C’est un électrochoc d’une rare violence, et même inédit dans l’histoire du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême : quasiment tous les éditeurs de bande dessinée présents lors du dernier festival (Dupuis et Pika ne sont pas signataires du document, mais ils n’en pensent pas moins), à savoir les membres du Syndicat National de l’Édition réunissant les plus gros éditeurs, et le Syndicat des Éditeurs Alternatifs (SEA) qui rassemble les plus petites structures, ont signé un document, "Sauvons le Festival d’Angoulême !" (voir ci-dessous) qui constate les "carences récurrentes" de ce rendez-vous annuel de la BD et qui en appelle même au boycott : "... nous avons décidé de ne pas participer à la prochaine édition du FIBD si une refonte radicale n’est pas mise en œuvre dans les meilleurs délais. le festival doit être repensé en profondeur, dans sa structure, sa gouvernance, sa stratégie, son projet, et ses ambitions."
Ras-le-bol
On imagine ce qui a motivé ce coup de poing sur la table : "C’est le ras-le-bol suite au dernier festival, le cumul de ses errements, nous dit Guy Delcourt, président de la commission BD du Syndicat National de l’Édition. Les éditeurs sont souvent mécontents, il y a toujours des petites choses qui ne vont pas, mais là, de manière récurrente, elles se sont aggravées, dans un bouquet d’erreurs, de maladresses qui on entraîné l’insatisfaction : une fréquentation qui baisse, avec à mon avis un manque de prise en compte du dispositif Vigipirate qui était déjà en place l’an passé, personne n’a été pris par surprise, c’est donc vraiment un défaut de l’organisation. Il y a évidemment les prix, que ce soit l’absence de femmes dans la liste pour le Grand Prix, la cérémonie de clôture qui était extrêmement embarrassante et qui a surtout déprécié l’image de la bande dessinée, notamment au niveau international, et de façon durable ; le mépris de l’organisation pour les auteurs et les éditeurs, une organisation qui va très peu au devant d’eux, ne fut-ce que pour les saluer de façon courtoise comme doit le faire un organisateur... C’est cet ensemble d’éléments qui a provoqué chez les éditeurs, et je crois savoir chez les auteurs, un vrai ras-le-bol."
Appel au Ministre de la culture et à l’État
Les éditeurs demandent dès lors à l’État d’intervenir dans le jeu angoumoisin : "Nous en appelons avant tout à l’autorité de l’État car l’écheveau angoumoisin est devenu tellement complexe et tellement incompréhensible qu’il faut sortir du problème par le haut, non pas en essayant de bricoler en quelque sorte les relations entre l’association et 9eArt+, la mairie, la région, etc. mais en réunissant les gens, nous dit Guy Delcourt. Il faut une capacité à faire table rase pour rebâtir, repenser un autre festival et cela, seul l’état a cette capacité-là dès lors qu’il en aura la détermination. La méthode consiste à passer par l’autorité de l’état avec toute la vigueur qui s’impose. Un médiateur nous paraît être la bonne solution. Il faut quelqu’un qui soit éclairé, qui a à la fois une vraie affinité culturelle avec le monde de l’édition et de la bande dessinée en particulier, qui soit réceptif aux problématiques de ses acteurs, en particulier les éditeurs et les auteurs qui on été, il faut bien le reconnaître, portion congrue dans le rôle qu’a bien voulu leur accorder le festival, ce qui est quand même pour le moins paradoxal.
Et puis, il faut quelqu’un qui connaisse très bien les rouages de l’État et qui puisse être efficace dans ce rôle et qui, d’une manière générale ait à cœur de trouver les bons équilibres. On voit bien que le Festival d’Angoulême n’appartient à personne. Il émane d’une ville, et au-delà de cela, d’un département, d’une région. C’est un événement qui est rendu vivant par ses acteurs, les auteurs et les éditeurs principalement, avec d’autres entités locales, etc. C’est le point de départ de tout un ensemble institutionnel et industriel émanant de la bande dessinée au sein de la région angoumoisine... Il faut quelqu’un qui ait la capacité intellectuelle et la clairvoyance pour donner enfin à ce festival la gouvernance qui doit être la sienne."
Quelle stratégie de développement ?
