La pandémie a donné un coup d’accélérateur à des ventes aux enchères qui se portaient pourtant déjà très bien depuis dix ans. On peut en effet désormais renchérir dans son fauteuil tant l’acte d’achat est bordé par une législation stricte. Résultat : les ventes se suivent presque sans discontinuer, avec une vacation quasiment chaque semaine en cette fin d’année. Avouons-le tout net : nous pouvons pas toutes les détailler, à moins de transformer ActuaBD en ActuaAuction [tiens, il faudra y penser... NDLR].
Nous avons par conséquent donc décidé d’opérer un choix ! Après un focus sur Daniel Maghen Enchères, la salle de vente qui occupe le haut du podium cette année, suivi de près par Artcurial et un hommage pour Coutau-Bégarie hier, nous allons terminer 2021 avec trois derniers événements qui nous ont semblé remarquables.
Intéressons-nous tout d’abord à la maison Millon Belgique. L’étude présente une vingtaine de ventes annuelles dédiée au neuvième art, tout en choisissant de réserver les lots les plus prestigieux à deux moments-clef de l’année : juin et décembre. Au diapason de celle de cet été, la vacation de ce 12 décembre impressionne par sa qualité... et sa quantité ! Pas moins de 640 lots sont proposés aux acheteurs ; inutile de préciser que nous ciblerons les pièces les plus remarquables.
Les habitués connaissent maintenant la traditionnelle marche à suivre : après les objets et les périodiques, ce seront Hergé puis Franquin qui ouvreront le bal des albums, suivis par une vingtaine de dédicaces, et plus de deux cents originaux.
Les figurines Pixi ouvrent le bal, avec notamment un lot regroupant le labyrinthe de livres de Gaston (2e version), ainsi qu’un village d’Astérix réalisé complètement avec vingt-deux boîtes de la marque. Mais le clou de cette première partie sera sans nul doute cette statue de Tintin d’1m30 réalisée en 1996 par Leblon-Delienne.
Ensuite, outre le très rare portfolio dédié à Jimi Hendrix par Moebius, les amateurs suivront attentivement le résultat du fameux portfolio d’Il était une fois les Belges publié par Paul Ide Gallery regroupant les trente-cinq lithographies signées par le gratin de la bande dessinée belge de l’âge d’or : Macherot, Morris, Peyo, Vandersteen, Walthéry, Bob de Moor, etc.
Après Hergé dont une très belle édition originale du Lotus bleu est ici proposée, la première édition française des Chapeaux noirs (Spirou et Fantasio par Franquin) fera certainement un score historique vu l’état presque neuf de cet album de 1955. Les deux maîtres de la BD belge sont également présents au rayon des dédicaces, mais ils sont supplantés par Giraud-Moebius dont les dessins réservés à ses lecteurs se distinguent une fois de plus par leur élégance, le soin et l’originalité de leur exécution.
Dans la rubrique des originaux, après un superbe Aslan à la mine de plomb, les enchérisseurs ne manqueront de saluer les trois magnifiques peintures réalisées par Batem, tombant à point nommé au moment où sort chez Champaka sa monographie Une Vie en dessins dont nous vous en reparlerons.
Millon propose sans doute l’une des plus belles planches de l’autre grand chef-d’œuvre de Cosey, au faîte de l’actualité avec son dernier album de Jonathan : À La Recherche de Peter Pan.
La star de cette vacation reste pourtant Franquin, avec une demi-douzaine d’originaux couvrant une période de 1959 à 1971. Le clou étant certainement ce magnifique gag de Gaston où Longtarin ravit quasiment la vedette au héros-sans-emploi.
Dans un autre registre, la planche du Cavalier perdu de Gir est un modèle du genre : si son héros Blueberry est en fâcheuse posture, Giraud réalise surtout l’une des plus belles demi-planches du début de sa carrière, avec cette attaque des soldats mexicains. Nul doute que le jeune dessinateur rêvait de surpasser son maître Jijé qui l’avait remplacé au pied levé sur la série lors de l’escapade du jeune auteur au Mexique. Avec la fin de cet album-clé dans son oeuvre, ayant "digéré" ses premières années d’auteur, Giraud accède sans conteste à ce moment au statut de l’un des grands dessinateurs réalistes de son époque.
Un peu plus loin, c’est Jacobs qui brille de tous ses feuxr. Pas de planche, certes, mais bien quelques croquis, ainsi que des bleus de coloriage, et surtout une magnifique aquarelle reprenant les héros du Rayon U. Une pièce muséale qui fait d’ailleurs office de couverture pour le catalogue de cette vente.
Enfin, terminons ce tour d’horizon avec deux magnifiques illustrations réalisées par Tardi pour Mort à crédit, présentant d’un côté un Paris festif et lumineux, contrastant avec un autre dessin, un Londres sombre et encombré.
