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Les intégrales de l’été (6e partie) - Dupuis en majesté

Par Charles-Louis Detournay le 31 août 2017                      Lien  
Sixième et dernière partie de notre feuilleton de l'été consacré aux intégrales : Dupuis continue de dominer largement le domaine patrimonial, tout en s'intéressant également à des séries plus récentes, histoire de diversifier son offre : redoutable !

Lorsqu’on parle de publications franco-belges publiées en intégrales, impossible de passer à côté de Dupuis, l’éditeur qui a institué ce travail patrimonial en un genre à part !

Les intégrales de l'été (6e partie) - Dupuis en majestéToutefois, l’intérêt de Dupuis ne se cantonne pas à revaloriser d’anciennes séries mythiques ou tombées dans l’oubli. L’éditeur de Marcinelle sait différencier son approche et ses formats pour conquérir une large partie du lectorat.

Deux séries plus récentes ont ainsi été mises en valeur. Fort du succès de Dent d’ours et l’intégrale de son premier cycle paru il y a quelques mois, Dupuis a publié l’intégrale de la précédente série dessinée également par Alain Henriet : Damoclès. Pour rappel, cette tétralogie scénarisée par Joël Callède présente une agence de gardes du corps pour VIP.

Extrait de Damoclès T2
(c) Henriet, Callède & Dupuis

Les deux points forts de la série résident dans une action menée tambour battant, assisté d’un découpage aussi efficace que punchy, et de personnages valorisés psychologiquement. L’ensemble profite également de thématiques sociétales : tout d’abord les dérives du capitalisme pour les deux premiers tomes, puis les dangers de la procréation assistée pour le second diptyque.

Damoclès est donc un thriller d’anticipation particulièrement réussi, et les lecteurs de cette intégrale pourront profiter de vingt pages de bonus expliquant la genèse de la série, et présentant surtout de superbes crayonnés. Il n’y a que deux illustrations en couleurs, mais les très belles études graphiques réalisées par Alain Henriet permettront aux amateurs de dessin de comprendre les cadrages du dessinateur qui confère à la série tout son dynamisme.

Croquis pour le T2 de Damoclès
(c) Henriet, Callède & Dupuis

Autre série dont nous avons largement parlé : Pandora Box trouve un nouvel écrin dans un coffret qui réunit les deux recueils comptant chacun quatre des huit tomes scénarisés par Alcante. Ils bénéficient de nouvelles couvertures et reprennent toujours les deux récits complémentaires de six pages chacun qui viennent parachever le série : Tézée et le Mimodor ainsi que Le Virus du désert, dessiné respectivement par Steven Dupré et par Damour. Ces deux récits étant parus dans les éditions précédentes de 2009, ce coffret reprend en fin de chaque volume une nouvelle postface signée par le scénariste Alcante. Une très belle occasion de découvrir cette série qui a contribué à moderniser l’image de Dupuis dans les années 2000.

Des bleus et des filles

Remontons progressivement dans le temps… Tout d’abord avec (déjà) le huitième tome des Tuniques bleues présentent, une série composée de dix recueils qui regroupent chacun une sélection thématique de deux albums de la série, complété par un dossier signé par Philippe Tomblaine.

Ce second opus dédié aux personnages réels revient sur deux individus plus ou moins connus des lecteurs. Tout d’abord, le fameux général Grant, futur président des USA, que l’on retrouve dans L’Oreille de Lincoln. Quant au second, moins réputé quant à lui, Colorado Story se consacre au capitaine auto-proclamé qui a rassemblé des partisans pro-esclavagistes dans l’état du Colorado.

Si ces deux récits sont assez récents, l’éclairage donné par le dossier permet de mieux comprendre le contexte historique de la série. Une petite collection qui maintient donc tout son intérêt, même si l’on sait qu’elle n’a pas les faveurs de Willy Lambil, celui-ci ne désirant pas de réelles intégrales tant que la série n’est pas interrompue.

Tout aussi proche de nous, Dupuis profite de l’infatigable ferveur de Roger Leloup envers son électronicienne pour publier le neuvième volume de l’intégrale Yoko Tsuno. [Alors que les premiers recueils regroupaient les albums sur base des différentes thématiques (Vinéa, l’Allemagne, les voyages dans le temps, les robots, la Chine, etc.), la progression de la série rendait incontournable une poursuite de la publication par ordre chronologique. On y retrouve donc les tomes de 25 à 27, à savoir La Servante de Lucifer, Le Maléfice de l’améthyste, et Le Secret de Khâny.

