Toujours élégant comme une gravure de mode, Éric Verhoest est une figure du petit monde de la bande dessinée. Ayant créé les éditions Champaka bien connues pour ses splendides éditions de Yves Chaland ou de Floch, Verhoest a été pendant quelques années la cheville ouvrière de Marsu Productions (on lui doit quelques-unes des plus belles réalisations de cet éditeur), avant de prendre la direction éditoriale des éditions Dupuis, alors en plein marasme. Une affaire qui tourna court, comme on sait (il n’y resta que neuf mois) : la situation était bien trop périlleuse pour cet esthète amoureux du beau livre.
Tournant
Qu’est-ce qui l’amène aujourd’hui à devenir galeriste ? « Champaka est un éditeur un peu particulier, c’est une maison liée à l’image, aux éditions d’images en grand format. J’ai toujours été confronté aux originaux, notamment lorsque je travaillais sur ceux de Franquin, pour repérer l’image qui pouvait fonctionner en grand format, que ce soit sous la forme de portfolios, de beaux livres ou d’estampes. Ce regard sur l’image est le fil conducteur des éditions Champaka qui ne fait pas d’albums « classiques » de bande dessinée. Et puis, mon second métier ces dernières années a été d’organiser des expositions dans lesquelles j’ai été confronté à une masse d’originaux. Le fait d’avoir vu ces merveilles a été un déclic pour moi, une émotion forte liée à des originaux de très haute qualité. Ouvrir une galerie me semblait être complémentaire aux éditions Champaka et prolonger cette émotion, tout en défendant la plupart des artistes que Champaka a défendus jusqu’à aujourd’hui. »
Les deux sociétés sont différentes. Confronté à ce lancement, Champaka publiera cette année à un rythme plus ralenti pour mieux consolider les deux activités. La galerie s’installe au Sablon à Bruxelles, dans la rue même où est né Edgar Pierre Jacobs : Rue Ernest Allard. Bon sang ne saurait mentir !
Le fait que le prix des originaux s’est envolé ces deux dernières années a-t-il été un critère dans le choix de cette nouvelle activité ? « C’est clair que les originaux de qualité atteignant aujourd’hui un certain prix, cela permet pour une galerie de bâtir un plan financier plus réaliste qu’il y a cinq ou dix ans ! Le fait aussi que certains acheteurs, pas forcément des collectionneurs de bande dessinée, s’intéressent à des œuvres parce qu’elles sont réussies graphiquement est un facteur supplémentaire. »
Pour monter sa première exposition, Éric Verhoest s’est d’abord adressé à un proche : le dessinateur Bernar Yslaire « Nous avons édité sa première sérigraphie lors de la publication du premier album de Sambre en 1986. La fidélité est au rendez-vous. C’est un des rares artistes de bande dessinée à la puissance graphique hors normes » rappelle le galeriste qui est aussi le parrain de la fille de l’artiste.
Aux cimaises, des grands dessins de l’auteur de Sambre mais aussi des tirages numériques sur le thème « Nouveaux rouges », de la couleur des yeux du personnage. Vient cette question : les tirages numériques sont-ils des « originaux » ? « Depuis que la photographie se vend dans des galeries, le problème est résolu, objecte Verhoest. Cela repose sur la garantie de sérieux du galeriste et de l’artiste. »
Un « original » numérique ?
Bernar Yslaire ne dit pas autre chose : « Cette exposition présente les deux facettes de mon travail. J’ai toujours travaillé sur papier et j’ai aussi été un des premiers auteurs à travailler sur informatique, sans qu’il n’y ait aucun original. En photographie, le problème est résolu depuis 50 ans. Les Américains ont créé il y a longtemps la notion d’ « épreuve originale », tirée à un très petit nombre d’exemplaires numérotés et signés. Cela permet de conserver le dessin d’autant que nous ne sommes absolument pas sûrs de la pérennité des fichiers numériques : qui nous dit que l’on pourra encore lire ces fichiers dans quinze ans ? Aura-t-on conservé l’ordinateur pour les lire, les logiciels d’origine ? On doit multiplier les sauvegardes dans diverses versions différentes. Il va y avoir des corruptions de fichiers qu’il va falloir réinterpréter pour obtenir, sans y parvenir, le travail d’origine. L’œuvre numérique est en péril, elle est plus éphémère qu’on ne le pense. Nous ne sommes pas du tout certains de pouvoir la conserver en l’état. Ces épreuves le permettent. Le papier est marouflé sur métal, garanti entre 100 et 200 ans. Ce sont donc bien des originaux. C’est un peu nouveau dans le milieu de la bande dessinée, mais ce n’est pas plus mal de bousculer un peu ce marché de vendeurs de planches sous le manteau ! (rires). »
Le livre : "un logiciel de mise en page"
L’artiste revient même sur la notion d’original quand il s’agit d’une bande dessinée : « La véritable œuvre originale, dit-il, c’est le livre, pas la planche. Il faut donc prendre les choses pour ce qu’elles sont. D’ailleurs, qui peut prédire que le livre à l’avenir restera encore sur le papier ? On a déjà connu ce genre changement de support dans l’histoire : les aventures de Tintin ont été publiées dans un journal, puis réunies en album, puis on les a redessinées et mises en couleurs, parfois dans un format allongé, etc. Que veut dire le mot original dans ce contexte ? Pour ma part, je considère que le livre est une sorte de logiciel de mise en page. Que l’on conserve certains dessins sous cette forme, c’est bien. Le fait qu’on en perde d’autres ne m’inquiète pas. Turner, au 19e Siècle, vendait d’une part des toiles, des paysages de petit format, pour gagner sa vie et, d’autre part, des œuvres pour faire parler de lui, d’autres encore pour la postérité. Et la postérité n’a retenu que celles-là, d’ailleurs. Le travail d’un créateur de BD est de plus en plus protéiforme. »
Il est sûr que, désormais, il va falloir compter avec cette production que les auteurs réserveront pour le marché de l’art.
Parmi les futurs auteurs exposés de la galerie Champaka : Miles Hyman autour de New-York City qui concevra des dessins inédits, François Schuiten, François Avril, une exposition sur Bruxelles, Yves Chaland, Loustal, Ever Meulen, Joost Swarte…
Ces expositions seront accompagnées d’une production d’éditions à petit tirage pour ceux qui n’auront pas les moyens d’accéder aux originaux dont les prix vont de 3.000 à 17.000 euros. Le soir de l’inauguration, presque toutes les œuvres exposées étaient vendues.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Galerie Champaka
Ouvert du mardi au samedi : 11h00 à 18h30
Le dimanche de 10h30 à 13h30 et sur rendez-vous
27, rue Ernest Allard
B-1000 Bruxelles
Tel : + 32 2 514 91 02
Fax : + 32 2 346 16 09
E-Mail : sablon@galeriechampaka.com
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