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Les héritiers de Siegel et Shuster peuvent enfin partager les droits de Superman

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 mars 2008                      Lien  
Les héritiers des auteurs de Superman, Jerry Siegel et Joe Shuster, peuvent désormais prétendre à une partie des droits sur le copyright de leur personnage. Ainsi en a décidé, selon le New York Times, le juge fédéral californien Stephen G. Larson, dans une décision longue de 72 pages d’attendus rendue le jeudi 27 mars dernier.

C’est un des feuilletons juridiques les plus longs de l’histoire de la bande dessinée. En 1937, deux jeunes auteurs, le scénariste Jerry Siegel et le dessinateur Joe Shuster avaient cédé à DC Comics, aujourd’hui propriété de Time Warner Inc., pour le journal Action Comics, 13 pages d’une histoire de Superman avec tous les droits qui y étaient attachés pour 130 US$ seulement.

Toutes les caractéristiques du superhéros sont déjà là : les super-pouvoirs, la cape, le collant et le logo sur la poitrine, la double identité… Le personnage même avait été créé par nos deux garnements au lycée en 1933. Le succès est immédiat.

Quelques semaines plus tard, Superman a son propre titre, fait l’objet de feuilletons à la radio et est adapté dès 1940 sous la forme de serials, des dessins animés réalisés par Dave Fleischer, l’animateur de Betty Boop et de Popeye. Devant une telle manne financière, nos deux auteurs demandent à leur éditeur une rallonge sur leurs droits. « Un contrat est un contrat » leur répond l’éditeur et il ne leur accorde pas un sou de plus. Les auteurs entreprennent alors une action en justice. Mal leur en prit : non seulement ils durent accepter une transaction à 94.000 US$ en échange de l’abandon de leurs droits, mais leur éditeur par mesure de rétorsion, les déposséda de leur personnage, ce qui n’était plus très difficile car le succès ne leur permettait déjà plus de fournir ni les bandes quotidiennes (assurées par Wayne Boring), ni les scénarios des feuilletons radios et des dessins animés.

Ce triste épisode de l’histoire de la BD eut un rebondissement plus ou moins heureux lorsqu’en 1978, alors que le film Superman battait tous les records au box-office, la Warner accepta d’octroyer aux auteurs une petite retraite de 20.000 puis de 30.000 US$ alors qu’ils en étaient réduits jusque là à vivre chichement.

Les héritiers de Siegel et Shuster peuvent enfin partager les droits de Superman
Superman a été un énorme succès au cinéma. Les héritiers de ses créateurs pourront désormais prétendre au partage des bénéfices.
(C) Warner Bros Studios

Au décès de Joe Shuster, Jerry Siegel décida de reprendre le combat juridique. Il n’en vit jamais la fin. Il décéda en 1996. Après son décès, sa veuve décida de continuer le combat, faisant valoir une loi de 1977 plus favorable aux héritiers.

En 1999, ils introduisirent une nouvelle action qui aboutit au jugement d’aujourd’hui. Ceci leur permet non seulement de prétendre à une part des 200 millions de dollars de profits du dernier film Superman Returns, mais aussi un droit sur tous les autres projets impliquant Superman, notamment une adaptation de Justice League of America en cours de développement.

S’ils ne peuvent prétendre aux exploitations faites avant 1999, les avocats des héritiers précisent néanmoins qu’après 2013, il ne sera plus permis d’utiliser le personnage de Superman sans reverser une partie des droits aux héritiers de Siegel et Shuster. Si le jugement rend bien aux auteurs des droits sur leur création originale, il ne statue pas en revanche sur les dérivés nombreux qui en ont été tirés depuis 1938. Il y a donc encore du boulot en vue pour leurs avocats…

Par ailleurs, cet arrêt ébranle un peu l’intangible droit du copyright américain pour le faire évoluer vers le droit d’auteur européen.

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Jean-Paul Gabilliet : précisions sur Superman

L’un de nos lecteurs, l’historien des comics Jean-Paul Gabilliet, nous a écrit pour corriger et préciser les éléments du litige détaillés dans son ouvrage Des Comics et des hommes : Histoire culturelle des comic books aux États-Unis (Éditions du Temps).

