Les cosaques, histoire fantasmée

Par Marlene AGIUS le 13 avril 2022

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Accident (mal-)heureux ou hasard calculé, la sortie du premier volet de la série d'aventure "Cosaques" est quelque peu (mais si peu...) en lien avec l’actualité dramatique de ces derniers temps, puisqu’il aborde ce groupe de nomades guerriers des steppes ukrainiennes.

Le dessin à quatre mains de Ronan Toulhoat et Yoann Guillo, ce dernier étant aussi le coloriste, donne vie au scénario de Vincent Brugeas. Il aborde l’histoire de Karlis, un hussard lituanien au service de la République des Deux Nations (la Pologne et la Lituanie) en 1634, au Sud de Kyiv.

Les cosaques, histoire fantasmée

Karlis déserte son régiment après une bataille sanglante ; il trouve refuge dans un camp retranché défendu par des Cosaques, et va tenter de vivre parmi eux, bien que traqué par son ancien capitaine.

Mercenaires au service de différents rivaux, Moscovites, Polonais-Lituaniens, ou Moldaves, les cosaques sont décrits à la fois comme guides des steppes, soldats, diplomates, et pillards. Les cosaques ne sont donc pas un groupe ethnique mais partagent ce même mode de vie, et la chrétienté.

Nous avions déjà publié un article sur la BD en Ukraine et son rôle dans le récit national. La particularité de cette BD est donc qu’elle décline le thème cosaque sous un œil français.

Pourquoi les cosaques ? Vincent Brugeas s’est documenté : après être tombé par hasard sur un article, il aurait lu le « livre-référence sur les cosaques, signé Iaroslav Lebedinsky », l’Histoire des cosaques (1995). Brugeas, qui définit les cosaques comme « à la fois des pirates et des cowboys », y a trouvé des héros parfaits de bande dessinée.

Il va sans dire que c’est un dessin fort éloigné de l’art cosaque…. Le héros lituanien Karlis tient plus de Superman et de l’éphèbe musclé que d’un antihéros turcique vagabond et pêcheur. En fait, on repère le même phénomène qu’en Ukraine où l’on voit pulluler les cosaques à la sauce américaine. Recette apparemment appréciée de la série épique, saupoudrée de style comics. C’est un bon début pour préparer le plat de résistance : les batailles sanguinaires (Slurp !).

Alors, outre le dessin, comment amener ce thème et ces personnages à un public français qui, dans l’ensemble, reste peu familier avec cette zone et son histoire ? Difficile question. On a donc le droit à une sorte de bouillie légendaire et historique, façon de populariser et expliquer cette région dans les années du Sich.

Les français contribuent malgré eux à une imagerie fantasmée des cosaques, qui restent une source historique de légitimité du peuple ukrainien. Là où les Ukrainiens y voient un proto-état national, les Français y trouvent la promesse d’une société anarchiste d’« âmes égarées souhaitant fuir la civilisation », un groupe libre de héros insaisissables.

Chacun y voit ce qu’il veut : il n’empêche que les héros de cette bande dessinée ont pour modèles des personnages glorifiés en Ukraine. Aujourd’hui, les monnaies ukrainiennes sont frappées à l’effigie d’Ivan Mazepa et de Bohdan Khmelnitsky, célèbres cosaques associés à la bataille pour l’indépendance et la lutte contre les conquérants. Il en va de la nécessité de se trouver des héros, de la liberté des auteurs à ressusciter le passé et de leur pouvoir à réinventer l’époque.

(par Marlene AGIUS)

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