Nous nous étions enthousiasmés de la parution des intégrales de Sibylline. Il faut dire que cette publication est aussi charmante que rigoureuse : les planches y apparaissent en ordre chronologique de publication, révélant toute la richesse de l’imaginaire de Macherot, ainsi que quelques dizaines de pages d’inédits en album.
Le succès de ces cinq tomes a-t-il donné des ailes à l’éditeur ? Voici en tous cas qu’il nous comble avec un sixième volume consacré à certaines aventures un peu moins connues de Macherot.
Scénarisé par Cauvin, Mirliton reste un des rares travaux de commande de Macherot. Il n’en reste pas moins que ces courts récits recèlent une excellente dynamique et continuent à prouver, si cela était encore nécessaire, de la parfaite maîtrise de l’univers animalier par l’auteur de Chlorophylle. Ce ne sont pas moins de 116 planches qui regroupent l’ensemble des récits publiés dans Spirou entre 1970 et 1975 et donc, fatalement, tout de ce qui avait été précédemment traité dans le T4 des Meilleurs récits du Journal de Spirou.
Autre chat, autre genèse : Pantoufle apparut aux côtés de la cruelle Célimène dans le troisième album de Chlorophylle, avant que Macherot ne demande à René Goscinny de lui scénariser des récits spécifiques à ce nouveau félin. Mais cette collaboration dut s’interrompre au départ du scénariste pour Pilote. C’est bien plus tard, en 1979, que Stephen Desberg écrit un nouveau récit, finalement remplacé par Macherot lui-même qui tenait vraiment beaucoup à ce matou. Réalisés à plus que quinze ans d’intervalle, ces récits inédits en album [1] gardent une grandeur fraîcheur !
Est-ce parce que cette intégrale n’était peut-être pas initialement prévue ? Le dossier de Stephan Caluwaerts qui l’accompagne se distingue principalement par la succession presque exclusive de témoignages et d’interviews : Stephen Desberg, Erwin Drèze et Hausmann.
Un regret notable : l’absence de Chaminou, une autre bande dessinée animalière de Macherot parue dans Spirou ! Certes, quatre autres albums sont parus chez Marsu Productions, mais comme le Khrompire est le seul récit dessiné par Macherot lui-même, il aurait trouvé une place logique dans cette sixième intégrale qui ne compte que 170 pages, alors que les autres en alignent 225. Les éditeurs n’ont pas dû s’entendre...
Craenhals : le Moyen-âge flamboyant
Alors que Casterman terminer les intégrales de Macherot, un auteur qui n’a aucune légitimité historique chez cet éditeur, cette maison entreprend la publication d’une autre grande figure du Journal de Tintin, Le Chevalier Ardent, porté par une autre grande figure disparue de la bande dessinée belge : François Craenhals. Elle s’insère plus logiquement das le patrimoine de cet éditeur car, en dépit du fait qu’elle ait été publiée dans l’hebdomadaire des 7 à 77 ans, les albums du preux chevalier étaient depuis le début publiés par l’éditeur tournaisien.
Le premier tome de la précédente intégrale était introuvable depuis des années, ce qui a pu justifier la nécessité de relancer ce fonds avec un premier volume qui s’agrémente d’un dossier de présentation à la fin de l’ouvrage. Comme pour Macherot, c’est le même Stephan Caluwaerts qui livre une vision, toujours très académique, mais néanmoins assez intéressante, de son sujet.
Présentée dans sa chronologie, l’introduction raconte la relation de la série avec l’autre grand chef d’œuvre de Craenhals : Pom et Teddy, et notamment la bataille que livra l’auteur pour ne pas être publié dans la collection brochée du Lombard, Jeune Europe. Après cinq années de bras de fer, Craenhals récupèra les droits de ses albums pour les publier chez Casterman, avec le succès qu’on sait.
Alors que la première intégrale regroupait trois albums par tome, les présentes intégrales renoncent à la fameuse couverture avec la bande blanche sur le côté gauche pour recueillir quatre albums dans une version toujours cartonnée, mais à dos rond. Par rapport aux albums orignaux, les couleurs ont été ravivées. Les pages sont présentées conformément aux éditions originales, excepté pour le premier tome, Le Prince noir. Cette trahison n’a finalement que peu d’importance lorsqu’on se rappelle que le Journal de Tintin publiait une fois les pages impaires à droite ou à gauche, quand il ne mettait pas une page de publicité en plein milieu de la séquence de la semaine.
Tout cela permet de savourer ces fabuleuses aventures de Chevalier Ardent, certainement le héros le plus audacieux et “fol” de la BD franco-belge. Les précédents travaux de Craenhals lui ont permis de débuter ces aventures avec une grande maturité. La documentation moyenâgeuse est merveilleusement aboutie, et chaque geste semble naturel et dynamique, sans parler d’une sensualité remarquable. Force et passion caractérisent le héros, de même que le dessin de l’auteur.
Si le dossier se complète de photos et d’illustrations issues des archives familiales, on aurait aimé profiter de quelques éléments complémentaires tels que ces prémices réalisés pour Le Soir jeunesse en 1948, qui reprend les grandes lignes des personnages de Chevalier Ardent, mais qui ne sera finalement jamais publiée. On aurait aussi apprécié admiré également le premier dessin paru dans Tintin et qui présente notre héros en ombre chinoise. Le contenu passionnant du dossier aurait donc pu être encore mieux illustré, surtout dans cette partie présentant la genèse du personnage.
On se demande aussi pourquoi ne pas avoir suivi le choix des intégrales de Sibylline, qui publiait les courts récits intercalés de manière chronologique entre les récits longs. L’éditeur nous annonce une compilation des histoires courtes dans le sixième et dernier tome de de l’intégrale, ce qui contrastera avec la précédente version, qui ne proposait que quelques dizaines de pages des courts récits, alors que l’on peut effectivement dénombrer plus de deux cents au total.
Quoi qu’il en soit, voici une collection d’intégrales partie sur une voie... royale !
(par Charles-Louis Detournay)
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Intégrale Sibylline T6 Mirliton et Pantoufle - Par Raymond Macherot - Casterman
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[1] Deux albums pirates sont parus à un tirage très limité, dont un encore récemment en 2012. La parution en intégrale est-elle la réponse des éditeurs aux lecteurs passionnés de Macherot ?
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