Ernestito Guevara, dit ‘le Che’ est devenu depuis longtemps un personnage immortel. Au-delà des films ou des livres qui retracent sa vie, c’est le mythe même qui fait battre le cœur des hommes à travers le monde : celui d’un médecin qui voulait soigner les horreurs de ce monde, les armes à la main ; celui d’un idéaliste qui croyait à l’homme nouveau, prenant son destin à bras-le-corps ; celui d’un intellectuel au physique malingre qui fit sien les combats des autres, ne pouvant rester sourd aux injustices qui lui vrillaient le regard, lui vrillaient les tympans.
Des auteurs d’exception, pour évoquer la vie du Che
Des années après son exécution en Bolivie, il paraît alors important à un de ses compatriotes argentins, d’expliquer sa vie, ce parcours hors-norme, mais aussi ce qui a poussé le Che à se battre pour les peuples sud-américains et africains, sans connaître de répit, et après avoir abandonné sa famille. Cet homme, c’est Hector Œsterheld, et sa vie devrait également faire l’objet d’un livre.
Après avoir déjà collaboré avec Alberto Breccia sur Mort Cinder, l’écrivain engagé veut publier une bande dessinée traitant de la vie du Che. Déjà dessinateur et illustrateur fort réputé à l’époque, Alberto Breccia fit appel à son fils pour l’aider dans cette entreprise. [1]
Les Breccia, père et fils, vont surtout aborder cette illustration de manière très innovante, tout en noir et blanc, avec des positif-négatifs hypnotisant. Encore maintenant, cet album frappe par sa composition originale et l’intensité qui s’en dégage. Il faut avouer que le scénario d’Œsterheld donnait la mesure de l’œuvre. Les courtes phrases se succèdent, comme les claquements secs d’une mitraillette. Dans le même texte, des idées diverses se bousculent et se télescopent, donnant l’image d’un Guevara tour-à-tour anéanti et galvanisé par la misère sud-américaine. Parfois des bulles, mais pas trop, car ce sont les actions qu’il faut retenir, pas les paroles ! Alors on place souvent quelques phrases dans les commentaires, mais au même niveau que les descriptions. Décidément, ce que le Che a vécu ne ressemble à rien que l’on puisse connaître.
Un album encensé, puis interdit et brûlé
A sa parution, en 1968, cette biographie illustrée est un succès. Soixante mille exemplaires sont vendus en quelques semaines en Argentine. Mais, dans cette valse mortelle qui scande ce continent sud-américain, le régime tombe, et en 1973, la junte qui prend le pouvoir va interdire ce recueil d’idées communistes. Les dessinateurs sont menacés, les planches originales sont brûlées, et seuls quelques exemplaires seront cachés sous un arbre de leur jardin. Lui reprochant ses accointances et ses idées gauchistes, les militaires arrêtent Hector Œsterheld en 1977, et l’année suivante, ils l’exécutent.
C’est en Europe que des années plus tard, quelques passionnés imprimeront diverses éditions dans des tirages confidentiels [2]. Et 40 ans après son édition en Argentine, le public francophone peut enfin découvrir ce livre avant-gardiste, évoquant avec humanité, l’une des personnalités les plus controversées de l’Histoire.
Du Che à Sandokan, il n’y a qu’un pas, car Hugo Pratt travailla longtemps en Argentine, et collabora avec le même Oestherfeld pour créer Ernie Pike et quelques épisodes du Sergent Kirk. Moins tragique, mais plus romanesque, une aventure semblable arriva à une des bandes du maître italien, un récit dont il nia d’ailleurs souvent l’existence, avant de la confirmer à Dominique Petitfaux, dans le livre-entretien De l’autre côté de Corto : Sandokan, le Tigre de Malaisie !
Un récit inédit d’Hugo Pratt
Comme nous vous l’annoncions cet été, ce récit inédit fait suite aux récentes adaptations de Pratt dans le Corriere dei Piccoli, l’Île au Trésor et Kidnappé !, alors qu’il avait déjà bien entamé l’illustration de l’œuvre d’Emilio Salgari, sous la direction de Mino Milani en 1969. Mais pendant ce temps, une certaine Balade de la Mer Salée provoquait en France bien des remous !
Les diverses introductions de l’ouvrage vous content alors dans le détail, le laisser-aller de Pratt pour cette énième adaptation, afin de privilégier ce marin romantique dont Pif Gadget ne cesse de demander des récits supplémentaires. Malgré une courte présentation introductive dans le magazine italien, les planches attendues se tarirent, et cette pomme de discorde entre les anciens amis tomba bientôt dans l’oubli. On suppose que les originaux furent brûlés, avec tant d’autres en 1975, mais dernièrement, le rédacteur-en-chef de l’époque retrouvera les épreuves photographiques qu’il avait assemblées pour un hypothétique numéro spécial.
Ce récit est une plongée dans le temps, une madeleine de Proust dont on ne finit pas savourer le moelleux. Bien sûr, on appréciera cette nouvelle adaptation de l’œuvre de Salgari, mais c’est le dessin de Pratt qui nous comble d’émerveillement. Tout d’abord, on savoure le trait du maître, juste et pourtant si facile, à une époque où son dessin semble crever la case. Et puis, cette présentation d’une taille presque irréelle, agrandie, permet au commun des lecteurs de disséquer le style de Pratt, de profiter de la justesse de son trait, de la précision de ses aplats ou, au contraire, d’un négligé impressionniste pour les sentiments et les mouvements de ses personnages.
S’il manque 16 pages au premier épisode, ce sont celles d’un combat de pirates, fort bien évoqué par Milo Milani. Ainsi, ce récit se lit finalement d’une traite, et l’on profite des similitudes d’un personnage avec un marin fort connu, d’éléments de décors qui en rappellent d’autres et d’un mouvement qui n’appartient au contraire qu’à Lui. Les quatre pages annonciatrices du second épisode, demeuré à jamais inachevé, ne laisseront pas vraiment de goût de trop peu car le récit mis facilement de côté, c’est le style de Pratt qu’on voulait retrouver, pour un moment inédit, même si l’on sait que cela ne sera que trop court, on en profite tout de même avec volupté.
(par Charles-Louis Detournay)
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Lire notre article sur Sandokan
[1] On a pu voir dernièrement la collaboration d’Enrique Breccia avec Xavier Dorison pour la série des Sentinelles..
[2] Fréon édita entre autres cet album en 2001. Il fit d’ailleurs partie de la sélection du FIBD d’Angoulême 2002, pour l’Alph-Art du meilleur dessin.
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