Un des premiers points d’orgue de cette rentrée sera très certainement l’incroyable volume de 777 pages qui reprend en très grande partie des récits courts (et souvent inédits en édition courante) des grands noms du Journal de Tintin, sans oublier Hergé bien entendu !
Fidèle à sa philosophie, Gauthier van Meerbeeck, le directeur éditorial du Lombard, a donc choisi de ne pas diviser ses forces, en levant le pied sur le plan patrimonial avant de frapper un grand coup. On peut pourtant lister deux belles sorties cet été auprès de l’éditeur bruxellois.
Bob Morane présente le bon profil
Si la publication d’une nouvelle intégrale de Bob Morane allait de pair avec le reboot de l’Aventurier, la mouture proposée nous avait laissé dubitatif. Certes, la publication chronologique avait du sens, mais le manque d’intérêt dégagé par les dossiers de Jacques Pessis gâchait la fête.
Après un premier recueil compilant les premières aventures signées Attanasio et publies chez Marabout à partir de 1960, le second recueil de cette nouvelle intégrale éveilla notre intérêt. Il reprend effectivement l’aventure intitulée La piste de l’Ivoire, inédite en album dans les années soixante car elle ne parut qu’en prépublication dans Femmes d’aujourd’hui.
Il fallut attendre Michel Deligne pour en obtenir un premier tirage broché en noir et blanc (1979), avec que Claude Lefrancq ne se décide à la rééditer en couleurs (1991), mais en modifiant le titre (La Piste des Eléphants) afin d’éviter la confusion avec une aventure homonyme de Tiger Joe, un autre héros créé par Jean-Michel Charlier & Victor Hubinon.
Le troisième tome de cette nouvelle intégrale de Bob Morane poursuit dans cette voie en prolongeant les aventures dessinées par Gérald Forton. Mettons de côté le dossier du recueil : entre des effets d’annonce en double interligne et des critiques de lecteurs passionnés, son contenu sonne creux si ce n’est une très rapide mais intéressante évocation des relations de Forton avec son éditeur et Henri Vernes.
Le point d’orgue de cette intégrale réside bien entendu dans le court récit Echec à la main noire que Forton a dessiné en seulement vingt planches pour le quotidien Het Laatste nieuws. Rehaussé en couverture par la superbe illustration de René Follet, cet épisode n’avait été publié que trente ans après sa réalisation, encore chez Claude Lefrancq, un album très recherché par les collectionneurs.
C’est donc l’occasion pour bien des lecteurs de lire un récit épuisé depuis longtemps… Ce qui résume d’ailleurs l’intérêt du début de cette publication en intégrale de Bob Morane : ceux qui n’auraient jamais découvert ou lus les albums publiés chez Marabout, chez Deligne, mais surtout chez Claude Lefrancq ne devront pas manquer ce rendez-vous avec des héros mythiques de la seconde partie du XXe siècle. Les vrais fans de Bob Morane (que cela soit en romans ou en bandes dessinées) resteront pourtant sur leur faim... pour l’instant ???
Et Bédu créa Hugo…
Ne désespérons pas, car si l’on peut épingler l’une des intégrales incontournables de cet été, c’est bien celle d’Hugo ! Rappelez-vous de ce jeune troubadour qui vivait des aventures pleines de magie avec son fidèle ours Biscoto, accompagné de son destin Narcisse ainsi que de la belle et pugnace fée Prune. En près de dix ans, cette fine équipée fit les beaux jours du Journal Tintin, puis d’Hello Bédé, avant de tirer sa révérence, non sans avoir été publiée en cinq albums au Lombard.
Hugo ne vaut pas uniquement pour la richesse de ses personnages, et la saveur de ses dialogues (Bédu n’hésitait pas à employer des expressions oubliées ou à inventer !). En plus d’un décor moyenâgeux savamment étudié, Bédu proposa un des plus étonnants bestiaires de la bande dessinée.
