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Les éditions angoumoisines Scutella à la conquête de Bruxelles

Par Charles-Louis Detournay le 1er septembre 2013                      Lien  
La librairie Brüsel profite du week-end de la Fête de la BD pour proposer aux lecteurs bruxellois de mieux connaître et comprendre les auteurs et l'esprit de Scutella. La raison de ce vif intérêt? Cet éditeur angoumoisin y est parrainé par Thierry Tinlot, ancien rédacteur de Spirou et ancien éditeur de Fluide Glacial.

Tout Bruxelles est en effeverscence pour la Fête de la Bande Dessinée qui se déroulera le week-end prochain ! Mais la manifestation n’a pas pour vocation première de se regarder uniquement le nombril. Nombre d’auteurs étrangers sont invités. Et certains lieux réputés en profitent pour organiser des événements sortant de l’ordinaire.

C’est ainsi que la libraire Brüsel, une des plus connues de la capitale belge, consacre ce week-end aux éditions Scutella, grâce au parrainage de Thierry Tinlot, ancien rédacteur-en-chef de Spirou et de Fluide Glacial. Nous vous avions présenté naguère cette petite structure d’Angoulême et sa dynamique éditrice Soline Scutella. Nous saluions encore récemment une de leurs productions avec le très bel album muet de 135 pages , Ziyi.

Les éditions angoumoisines Scutella à la conquête de Bruxelles
"Sorties de route" par Cyrille Pomès
(C) Ed. Scutella

Devenu leur ambassadeur, Thierry Tinlot nous en parle : "Membre depuis une quinzaine d’années du Jury de la BD scolaire d’Angoulême, explique Tinlot, J’ai rencontré Soline, l’âme et la patronne des éditions Scutella, une petite structure d’édition indé. J’ai découvert, par cette rencontre, les réalités, les joies et galères d’un monde qui m’est totalement inconnu, puisque personnellement, je n’ai jamais travaillé que pour des majors. Comme très certainement plein d’indés -mais à nouveau, c’est un univers que je ne connais pas-, il y a chez elle d’excellentes choses, mais le gros problème est de rendre ces livres accessibles. J’ai donc décidé de les parrainer avec Frédéric Ronsse, pour faire découvrir ses livres au grand public."

"Plus que les livres eux-mêmes,, poursuit Thierry Tinlot, Ce qui m’a surtout impressionné c’est l’écologie de l’édition que pratique Scutella : un grand soin apporté à la fabrication ; une structure de diffusion locale ; les livres ne sont pas pilonnés ; chaque sortie de livre est accompagnée d’une expo itinérante ; les ouvrages sont proposés à la vente ferme -et pas au dépôt comme chez les grands éditeurs. Résultat : le libraire se sent davantage investi d’une obligation de vendre, puisqu’il ne dispose pas d’un droit de retour. Alors, OK, ces pratiques sont impossibles à généraliser dans les grands groupes, mais en ces temps de disette économique, je trouve cette approche "less is more" totalement inspirante."

"Univoco Furioso" de David Benito et Tib-Gordon
Ed. Scutella

En regardant de plus près les livres de Scutella, on ne peut qu’admirer le travail de maquette et de présentation de Ziyi, observer comment la forme se prête au fond pour les deux très différents albums de Nicolas Poupon (Fleur de géant et À la croisée ou l’innovation graphique et narrative de Tournesols et de Univoco Furioso. Ce qui nous a donné envie de revenir vers Soline Scutella, afin de mieux comprendre comme elle définit son travail d’éditrice :

"Scutella Éditions a depuis sa création pris comme parti de publier des ouvrages qualitatifs en terme de fabrication et des univers graphiques aussi variés les uns que les autres, pour la bonne et simple raison que la maison d’édition ne souhaitait pas s’enfermer dans un phénomène de collections diverses et variées avec une ligne éditoriale pré-définie. Scutella Editions publie ce qu’elle aime, de la BD réaliste ou pas, en passant par l’illustration, le comics et la jeunesse. L’exigence graphique, l’inattendu étonnent et, en effet, attirent et les auteurs et le public, toujours curieux, pour peu qu’on parvienne à lui donner envie. Cela passe par le contact direct en festivals, à travers des rencontres et parce que, surtout, le lectorat existe pour ces univers. Il faut juste savoir à quelles portes frapper."