Comme dans les derniers recueils, c’est Roger Leloup lui-même qui signe le dossier de présentation. Ses textes complémentaires permettent de mieux situer les éléments documentaires liés à ces derniers albums, et dans la veine des grands tirages limités que Dupuis a récemment édité, on retrouve les superbes crayonnés qui aident à comprendre sa technique, toujours d’une grande précision, que cela soit pour les avions ou les grandes architectures. L’auteur dévoile également les plans, et maquettes qu’il a réalisés pour mieux cerner les lieux où évoluent ses personnages. Sans oublier l’arbre généalogique de la famille d’Emilia, l’une des plus récentes amies de Yoko Tsuno, et qui prend plus de place dans les dernières intrigues. Bref, un dossier passionnant et richement illustré !

Même amour des véhicules et des aventures, avec la publication du cinquième et dernier recueil de Sophie. En effet, comme le rappelle le dossier des Pissavy-Yvernault, Jidéhem qui ne put imposer une héroïne adulte au milieu des années 1960, se retrouve évincé du même Journal de Spirou en 1994 parce que Sophie ne correspond justement plus aux héros modernes.

Cela ne gâche pas du tout l’intérêt de cette magnifique intégrale, qui a (enfin) repris la publication chronologique des aventures de Sophie, celles-ci étant regroupées de manière anachronique dans les vingt albums publiés précédemment. Le dossier reprend de nouveau des photos d’époque et quelques inédits, dont les extraits du fameux cadavre exquis Bill a disparu. De manière fortuite, cette publication ravive l’émotion de la disparition récente de Jidéhem. Une belle façon de lui rendre hommage en se replongeant dans ses récits si inventifs !

Jojo , enfin l’intégrale !

L’une des plus belles intégrales publiées depuis le début de l’année reste le premier recueil de Jojo. Rappelons l’émoi provoqué en 2010 par le décès d’André Geerts, un auteur simple et discret qui a exploré le monde de l’enfance avec ingéniosité, poésie, fraîcheur et un zeste de candeur. À sa disparition, les témoignages de ses confrères furent nombreux : hommages, dédicace de son dernier album (posthume), etc.

On attendait donc avec impatience cette intégrale, en espérant que son contenu soit à l’image de Geerts, généreux sans attente de retour, juste pour le plaisir de la bande dessinée… Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nos attentes sont plus que comblées !

Tout d’abord, l’épais dossier de 32 pages concocté par Morgan Di Salvia nous fait entrer avec détails et pudeur dans le monde d’André Geerts, qui sut dès ses onze ans qu’il voulait se consacrer à la bande dessinée. Ce dossier est notamment valorisé par les explications détaillées de son rédacteur et les très belles illustrations dont Geerts avait le secret (cartes de vœux, couvertures du Journal de Spirou, illustrations de presse etc.). Le nombre de pages consacré par Dupuis permet également la publication de quelques documents rares. comme cette lettre de l’Institut Saint-Luc, célèbre école de bande dessinée de Bruxelles, qui estimait « que sa situation [scolaire] ne [pouvait] qu’être tenue pour désespérée. […Et], dans l’intérêt de l’élève, que son avenir devait être envisagé selon d’autres perspectives. » Éloquent lorsqu’on connaît la carrière qu’il connut ensuite...

Le dossier revient aussi sur la leucémie qui se déclara chez son père, alors qu’André Geerts n’avait que 12 ans. Il y succomba lorsque son fils eut 15 ans, quelques mois après qu’il ait raté son année scolaire et qu’il reçut la lettre dont nous venons de citer un extrait. Avec ce père manquant, mais qui avait pourtant tant marqué sa jeunesse, on comprend mieux la place prise par le père de Jojo dans la série qu’il a créée. Éclairantes ou touchantes, les explications et les anecdotes compilées dans ce dossier laissent présager une intégrale d’une rare intensité.

D’autant plus que la premier recueil des quatre albums de Jojo ne se limitent à la publication des albums eux-mêmes : Dupuis a rassemblé les gags en demi-pages, les illustrations de couvertures, jeux et autres dessins ou récits épars qui se rapportent à Jojo. De plus, le volume reprend des planches publiées dans le Journal de Spirou mais restées inédites en album. Leur publication complète donc les récits en eux-mêmes, en leur offrant une perspective inédite sur l’œuvre d’André Geerts. Un trésor de tendresse incontournable, tout simplement.

