Depuis 2005, Fabrice David & Éric Bourgier dévoilent, pan par pan, les cinq livres qui composent l’incroyable géographie imaginaire de leur série Servitude. Tout en faisant progresser une trame générale, chaque album se concentre sur une race ou une peuplade : ses origines, ses constructions sociétales, ses croyances et les déséquilibres qui en résultent. En effet, chaque société progresse inexorablement vers sa chute. Mais une personne (ou une entité) semble décidée à accélérer ce déclin pour mieux revenir en force.
Le premier tome était consacré aux Fils de la Terre, un peuple issu des géants : on y fait connaissance avec le roi de la Couronne de fer, les princes des provinces en quête de revanche, et la guerre qui en résulte. Cette révolte est fomentée par les mystérieux Drekkars à qui est consacré le deuxième livre. Cette société ultra-codifiée est sous-tendue par les Dragons, qui ne font plus que de très rares apparitions. C’est d’ailleurs en s’opposant à leurs principes, mais pour récolter une denrée rare, que ces mêmes Drekkars vont faire pencher la balance lors d’un nouvel affrontement décrit dans le troisième livre : L’Adieu aux rois. On y comprend également mieux le rôle des cités franches, et on découvre que de nouveaux protagonistes auront bientôt leur rôle à jouer.
Des références porteuses
Les amateurs de Games of Thrones – Le Trône de fer ne manqueront pas de déceler certains parallèles : un royaume morcelé menacée par les dragons, une menace tapie au nord, des ambitions voilées au sud, une lutte pour le trône de fer (ici, une couronne), etc. Si l’univers de Servitude s’adresse clairement au même auditoire, la série de bande dessinée dépasse cependant le stade éculé des complots et des batailles pour s’intéresser davantage aux constructions sociétales : comment une civilisation se régit-elle, comment vit-elle, comment meurt-elle ? Qu’est-ce qui peut nourrir les abus de certains protagonistes et pousser les autres à la révolte ?
Le graphisme réaliste d’Éric Bourgier renforce la crédibilité de son univers. Chaque case est travaillée à l’extrême, trait et couleurs, pour servir son récit. L’auteur reconnait être influencé par le fougueux et précis Michetz Kogoratsu et le minutieux Bourgeon. Si le tome 2 de Servitude reflète à l’évidence l’influence du premier, ce nouvel et quatrième album évoque possiblement Le Cycle de Cyann.
Après trois années de patience : le livre IV
Ce quatrième tome s’intéresse cette fois aux Iccrins, un peuple qui avait déjà fait une timide apparition dans le premier tome, avant de réaliser une franche et surprenante incursion en conclusion du tome 3, album qui avait été sélectionné au Festival d’Angoulême 2012. Le rapport de force et les combats du tome 3 (en directe continuation du tome 1), font place à une nouvelle société dans le tome 4, ainsi que cela avait le cas dans le tome 2, comme dans une mécanique bien huilée.
L’album introduit le lecteur dans le quotidien de ces Iccrins, qui vivent sur trois majestueux piliers de béton qui touchent les cieux. Qui détient les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires ? Qui sont les Infants qui permettent à leur vaisseau de bois de relier le sols et les piliers entre eux ? Comment est régie cette société, vivant sous l’œil miséricordieux des Anges ? Tout ceci est expliqué en filigrane de l’intrigue… mais pas seulement.
Des dossiers aussi travaillés que les planches des albums
En effet, malgré leur profonde motivation, les auteurs se rendent bien compte que la bande dessinée ne suffit pas à détailler toute la richesse d’une telle construction, surtout lorsque l’on ne peut techniquement livrer qu’un album tous les deux ou trois ans. À la suite de leurs planches réalistes et emplies de détails, les auteurs offrent donc des compléments pour éclairer leur récit : chants et des extraits de livres figurent en introduction des albums et un dossier de fin apporte son lot d’explications sur les personnages, les sociétés décrites et leur fonctionnement, sur les différentes phases d’une bataille, détaillant la géographie politique du royaume ou les grandes dates de son évolution. Comme, chez Bourgeon & Lacroix, les auteurs du Cycle de Cyann (Delcourt), La Clé des confins avait permis de mieux comprendre les deux premiers albums de la série, ces introductions, lexiques et autres annexes constitue une sorte de "bible littéraire" qui renforce encore l’intérêt pour la série.
L’abondance des personnages sur un nombre réduit de planches suscitait en effet parfois quelques confusions entre les différents protagonistes d’un même tome, comme cela avait pu être constaté dans les Drekkars (livre II) ou entre les combattants du livre III L’Adieu aux rois. Tant du point de vue du scénario que du dessin, cette faiblesse de Servitude a été très bien gérée par les auteurs : ils ont su réduire le nombre de personnages sans renoncer à imaginer leurs sociétés complexes. Bien que particulièrement dense, l’intrigue ne se lit que plus intensément.
Servitude est une série éblouissante, autant pour son contenu que son rendu graphique, ce qui rend d’autant plus frustrant le temps d’attente entre chaque volume. Néanmoins, le processus de bonus mis en place permet d’attendre patiemment le cinquième et dernier livre de la saga et permet de se convaincre que nous sommes face à l’une des meilleures séries de ces dix dernières années.
(par Charles-Louis Detournay)
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Servitude, T4 : Iccrins – Par Bourgier & David – Soleil
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