A chaque épisode, on retrouvait un monde de fantaisie qui fonctionnait en parallèle de notre monde réel, peuplée tantôt de légumes affrontant des insectes, ou de créatures étranges à la fonctionnalité spécifique, comme cet avaleur de boulet de canon qui les projetait par son nez, ou cet « Aspiroquet », mélange de chien de garde et d’aspirateur qui attrapait les indésirables. Savoureux !
À la lecture de cette intégrale , on se rend compte que ces aventures n’ont tout simplement pas pris une ride. Que l’on connaisse ou que l’on découvre ces péripéties, une immense joie de vivre vous saisit, avant tout grâce à l’inventivité et la passion que Bédu plaça dans chacune de ses planches.
Car il y croyait, l’auteur qui réalisait encore le P’tit Prof et Ali Béber dans le Journal Tintin, comme nous l’explique Patrick Gaumer au sein du volumineux dossier de 38 pages qu’il lui consacre. Celui-ci comprend bien entendu une biographie Bédu qui retrace sa carrière (d’assistant anonyme de Sammy aux Psys en passant par Clifton, mais Gaumer s’intéresse surtout aux centres d’intérêt de l’auteur, ce qu’il voulait réaliser en se lançant dans cette épopée fantastico-moyenâgeuse.
Si Gaumer présente différents essais qui servirent des tremplins à la mouture finale, les plus fidèles des lecteurs du Journal Tintin seront également certainement émus de retrouver des inédits des albums, mais qui furent publiés dans leur revue. On pense bien entendu aux courtes aventures des Super Tintin, au cadavre exquis des Aventures mystérieuses et rocambolesques de l’agent spatial, mais surtout à la première histoire mettant en scène Hugo et Biscoto, intitulée Le Duel, et qui attendit cette intégrale avant de revoir le jour 35 ans plus tard. On apprend également qu’une adaptation en dessin animé était à l’étude, et si celle-ci n’alla finalement pas jusqu’à la production, les nombreuses études réalisées permettent d’égayer ce passionnant dossier.
Sous des atours humoristiques se cachent donc une des dernières merveilles du Journal Tintin, pleine de poésie et de valeurs, et portée par une galerie de personnages aussi sympathiques que bien caractérisées. Hugo demeure une série intergénérationnelle et intemporelle, qu’on ne lasse pas de redécouvrir !
Et Bamboo dans tout cela ?
Si les intégrales patrimoniales demeurent l’apanage des maisons d’éditions franco-belges historiques, cela n’empêche pas Bamboo de surfer sur le concept en proposant une nouvelle fois des cartonnages qui regroupaient il y a quelques mois les deux albums de chaque diptyque :
Un petit livre oublié sur un banc : c’est l’un des [fameux diptyques romantiques de Jim, dans la foulée d’Une Nuit à Rome. Servi par le dessin soigné de Mig, ce récit plein de charme propose une nouvelle façon de se rencontrer et de partager ses émotions de lecture… non sans livrer quelques surprises finales, comme pour tous les récits de Jim.
- Les Souliers rouges nous transporte dans une atmosphère assez éloignée de la précédente : celle de la Bretagne occupée de 1944. Récit de guerre ou chronique pastorale de la vie sous l’occupation ? Cette histoire d’amitié authentique semble hésiter entre ces deux registres, mais privilégie avant tout l’authenticité. Récompensé à Saint Malo en 2014 à l’occasion de la publication du premier tome, le dessinateur Damien Cuvillier confirme sa capacité à servir avec justesse et talent le propos chaleureux et émouvant de cette chronique à la fois ordinaire et tragique.
Que cela soit dans l’aventure, la poésie, la romance ou le réalisme, ces différentes publications en intégrale nous donne l’occasion de (re)découvrir d’intenses émotions de papier. Pourquoi s’en priver ?
(par Charles-Louis Detournay)
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