Soline Scutella à Blois, en novembre 2010.
Photo : D.Pasamonik (L’Agence BD)

Lorsqu’on est une petite maison d’édition, on peut se demander comment la rencontre s’opère entre éditeur et auteurs. "Pour avoir discuté avec d’autres éditeurs, je constate que Scutella a la chance de rencontrer des auteurs qui viennent d’eux-mêmes, poursuit-elle, Attirés par la démarche éditoriale : qualité de réalisation, carte blanche graphique à l’auteur et accompagnement sur le long terme de l’album et de son créateur. Et bien entendu une rémunération, certes modeste mais cohérente, entre un forfait (et non une avance sur droits) pour l’album et des droits d’auteur dès le 1er exemplaire vendu. Roman graphique muet en noir et blanc, Ziyi est la parfaite illustration de mon propos : un scénario déroutant, un traitement graphique plein d’émotion et un livre de 136 pages, cartonné, entièrement toilé avec marquage à chaud sur la couverture et le dos : la forme rejoint le fond. Et le public ne s’y trompe pas."

Jean-Luc Cornette & Jürg ont donc eu la chance de trouver chez Scutella une maison qui a respecté à la lettre leurs exigences pour le format de leur livre Ziyi. Cornette : "Les éditeurs indépendants ou alternatifs, c’est le royaume de l’amateurisme, nous confie-t-il. Par amateurisme, j’entends le sens étymologique du mot : du verbe aimer. On a à faire à de vrais passionnés, à des connaisseurs. Personnellement, j’aime beaucoup le travail fait par des gens comme Wandrille chez Vraoum et Warum ou par Vincent Henry à la Boîte à Bulles. Par ailleurs, on peut tomber aussi sur des amateurs, donc des personnes qui ne sont pas professionnelles. Éditeur, c’est un métier compliqué et nombreux ne savent pas qu le travail ne se limite pas à demander des pages à un auteur et à les apporter à un imprimeur. C’est tellement plus que ça. L’édition indépendante est aussi éclectique que la société. On y trouve de tout. Le meilleur comme le moins bon. J’ai toujours eu l’impression que les livres édités par ces petites structures se trouvent aux deux extrémités de la création, au niveau de la qualité. On y trouve le plus beaux livres et aussi les plus mauvais. Les 90 % qui restent, entre ces deux extrémités, sont le domaine des gros éditeurs. La place étant suffisamment large pour qu’eux aussi produisent de très bons bouquins et de très mauvais. Après, tout est affaire de subjectivité."

"Les grosses maisons d’édition, même si les prix qu’elles proposent aux auteurs ne cessent de chuter, paient bien mieux que les petites structures, continue-t-il. Souvent les petites structures ne paient pas du tout. Donc, pour m’en sortir et travailler dans une ambiance sereine, j’essaie toujours de me faire publier par une boîte qui paie correctement mon travail. Dans le cas de « Ziyi », Jürg et moi avons été à Angoulême et on a rencontré tous les directeurs éditoriaux de toutes les grosses boîtes. Six directeurs éditoriaux de trois des plus grosses maisons d’éditions ont flashé. Ils voulaient bien relire le dossier et nous en parler la semaine d’après. On était super-heureux. On est rentré en Belgique en buvant des mathusalems de champagne rosé dans le Thalys. On s’est même dit qu’on ferait jouer la concurrence et monter les prix. Et la semaine d’après, ils se sont absolument tous désistés : trop risqué, trop violent, roman graphique noir et blanc et muet : "Tu comprends, on n’arrivera pas à en vendre". C’est là où interviennent les petites structures. Elles sont par définition moins frileuses. Même si l’argent est le nerf de la guerre, elles ne prennent pas un projet en pensant à ce que leur diront les actionnaires en fin d’année sur des choix auxquels ils ne comprennent pas grand chose. Les petites structures n’ont pas de compte à rendre, mis à part à leur banquier. Y a pas d’actionnaire, vu qu’il n’y a pas beaucoup ou pas du tout d’argent. Jürg a alors rencontré Soline Scutella au festival de Saint-Malo et elle a été très touchée par notre projet."

