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Les indépendants s’insurgent contre la fête de la BD

Par David TAUGIS le 28 mai 2005                      Lien  
Alors que les ténors de l'édition BD se félicitent de la première fête du Neuvième Art, un collectif rassemblant les principaux éditeurs indépendants attaque férocement cette initiative, dénonçant un "coup marketing". Pour eux, c'est la "défaite de la BD".

Le groupe BD du Syndicat National de l’Edition (SNE) - qui reproupe entre autres Glénat, Casterman, Soleil, Delcourt, Vents d’Ouest, Dargaud, Lombard, Pika - s’apprête à lancer en grande pompe sa première Fête de la BD (du 28 mai au 4 juin), dix éditeurs indépendants ont choisi de sonner la charge, dénonçant une pure opération commerciale qui ne favorisera que les géants du marché et leurs héros les plus vendeurs.

"Défaite de la bande dessinée"

Dans un communiqué de presse, intitulé "La fête de la BD : défaite de la bande dessinée", L’Association, Atrabile, Cornelius, Ego comme X, Frémok, FLBLB, Rackham, Les Requins Marteaux, 6 pieds sous terre et Vertige Graphic dénoncent une manifestation qui n’est, selon eux, qu’un simple outil marketing. Voici le texte du communiqué :

"La fête de la BD : défaite de la bande dessinée" : "Les industriels de la bande dessinée nous annoncent aujourd’hui à grands renforts de tambours la création de "la fête de la BD". On nous promet de la BD à tous les repas, de la BD à tous les coins de rue, et même que "les français vont descendre dans la rue pour faire de la BD" (sic). On nous explique encore que cet évènement glorifiera la bande dessinée sous toutes ses formes et dans toutes ses tendances.

Nous, éditeurs de bande dessinée alternatifs, affirmons que la diversité ne sera pas du cortège et que cette manifestation est entièrement destinée à promouvoir ce qui est pensé pour être vendu.

L’idée que la Bande Dessinée puisse être autre chose qu’un divertissement facile est très neuve. C’est une idée qui a grandi lentement, de manière chaotique et imprévisible, au rythme de la végétation qui s’épanouit sur les chemins. Mais les industriels n’ont pas ce genre de patience et rêvent d’autoroutes. Ce que cette fête de la BD annonce en réalité, c’est précisément que la fête est finie et qu’après une décennie de création, le commerce doit reprendre ses droits.
S’appuyant sur les personnages les plus caricaturalement vendeurs de leurs catalogues, les industriels s’achètent aujourd’hui un événement de taille nationale et veulent faire croire par la magie du marketing que la bande dessinée se résume à des héros de verres à moutarde et à un ersatz papier des séries télé les plus complaisantes. C’est comme si le cinéma s’autocélébrait soudain en choisissant de se réduire aux "Bronzés", à "Don Camillo" et à "Taxi 12".
La bande dessinée est constituée d’autant de courants que le cinéma, la littérature ou les arts plastiques. Mettre en avant son versant le plus bassement commercial afin de le faire passer pour le genre tout entier est depuis trop longtemps la stratégie des marchands de soupe.

Nous, éditeurs de bande dessinée alternatifs, tenons à rappeler que la bande dessinée peut être l’absolu contraire de ce que cette mascarade commerciale va présenter. La bande dessinée d’aujourd’hui est plus que jamais un moyen d’expression riche, divers et parfaitement en phase avec son époque, dont le moteur, il est bon de le rappeler, reste entre les mains des auteurs et des créateurs.

Nous, éditeurs de bande dessinée alternatifs, boycottons cette "fête de la BD", pour laquelle les organisateurs accumulent les déclarations malhonnêtes et les ambitions les plus cyniques, et la considérons comme une insulte faite à l’intelligence et à la diversité du moyen d’expression qui est le nôtre.

Ainsi, pendant que des Obélix et des Titeufs géants se dandineront misérablement dans les rues, nous irons travailler à nos prochains ouvrages, en les espérant suffisamment beaux, originaux et pertinents pour qu’on puisse un jour évoquer la bande dessinée en parlant de livres plutôt que d’albums, et d’oeuvres plutôt que de marionnettes."

A marketing, marketing et demi ?