Septimus ferme le bal
En s’ouvrant le 19 décembre à 13h, la vente Septimus qui se déroule comme d’habitude à Nivelles (au sud de Bruxelles), sera certainement la dernière vacation de l’année. Sur le principe d’« On ne change pas une équipe qui gagne », le catalogue reste fidèle à son schéma traditionnel : deux cents objets 3D dédiés à 95% à l’univers de Tintin, quelques dédicaces, cent cinquante pièces originales, et enfin quatre-vingt albums remarquables, essentiellement du Hergé.
Parmi les pièces les plus intéressantes, notons ce duo de statues (40 cm) représentant Blake et Mortimer sur le trottoir de La Marque Jaune avec la sérigraphie signée par Jacobs, une superbe illustration de Janry avec le grand et le Petit Spirou, ainsi qu’une grande dédicace de Vance représentant XIII.
Les originaux font la part belle au franco-belge : la couverture d’un Sammy par Berck s’accompagne d’une autre de Léo Loden par Serge Carrère ; tandis que celle d’Adrien Floch pour Les Naufragés d’Ythaq tient la distance face à celle d’Okko par Hub, et celle des Trolls dans la brume par Jean-Louis Mourier. Enfin, dernière couverture notable avec Seron et Le Lac de l’auto de sa célèbre série Les Petits Hommes.
Les maîtres italiens sont également à la fête, avec une des planches du Parfum de l’invisible T.2 de Milo Manara. Une référence de l’érotisme auquel rend justement hommage Félix Meynet dans une très belle illustration.
On retrouve une fois de plus JF Charles avec trois planches et surtout une magnifique peinture acrylique de 1m20 sur 80 cm qui bénéficie d’ailleurs de la couverture du catalogue. Son ami Dany est également bien représenté, entre autres avec une re-création de la fameuse scène où Colombe et Olivier Rameau nagent dans le plus simple appareil. Lambil est une fois de plus à l’honneur chez Septimus, avec quatre planches tirées de quelques-unes des plus belles aventures des Tuniques bleues.
Dernier invité et non des moindres : Walthéry est présent avec plusieurs œuvres, dont une des planches du mythique Treizième apôtre, ainsi que d’autres représentations de Natacha, ainsi qu’un magnifique hommage au Spirit de Will Eisner.
La famille Maltaite se mobilise
Enfin, après ces deux ventes qui totalisent plus de 1100 lots à elles deux, donnons un dernier coup de projecteur à une dernière vacation bien plus exceptionnelle, car elle ne comprend que vingt lots, tous donnés par la famille Maltaite, que les lecteurs connaissent bien puisque Willy Maltaite n’est autre que le célèbre Will et Eric Maltaite, son fils dessinateur, qui a clôturé en 2019 la trilogie de Choc. Cette vente procède d’ailleurs un peu du célèbre ennemi de Tif et Tondu car elle s’intitule "Vente BD de Choc en faveur d’Unun".
« Qui est Unun ? Unun vend des fruits dans le sud du sud de la Thaïlande, c’est la très drôle et vivante sœur de Nam, la femme de mon neveu, explique Eric Maltaite. La famille de Nam et la mienne avons uni nos destins autour d’une tasse de thé au mariage de Émile et Nam juste avant la pandémie en 2020. Nous avons bravé les risques d’attentats dans ce sud de la Thaïlande vierge de touristes, c’était chaud mais nous avons été reçus comme des rois. Nous avons créé de vrais liens avec la famille de Nam. Nous voulons sauver sa sœur Unun. »
Il poursuit : « La leucémie de Unun semblait en rémission jusqu’il y a peu et c’était tant mieux. Ses parents ne peuvent plus assumer les frais d’une forme grave, la pandémie leur ayant fait perdre la quasi-totalité de leurs revenus. Malheureusement le pire arriva avec une rechute suivie d’une hospitalisation inévitable. Pour un coût, d’environ 15.000 euros. C’est pour réunir cette somme que la famille de Will organise cette vente aux enchères avec l’aide de Geneva Auction et PerspectivesArt9. Les bénéfices de cette vente serviront en totalité à payer le traitement d’Unun. Merci d’avance pour votre générosité. »
La vente rassemble des sérigraphies, albums dédicacés, peintures et planches originales d’Eric et Willy Maltaite. On retrouve également un dessin original de Macherot, ainsi qu’une sérigraphie d’André Juillard, offerts respectivement par les sœur et frère d’Eric Maltaite. Sans oublier des dessins de Batem, de Christian Durieux, etc. Le clou est de cette vente est certainement cette superbe planche de Tif et Tondu, au sein de laquelle le maître de La Hulpe déploie toute la force de son art.
Pour les amateurs, cette vente représente une belle façon de terminer l’année : se faire plaisir grâce à une pièce venant en direct d’une grande famille d’auteurs, tout en contribuant à une belle action caritative ! Une générosité dans l’esprit de Noël !
(par Charles-Louis Detournay)
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