Ziyi - Par Cornette & Jürg - Scutella
Un superbe recueil qui associe textes et dessins évocateurs, de Nicolas Poupon

Pour parfaire ce tour d’horizon, revenons un instant à Nicolas Poupon, et aux deux très beaux livres qu’il a publiés chez Scutelle. À la croisée est un recueil de dessin évocateurs et de petits textes poétiques sur des moments volés. Sans doute un livre ’typiquement impubliable’ qui touche le lecteur au plus profond de son être lors de la lecture. À l’opposé, Fleur de Géant bénéficie d’un dessin plus rond, et prend la forme d’un livre jeunesse pour un récit tout en sensibilité.

Nicolas Poupon nous explique également ce qui l’attire chez Scutella : "Je ne cherche pas à tout prix à publier dans un maximum de structures, mais comme je fais des livres très différents les uns des autres, cette multiplicité d’éditeurs s’impose à moi. Si Glénat publie "Le Fond du Bocal" ou Delcourt "Faire semblant les jours d’orage", je sais très bien, avant même de commencer le projet, qu’ " À la croisée" ne peut pas être publié chez un "gros".

L’avantage d’une petite structure, et tout particulièrement de Scutella, est qu’elle peut prendre le risque de livres atypiques. Risque que ne prendront pas de grosses maisons, sauf si l’auteur bénéficie déjà d’une grosse notoriété personnelle. Chez Scutella, j’ai aussi eu la possibilité de suivre vraiment la fabrication du livre, ce qui me permet d’être totalement satisfait de l’objet final dans un cas comme dans l’autre, sans l’obligation de le faire entrer dans une collection. Crise ou pas, je crois que c’est de toute façon toujours très dur pour les petits éditeurs de survivre, et qu’il est toujours important de valoriser leur travail, pour peu qu’on leur reconnaisse un minimum de qualité, et d’originalité."

Fleur de géant aborde avec sensibilité la lecture, ainsi que la main tendue vers l’autre quelles que soient nos différences. Une belle ôde à la recherche de l’autre.

Les auteurs des éditions Scutella seront en dédicace chez Brüsel le week-end des 7 et 8 septembre prochain, lors de la fête de BD à Bruxelles.

Quant aux futurs albums de Scutella, l’éditrice les évque avec enthousiasme : "Les publications de l’automne/hiver reflètent pour le coup parfaitement bien l’esprit que l’on vient trouver chez Scutella Editions : de la bande dessinée cocasse et loufoque avec Amandine Ciosi et son « Jour de Poisson » déjanté, le tome 2 de « La Traînée Jaune de Comicswood » de Lisandru Ristorcelli, désopilant et empli de clins d’œil à l’univers des Super-Héros de notre enfance, et deux premiers ouvrages de jeunes auteurs, Romain Niveleau pour la jeunesse avec son poétique « Célestin et l’enfant étoile » et Bert pour « Quelque chose sur le chemin » dans la lignée des séries B à l’américaine. Le but avéré de tout cela, c’est tout de même de se faire plaisir, de s’amuser et de partager notre passion et notre enthousiasme avec le plus grand nombre, non ?"

Lisandru Ristorcelli, l’auteur de "La Traînée jaune de Comicswood."
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

(par Charles-Louis Detournay)

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Code EAN :

Visitez Le site de Scutella Editions et l’agenda des dédicaces à Brüsel le week-end des 7et 8 septembre

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Lire des interviews à propos de Scutella et ses auteurs :
- Cyrille Pomès (Sorties de route) : "Une histoire de fiction peut être bien plus révélatrice qu’une situation réelle"
- Soline Scutella : « Angoulême est la capitale mondiale de la bande dessinée »

Photo en médaillon : (c) D.Pasamonik (L’Agence BD)

 
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