Tout ceci nous semble de bonne guerre : les éditeurs "alternatifs" n’ayant pas été associés à l’initiative du SNE (c’est aussi le cas pour Albin Michel qui, bien que faisant partie du SNE, a décidé de ne pas participer à l’opération), il était couru qu’ils répliquent d’un ton vengeur, tout en ayant la subtilité de monter une petit coup de communication sur le dos des gros éditeurs. Bien joué.

Cela dit, c’est un peu raide pour la grosse majorité des auteurs de BD qui vivent de sa dimension commerciale, absolument indéniable, et c’est surtout un peu injuste pour les milliers de libraires qui montrent apparemment un vrai plaisir à accompagner cette opération, occasion pour eux de découvrir des auteurs... de l’édition alternative.

On se trouve là dans une guerre de position entre les gros et les petits (du moins certains d’entre eux) qui s’apparente malheureusement, elle aussi, à une opération de marketing.

(par David TAUGIS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon, dessin (c) Scott McCloud.

 
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4 Messages :
  • Après tout, c’est de bonne guerre, surtout s’ils n’ont pas été invités !
    A lire, l’interview de J C Menu dans ZOO spécial gratuit support de la manifestation.
    Il s’explique ( de manière mesurée) et intelligente sur le rapport Grosses machines d’édition/ éditeurs indépendants et autres petites structures.

    Répondre à ce message

    • Répondu par manolo_prolo ou Oskar TRamor le 4 juin 2005 à  14:22 :

      Bonjour, c’est sans réserve que j’abonde dans le sens de J.C. Menu, étant moi même indépandant dans la presse alternative, je remarque le changement de cap des trust de l’édition dès lors qu’ils remarquèrent le succès d’une personne comme Marjanne Satrapi, et de constater qu’en prcédant ainsi, plus que phagocyter des maisons indépendantes, ils vont copier la recette, non pas pour créer une émulation entre éditeurs mais bien pour s’accaparer un lectorat et déconsidérer les autonomes aux yeux du grand public. Ceci est loin de la prédation de survie, mais plutôt proche de l’idéologie de la pensée unique. En fait une forme de fascisme de bon ton.
      Manolo_prolo

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      • Répondu par Stephane Deschamps (nota-bene.org) le 5 juin 2005 à  15:17 :

        ils vont copier la recette, non pas pour créer une émulation entre éditeurs mais bien pour s’accaparer un lectorat et déconsidérer les autonomes aux yeux du grand public

        C’est évidemment un peu simpliste.

        La démarche commerciale concurrentielle, quel que soit le domaine concerné, est toujours la même : être précurseur quand on le peut, et dans le même temps s’accaparer les tendances pour avoir sa part du gâteau.

        Je n’ai pas l’impression que l’histoire soit aussi manichéenne que tu sembles le croire, malgré le ton du communiqué de presse —et pourtant je m’y reconnais assez, lisant plus de BD indé que de BD ’mainstream’. J’en veux pour preuve le fait que nombre des membres de l’Association, par exemple, publient aussi chez des éditeurs classiques (Dargaud, Bréal, Delcourt...).

        Je n’ai pas l’impression non plus que les auteurs concernés sortent déconsidérés de l’exercice, au contraire : un public plus nombreux les lit, et les gens intéressés iront jusqu’à chercher ce qu’ils ont fait d’autre... ce qui se traduit au final par des ventes d’éditeurs indépendants (c’est une théorie, je n’ai aucun chiffre à l’appui).

        Pour autant je ne remets pas en cause la démarche culturellement militante du communiqué, et je m’y associe tout à fait : réduire la BD à ses blockbusters est tristement stalinien...

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        • Répondu par manolo prolo le 18 juin 2005 à  14:56 :

          Merci Stephane de mettre un bémol au coup de gueule que j’ai poussé l’autre jour, car je connais peu de dessinateurs succeptible de refuser l’offre d’un blockbuster, moi en premier, mais il faut avouer que lorsqu’on a une chose à écrire qui sorte du politiquement correct, premièrement ce n’est pas souvent accepté, et quand ça l’est, il y a parfois des formes à mettre et on a toujours la sensation d’être redevable à l’éditeur qui un jour ne se gênera pas de nous le rappeler . Amitiés libertaires manolo prolo

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