Les séries mythiques

En restant le magazine composé exclusivement de bande dessinée qui détient la plus grande longévité (après Le Journal de Mickey), Dupuis profite légitimement du Journal de Spirou pour puiser au sein de ses trésors et rehausser le niveau de ses intégrales patrimoniales. Nous vous avons ainsi déjà parlé du douzième recueil de Buck Danny qui soulignait l’arrivée de Francis Bergèse comme dessinateur titulaire de la série, mais qui marque surtout la disparition de Jean-Michel Charlier en 1989.

Voici ce qu’écrivait Didier Pasamonik concernant ce douzième recueil : « Il reste que ces histoires qui ont maintenant trente ans dans les pattes restent d’une impressionnante actualité et que nous avons la chance avec Patrick Gaumer d’avoir sous la main un chercheur qui nous abreuve d’informations inédites. Et de documents rares !, comme cette histoire de la compagnie Total que Francis Bergèse avait réalisée à l’époque pour le grand pétrolier français. Là encore, un document rarissime. Il faut se le rappeler : Buck Danny, ce ne sont pas seulement des histoires, c’est surtout l’Histoire. De la bande dessinée mais aussi du monde. »

Intégrale Buck Danny : d’entrée, un Bergèse impeccable !
© Dupuis

Même qualité patrimoniale, mais encore plus loin dans le temps, avec l’édition chronologique de l’une des plus anciennes bandes dessinées des éditions Dupuis, Tif et Tondu, même si cette édition ne reprend pas les tout premiers épisodes réalisés par Fernand Dineur, le créateur de ces personnages. Citons encore le même Pasamonik à propos de ce premier recueil :

« Les débuts de Will sur Tif et Tondu sont enfin réédités en intégrale. Avec à la clé une foule de documents inédits dégottés par Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault et des éclairages absolument nouveaux sur une série présente dans Spirou dès le premier numéro de l’hebdomadaire carolorégien. »

« Outre le fait que cet album réunit des titres rares : Le Trésor de Beersel, La Cité des rubis ou encore La Revanche d’Arsène Rupin réédités à très petit tirage jadis par Michel Deligne, elle permet de comprendre une partie de l’histoire des éditions Dupuis avec ses dessinateurs, et notamment cet épisode où Will raconte comment il a failli travailler pour les studios Hergé. On peut y lire notamment la lettre de refus de Will au créateur de Tintin. S’il avait accepté, l’histoire de la bande dessinée belge aurait été profondément changée. »

Enfin, clôturons ce passage en revue avec un autre héros mythique du Journal de Spirou : Jean Valhardi, apparu dès 1941. Dans la lignée qualitative des précédents recueils, ce troisième volume revient sur les bouleversements au sein de l’équipe Valhardi : le passage de René Follet avec l’intégralité de la publication des Etres de la Forêt, et surtout l’arrivée marquante de Jean-Michel Charlier qui proposer trois récits d’anthologie à Eddie Paape : Le Château maudit et le diptyque Le Rayon Super-gamma & La Machine à conquérir le monde !

Si ces trois derniers titres ne comprennent pas de planches inédites par rapport aux diverses éditions et rééditions précédentes, le dossier d’une cinquantaine de pages passionnera les amateurs de la série. En fins connaisseurs de cette époque, qu’ils ont déjà travaillée dans de nombreux ouvrages publiés chez Dupuis, Christelle & Bertrand Pissavy-Yvernault retracent non seulement les vicissitudes du personnage de Valhardi qui a connu une réelle renaissance sous la plume de Charlier, mais regroupent surtout de nombreux documents d’époque.

Les rédacteurs racontent ses démêlés avec la censure, contextualisent l’esprit de la rédaction de l’époque avec de nombreuses photographies, reprennent des extraits des articles publiées dans le Journal de Spirou, et surtout s’appuient des films et documents de l’époque pour référencer la création de ces albums mythiques. Plus qu’un dossier, ces « introductions » mises bout-à-bout forment un véritable ouvrage de référence sur cette série fondatrice du Journal de Spirou..

Sans contestation possible, Dupuis continue de dominer le genre des intégrales, parvenant à valoriser son fonds tout en mettant en perspective la riche histoire du Journal de Spirou, ainsi que les auteurs qui y ont contribué. La maison de Marcinelle ne compte d’ailleurs pas s’arrêter en chemin, le deuxième tome de l’intégrale de Broussaille de Frank Pé paraissant en cette rentrée. Vue la qualité du premier recueil, voici déjà une nouveauté à ne pas manquer !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782800160924

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