Le scandale éclate l’automne 1975 quand, explique Gabilliet, « la presse révéla que les créateurs de Superman vivaient dans la pauvreté, totalement oubliés de l’entreprise dont ils avaient fait le succès ». Collaborateurs indépendants de DC Comics, Siegel & Shuster avaient cédé définitivement les droits afférents à leur personnage lorsqu’ils avaient vendu leur première histoire de treize pages pour 130 dollars (équivalant à plus de 1600 dollars actuels) : au dos du chèque figurait une clause (qu’il fallait contresigner pour l’encaisser) dans laquelle les auteurs transféraient formellement ces droits.

« D’après un article publié dans le Saturday Evening Post en juin 1941 poursuit Gabilliet, Siegel parvint à obtenir, non sans difficultés, que lui-même et Shuster se voient confier la bande quotidienne et touchent une partie des dividendes que celle-ci ne manquerait pas de produire. Pour pouvoir maintenir le rythme de production, ils créèrent un studio dans leur ville natale de Cleveland et engagèrent des assistants payés sur les revenus de Shuster (Wayne Boring, Paul Cassidy, John Sikela, Ed Dobrotka, Ira Yarbrough et Leo Nowack). »

Leurs négociations commencent à porter leur fruits : « En 1940, les deux créateurs obtinrent une révision de leur contrat qui se traduisit par une augmentation à vingt dollars la page et une part de 5% sur tous les bénéfices réalisés grâce au personnage de Superman ; ils gagnèrent cette année-là 75 000 dollars à eux deux. En 1941, la page de comic book leur rapportait 35 dollars mais la bande quotidienne 600 dollars par semaine ; partagée entre eux, cette somme représentait pour chacun un revenu hebdomadaire supérieur à 3500 dollars.  » Il passa en 1947 à 800 dollars par semaine ce qui, selon Gabilliet, faisait des créateurs de Superman des auteurs très bien payés selon les normes de l’époque.

Mais Siegel restait insatisfait au regard des énormes bénéfices engendrés par sa création. Il entama un procès en avril 1947 qui aboutit à la reconnaissance par le tribunal que Superman appartenait bien à la maison d’édition, le jugement concédant seulement 100.000 dollars en échange de la totalité des droits sur Superboy. En conséquence, les auteurs claquèrent la porte de DC Comics et annoncèrent le lancement d’une nouvelle création Funnyman qui fit un flop. De son côté DC Comics retire les noms des auteurs des planches publiées.

Les auteurs payèrent cher leur témérité. Shuster, dont la vue déclinait, ne put plus dessiner. Siegel eut une carrière en dents de scie et alla jusqu’à écrire anonymement des scripts pour DC Comics.

« En avril 1969, raconte Gabilliet, ils intentèrent un nouveau procès à DC pour recouvrer la propriété de Superman en arguant que, comme le copyright original du personnage était venu à expiration après vingt-huit ans, eux seuls pouvaient en revendiquer le renouvellement. Ils furent déboutés au bout de six ans de procédures, en avril 1975 : vivant alors tous les deux dans la plus grande précarité et avec des problèmes de santé, ils renoncèrent à faire appel en échange d’une promesse de la maison d’édition qu’une compensation leur serait accordée. Siegel, qui depuis des années refusait tout contact avec ce qui se rapprochait de près ou de loin des comic books, accepta cet été-là d’être l’un des invités d’honneur de la Convention de San Diego. Quelques semaines après la manifestation, au cours de laquelle il avait été applaudi pendant sept minutes par tous les participants du banquet de gala, il écrivit une longue lettre ouverte communiquée à la presse dans laquelle il réitérait ses griefs envers DC. Neal Adams prit fait et cause pour les deux hommes à l’automne avec le soutien de la National Cartoonists’ Society et entama un bras de fer médiatique avec DC. » La campagne aboutit à ce que les deux auteurs reçoivent chacun un revenu annuel de 20.000 dollars réévalué annuellement et transmissible à leurs héritiers, occasion pour DC Comics de redorer leur image de marque.

[ Les extraits proviennent de l’ouvrage de Jean-Paul Gabilliet, Des Comics et des hommes : histoire culturelle des comic books aux États-Unis (Nantes : Ed. du Temps, 2005) pp. 168-171]

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

En médaillon : Superman de Siegel & Shuster. (C) DC Comics

 
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