Après Aku, chez Pika, c’est avec Jagaaan que nous retrouvons le scénariste Muneyuki Kaneshiro, auteur de Jeux d’enfants, cette fois épaulé par un autre dessinateur, mais tout aussi talentueux, Kensuke Nishida. Et si cette série a débuté également en 2017, elle s’inscrit elle sur le long terme puisqu’avec 7 volumes déjà parus au Japon elle est toujours en cours.
Situé de nos jours, dans notre monde, Jagaan évoque la vie d’un simple policier, Shintaro Jagasaki, dont la vie bascule alors que se produit un phénomène paranormal : une pluie de batraciens. Ceux-ci, en fait des parasites, font des humains aux fortes pulsions refoulées leurs hôtes pour les changer en monstrueuses créatures. Bains de sang garantis dès lors que les émotions réprimées entraînent une métamorphose aussi soudaine qu’incontrôlée.
Frustré par une existence terne et une destinée qu’il croit déjà toute tracée, Jagasaki rêve de pouvoir une fois dans sa vie se servir de son arme de service pour exploser les têtes de tous ceux qui le méprisent ou possèdent un contrôle sur sa vie. Un fantasme morbide qu’il va pouvoir assouvir puisqu’il hérite du pouvoir de changer son bras en arme à feu, aidé par un volatile qui lui permet de contrôler sa transformation en conservant la maîtrise de sa conscience. Débute pour lui une chasse aux "détraqués", cachés au sein de la population japonaise.
Il y a dans Jagaaan quelque chose qui évoque Gantz, œuvre culte mariant science-fiction, troubles sociaux et psychologiques, furieux combats et sexualité explicite, le tout porté par un dessin aussi fin qu’élégant sublimant aussi bien les affrontements que les corps féminins. Le titre offre donc une alternance entre un pôle majoritaire, celui des combats menés par Jagasaki, magnifiquement orchestrés dans une intrigue globale plutôt bien ficelée, et un pôle minoritaire, sexuel, lui plus problématique.
Cette sous-intrigue tourne autour d’un autre personnage, Roba, croisé par le héros lors d’un mariage et ancien camarade de lycée. Mais si nos deux protagonistes se rencontrent, leurs destins seront bien traités de manière parallèle. Voyeur installant des caméras cachées chez les filles qu’il repère, Roba symbolise la frustration sexuelle et les pulsions de viol. Pulsions qu’il s’empressera d’étancher grâce au pouvoir qu’il développe, grosse langue phallique qu’il enfonce dans la bouche de ses victimes pour les soumettre à ses désirs.
Si cette intrigue offre donc son lot régulier de scènes de sexe - ce qui destine le titre à un lectorat mature comme le signale un avertissement sur la couverture - ce sont les modalités de celles-ci ainsi que la vanité de ce fil narratif dans l’ensemble de l’action qui posent problème. Les jeunes femmes sont toutes comme droguées par Roba, leur viol pur et simple devenant comme par magie une addiction au violeur. Un postulat pour le moins dérangeant. Une impression de malaise que renforce la forme de gratuité de ces scènes dont on peine à trouver une justification : l’argument de la satire d’une société japonaise corsetée dont on montrerait crûment le déferlement de pulsions refoulées nous semble en effet mince au vu de la récurrence et du traitement de ces scènes.
En outre, les deux personnages principaux, possédant chacun leur intrigue, ne sont pas appelées à se croiser à nouveau. Les péripéties de Roba ne consistant en fin de compte qu’en un prétexte à catharsis simili pornographique. D’ailleurs, une fois le destin de Roba scellé, une autre intrigue du même type, tout aussi déconnectée de l’intrigue principale, viendra prendre le relai et offrir le même type de scène "agrémentant" les volumes.
Des propos gênants à la tonalité trop souvent malsaine qui nous semblent gâcher un titre qui avait pourtant par ailleurs de solides arguments à faire valoir.
(par Aurélien Pigeat)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Jagaaan. Par Muneyuki Kaneshiro (scénario) et Kensuke Nishida (dessin). Traduction Jean-Benoît Sylvestre. Kazé, collection seinen. Sorties : tome 1 le 16 janvier 2019, tome 2 le 10 avril 2019. 7,99 euros.