"On fait une demande de médiation comme pour un couple en crise, dit de son côté Jean-Louis Gauthey, président du Syndicat des éditeurs alternatifs qui regroupe des labels comme L’Association, Cornélius ou Ça et Là. Mais on n’est pas un couple, on est une horde, une cellule familiale complexe. Le médiateur aura beaucoup à faire ! Il faut quelqu’un qui a une capacité d’écoute assez développée, car il aura beaucoup de choses à entendre de la part des uns et des autres. Ce qu’il faut changer, c’est notre rapport à Angoulême. L’Association des Auteurs de BD est en train de creuser ce sujet. Les États généraux de la bande dessinée ont montré que les auteurs avaient de plus en plus de mal à vivre de la bande dessinée et à vivre ce festival de bande dessinée. Je pense que là-dessus le médiateur aura des choses à entendre. Si tout le monde pouvait se parler, ce ne serait pas mal.
J’apprends que le Grand Angoulême veut lancer un parc d’attraction autour de la bande dessinée. C’est sans doute bien, je n’en sais rien. Mais on est en train d’imaginer une nouvelle structure alors que le festival n’a toujours pas de lieu pérenne, qu’on continue à construire des tentes. Ça m’interroge... Je pense que là-dessus aussi, il y a quelque chose qui a été longtemps réclamé par les éditeurs et qui n’a jamais eu de réponse localement. Je pense que s’il y avait une structure pérenne, si l’on ne dépensait pas des centaines de milliers d’euros pour monter des tentes chaque année, l’équilibre financier des éditeurs et du festival s’en trouverait amélioré. Sur le fonctionnement du festival lui-même, je pense qu’il y a des divergences profondes entre le SNE et le SNA, mais si on peut se mettre d’accord sur le fait que la bande dessinée représente une diversité constatée en librairie, il n’y a pas de raison que cela se passe mal."
Une structure remise en cause
Faut-il que Franck Bondoux et 9eArt+ dégagent ? Ce n’est pas ce que demandent les éditeurs :"On ne veut pas prendre le problème par le petit bout de la lorgnette, répond Guy Delcourt. On ne refera pas l’erreur qu’a faite M. Bondoux en désignant comme coupable le présentateur de la remise des prix. Je ne voudrais pas non plus résumer les problèmes du festival à la personnalité de Franck Bondoux ou même à sa structure 9eArt+. Il faut voir les choses de manière beaucoup plus large, c’est pourquoi nous appelons à une refondation du Festival.
Le problème majeur aujourd’hui, qui provoque les dysfonctionnements de la façon dont opèrent Franck Bondoux et 9eArt+ et qui en est la conséquence, est une structure [L’Association du FIBD. NDLR] qui est aujourd’hui complètement nécrosée. Il y a un écheveau indémêlable au niveau d’Angoulême, on n’y comprend plus rien. On sait qu’il y a une association qui hérite de l’aspect initial du festival, c’est à dire des amateurs qui se sont rassemblés pour créer ce festival et qui, évidemment, n’a plus beaucoup de sens vu la cette dimension qu’a prise aujourd’hui le festival. Elle est légitime, mais elle n’est pas opérante, pas opérationnelle. À l’inverse, on peut dire que 9eArt+ n’est pas légitime, mais agit... Cela ne va pas ! De manière plus générale, on ne voit pas dans ce festival une gouvernance, une structure, un dispositif qui soit à la hauteur de cet événement qui est devenu un festival très important pour la bande dessinée, et même au-delà de la bande dessinée."
"La raison pour laquelle on a trouvé cette convergence avec le SNE, ajoute Jean-Louis Gauthey, c’est la volonté d’établir un dialogue pacifié, hors polémique, forcément local mais aussi national, puisque ce festival incarne la bande dessinée, et pas seulement la bande dessinée à Angoulême. Elle accueille localement une bande dessinée qui a une dimension internationale, comme on a pu le vérifier pendant le dernier festival. Sur ce sujet-là, on a beaucoup de sujets à discuter, à propos desquels on va sans doute s’opposer, mais sur lesquels il va falloir s’entendre comme c’est le cas pour toute grande profession."
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
La rédaction d’ActuaBD.com a demandé une réaction à 9eArt+, sans réponse jusqu’à présent.
En médaillon : Dessin de Trondheim (c) FIBD
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