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Les vrais héros ne vivent pas longtemps

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 juin 2014                      Lien  
La tuerie du Musée juif de Bruxelles le prouve : il n'est jamais inutile de rappeler les crimes antisémites, d'établir les faits, de pointer les responsabilités, de transmettre la mémoire des victimes de ces comportements inhumains, car ils sont appelés à se répéter. De la même façon, il n'est jamais vain de rendre hommage aux héros, les vrais, pas ceux qui animent les jeux vidéo et les bandes dessinées.

Deux jours avant la tuerie de Bruxelles, je me trouvais dans la capitale belge attablé avec un de mes "chers confrères", interloqué par la question que j’avais posée l’après-midi même à Nat Neujean : "Hergé était-il antisémite ?". J’avais interrogé le sculpteur de Tintin parce que je savais que cette question était centrale pour lui : caché sous un faux nom pendant l’occupation (son vrai nom est Nathanaël Neuman), membre d’un réseau de résistance, ce juif anversois était bien placé pour savoir ce qu’être la victime d’odieux crimes contre l’humanité veut dire, ce que résister veut dire, ce que témoigner veut dire... Comment lui, le Juif, le résistant pouvait-il se compromettre avec quelqu’un soupçonné d’avoir collaboré avec l’occupant ? Il fit un témoignage vibrant en faveur d’Hergé. Une pièce à décharge.

Les vrais héros ne vivent pas longtemps
L’Affiche rouge, placard nazi qui a inspiré l’album.
DR

L’imbécile confrère posa la question : "- Pourquoi chercher à tout ramener aux Juifs ?" Il n’avait pas vu cette qualité de juif dans l’exposition, cela n’avait rien à voir avec la choucroute, prétendait-il. Il avait mal lu (le thème de la Shoah est central dans l’œuvre de Nat Neujean, et c’était clairement expliqué, et dans l’expo, et dans le dossier de presse). Deux jours après, l’actualité lui apportait une réponse encore plus cinglante : la bêtise, l’ignorance, l’aveuglement idéologique peuvent tuer des innocents. La passion antisémite n’est jamais éteinte.

Le même confrère aurait posé la question : pourquoi avoir fait, avec cette bande dessinée, Vivre à en mourir de Laurent Galandon et Jeanne Puchol (Le Lombard), une histoire sur Marcel Rayman, l’un des membres du groupe Manoukian, rendu célèbre par L’Affiche rouge, en mettant en couverture la mention "juif polonais" ?

Parce que c’était un tout jeune homme, épris de lecture, qui avait choisi de prendre les armes face aux horreurs commises par l’occupant en complicité avec la police française. Un résistant ordinaire que la Gestapo ne mit pas longtemps à débusquer et qui finit fusillé. Une courte vie symbolique d’une jeunesse fauchée par une idéologie criminelle.

Et vous savez pourquoi Rayman plutôt qu’un autre ? Peut-être parce que c’est le titre d’une série à succès du créateur de jeux vidéo Michel Ancel créée en 1995 et qui a dépassé les 16 millions d’exemplaires vendus. Un personnage qui n’a "rien à voir avec la choucroute" mais que tous les jeunes (et quelques plus âgés) connaissent. À ceux-là, comme à d’autres, nourris à la bouillie médiatique, culturelle et idéologique de notre temps, il est bon de rappeler que ce nom était celui porté par un vrai héros qui a payé de sa vie notre droit à la liberté, au confort et à la bonne conscience. Contrairement aux héros imaginaires, les vrais héros ne vivent pas longtemps.

L’album de Jeanne Puchol et Laurent Galandon est factuel, linéaire, prévisible et propret. On en connaît la fin, rien qui n’inspire l’excitation d’une histoire "passionnante". Il incarne cependant la dignité d’un jeune homme qui aurait pu être notre ami, notre frère, notre fils et qui a donné sa vie dans l’espoir de n’être pas mort pour rien.

"Vivre à en mouir" de Galandon et Puchol.
(c) Le Lombard

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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