prix du sang » (la formule est de l’historien Pascal Ory), la bande dessinée a obtenu ses lettres de noblesse auprès des politiques, eux-mêmes souvent lecteurs de BD.
Lors d’une précédente élection, dans nos pages, Laurent Wauquiez, Philippe Poutou, Eva Joly, François Bayrou ou Nicolas Dupont-Aignan avaient pu exprimer, avec plus ou moins d’habileté, leur opinion sur la bande dessinée.
C’est dans cette même logique que dans cette élection, des dessinateurs ont emboîté le pas des candidats. Nous vous en avons déjà parlé et l’album sortira le 10 mai 2022. Cela ne s’était jamais vu auparavant. Cela s’appelle « Carnets de campagne » et c’est publié par Dargaud/Le Seuil. Cela témoigne du statut que la bande dessinée a désormais acquis dans la société.
Un précipité de la politique
Mais aussi du mode de lecture de la politique d’aujourd’hui qui se concentre sur les punchlines et les images-choc. Ainsi, de De Gaulle, on ne retient que quelques-unes de ses phrases-clés : « Je vous ai compris ! » « Vive le Québec Libre », et pas trop le reste.
La caricature, parfois même, invente ces phrases-choc ! Le « Je suis Dieu » de Kermitterrand dans le Bêbête Show, le « Mangez des pommes ! » de Chirac dans Les Guignols de l’info…
Dans La Présidence Macron sous enquêtes, François de Rugy est un tragédien silencieux en dépit de ses conflits d’intérêt supposés, Alexandre Benalla est jusqu’à la caricature un collectionneur de casseroles, Dupont-Moretti un « acquittator » procédurier, Gérald Darmanin, le « ministre du viol », etc.
Ces traits resteront figés dans cet album, en dépit des procédures, des acquittements et des non-lieux obtenus ou à venir. Le trait fige le propos. C’est un précipité de l’action politique, du règne d’un homme politique pendant son mandat, qui a dû porter bien plus loin que le résumé que l’on nous offre. Telle est l’Histoire, aveugle parfois, mais aussi aveuglante.
On peut le résumer par cette formule « La caricature, c’est ce qui reste des hommes politiques quand on a tout oublié. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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