Elles sont contenues dans 222 containers, symboles d’une période particulièrement noire de l’histoire de la bande dessinée américaine. Il s’agit des propres archives du psychiatre Fredric Wertham (1895-1981), auteur du célèbre ouvrage The Seduction of Innocent (La séduction de l’Innocent), point d’appui d’une violente campagne anti-comics qui tentait de faire le lien entre une certaine catégorie de bande dessinée et la délinquance juvénile.
Les ligues de vertus et les politiques conservateurs se sont emparés de ce rapport pour mener une croisade contre certains éditeurs (notamment EC Comics, éditeur de comics d’horreur) amenant les éditeurs américains de bande dessinée à créer en 1954 le Comics Code (comparable au Code Hayes au cinéma) afin d’éviter que leurs activités ne soient régulées par des lois trop contraignantes, comme c’était le cas en France depuis 1949.
Un sympathisant des Droits Civiques
Ce sont des facettes peu connues, et parfois surprenantes du psychiatre qui nous sont données à voir grâce à ses archives : Né à Munich en 1895 sous le nom de Frederic Wertheimer, Wertham fut doctorant en 1921 et c’est en 1922 qu’il émigre aux États-Unis pour y enseigner la psychiatrie. En 1932, il devient directeur de l’hôpital psychiatrique judiciaire, examinant en tant qu’expert chaque cas présenté devant la Cour de New-York, comme le tueur en série d’enfants Albert Fish dont il établit l’irresponsabilité mentale.
Ce qui est surprenant, c’est que notre grand censeur s’avérait être aussi un sympathisant des Droits Civiques prônant une société multi-raciale à une époque où la moitié des États appliquaient encore la Ségrégation. Il avait notamment ouvert un hôpital psychiatrique dans Harlem accessible aux personnes défavorisées. Avant la publication de son ouvrage, il avait travaillé sur l’insertion de jeunes délinquants opérant un travail de psychiatrie sociale tout à fait remarquable pour l’époque. Il est également intervenu en faveur de l’amélioration des conditions de détention des époux Rosenberg.
Le Dr Wertham a-t-il été victime de sa starisation ? En 1941, il publie : Dark Legend : a Study in Murder (Légende noire : étude d’un meurtre) basé sur son importante expérience dans le domaine, un ouvrage qui le lance auprès des médias. Axant sur son travail sur l’importance de l’éducation dans la jeunesse et les dangers de certaines scènes impressionnantes sur les enfants et les adolescents, il stigmatise notamment ces médias de masse qui construisent leur imaginaire.
En 1954, il s’attaque au genre le plus populaire du moment : le comic book, dont les héros rivalisent en super-pouvoirs et qui, surtout, avec le retour au pays des GI’s, leurs principaux clients, sont entrés, pour certains d’entre eux, dans une surenchère de titres racoleurs qui font la part belle au crime et à l’horreur. Avec Seduction of the Innocent, il apporte du four au moulin d’une campagne puritaine particulièrement violente contre les comics bientôt imprégnée par la chasse aux sorcières communistes.
Cette publication l’amène à témoigner à six reprises devant le Comité sur la délinquance juvénile au Sénat où il put s’étendre sans retenue sur la dangerosité de certains illustrés pour la jeunesse. Il était sincèrement persuadé qu’il fallait protéger les enfants des idées néfastes pour qu’une démocratie ne bascule pas dans l’anarchie.
Superman responsable de la violence des enfants vis-à-vis des filles ?
Ces 222 malles ont été acquises en 1987, par un legs à la Bibliothèque du Congrès de la part de la fille du docteur, et sont accessibles aux chercheurs depuis mai dernier. Dans ses papiers, on découvre quelques-unes de ses notes sur des comics qui lui soulevaient le cœur. Ainsi, dans Kid Colt, Outlaw (1967), 62 des 111 images de l’histoire présenteraient, selon lui, des scènes trop violentes. Dans un numéro de la Justice League of America de 1966, de nombreuses onomatopées aux sonorités brutales (“thudd”, “whapp” et “poww”) seraient trop suggestives. À l’appui de sa démonstration, on trouve dans ses papiers des dessins réalisés par ses patients et les notes thérapeutiques et les analyses qui y sont attachées.
Dans une notice sur Superman, il écrit : « Cet exemple montre que la confusion entre le rêve et la réalité provoquée par cette bande dessinée […] est responsable de la cruauté développée dans ses jeux par l’enfant, en particulier à l’endroit des jeunes filles… »
Le travail du Dr Wertham est à replacer dans un contexte où, dans la plupart des pays, la bande dessinée était considérée comme une sous-littérature désapprenant la lecture aux enfants. On sait aujourd’hui que ces études ne reposent sur aucune base scientifique sérieuse, se focalisant sur des exemples anecdotiques que pour mieux étayer leur thèse. Par ailleurs, certains historiens ont émis l’hypothèse que la virulence de la campagne anti-comics était aussi justifiée par le fait que le FBI soupçonnait les éditeurs de comics d’être des officines de blanchiment pour la Mafia.
L’icône du « super-villain » de la censure s’en retrouverait dès lors un peu plus complexifiée…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Xavier Mouton-Dubosc)
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Le blog de la Bibliothèque du Congrès
En médaillon : Le Dr Wertham - Photo DR - Courtesy of the Library of Congress
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