"Levants" de Nicolas Presl (Atrabile) : Les Milles et Une Nuits de l’Orient contemporain

Les Levants de Nicolas Presl, ce sont ceux du passé, du présent et un peu du futur. Ce sont ceux du Liban, de Turquie, de l’Irak et de l’Iran. Ce sont ceux des amours et des conflits, des mythes et des récits, des prières et des cris. Ils sont muets et colorés, fourmillants et stylisés, comme son dessin, comme ses histoires.

Levants est le septième livre de Nicolas Presl chez Atrabile, depuis Priape en 2006, son huitième au total en comptant Le Fils de l’ours père paru chez The Hoochie Coochie en 2010. Tous sont sans un mot. Les premiers sont en noir et blanc, les plus récents en couleurs. Son style, même s’il s’affine avec le temps, conserve ses particularités, cette singularité qui distingue les auteurs qui, bien que discrets ou peu médiatisés, apportent du neuf à la bande dessinée.

Ce qui caractérise le trait de Nicolas Presl n’a rien d’exceptionnel, si nous en prenons chaque élément isolément. Ses bandes dessinées sont entièrement "muettes". Pas de bulles, pas d’indications textuelles entre les cases ou entre les pages, éventuellement une ou deux inscriptions dans un alphabet non latin. Ses personnages sont reconnaissables immédiatement grâce à leurs traits grossis - les yeux surtout - qui frôlent la caricature sans jamais l’atteindre. Certains ont même un aspect grotesque, rappelant les masques du théâtre antique ou des scènes médiévales. À l’opposé, les décors sont très détaillés tout en étant souvent déformés voire désaxés.

Levants © Nicolas Presl / Éditions Atrabile 2018

Levants © Nicolas Presl / Éditions Atrabile 2018

Le dessin de Nicolas Presl, s’il est unique, rappelle en effet aussi bien les reliefs de l’Égypte antique que les œuvres des premiers cubistes. Les visages sont la plupart du temps représentés de profil, même quand les corps sont de face. Les objets, les véhicules, les bâtiments sont bien souvent représentés selon plusieurs angles, simultanément, donnant à l’œil du lecteur tout ce qui permet à son cerveau d’imaginer au mieux la scène dessinée [1].

Il n’y a cependant rien de systématique dans les choix de Nicolas Presl, hormis jusqu’à ce jour celui du dessin mutique. Comme il a su passer du noir et blanc à la couleur, il lui arrive de montrer des visages de face. L’essentiel est que la contrainte demeure une stimulation, que le style ne soit pas une coquille vide et que, finalement, le fond et la forme se définissent par leur unicité.

C’est le cas dans Levants. Les histoires de cet ouvrage se déroulent dans un Proche-Orient contemporain mais dont les contours restent imaginaires - nous pourrions être à Téhéran aussi bien qu’à Beyrouth, au bord de la Mer Méditerranée aussi bien que du Golfe Persique. Composé d’un ensemble de récits, Levants regroupe des narrateurs multiples. Histoires racontées, lues ou entendues, reliées par de vagues échos ou des liens directs, chacun a sa couleur, sa tonalité.

Levants © Nicolas Presl / Éditions Atrabile 2018

Levants © Nicolas Presl / Éditions Atrabile 2018

La trame du récit principal est relativement simple : un marchand itinérant, loquace et curieux, liant et joyeux, rencontre par hasard une femme meurtrie et mystérieuse. Ils prennent le temps de s’écouter, de s’apprivoiser, malgré la retenue, la pudeur, les interruptions et les peurs. D’autres histoires vont alors s’enchâsser dans ce récit, lui donnant une ampleur et une profondeur inattendues.

Comme dans Les Mille et Une Nuits, les frontières entre la légende et la réalité s’amincissent au fur et à mesure que la narration avance. Les sujets évoqués ou interrogés sont multiples - la guerre, la religion, les rapports entre femmes et hommes, la fidélité, l’engagement... - et les personnages abondent. Mais Nicolas Presl ne perd jamais son lecteur, même si de nouvelles lectures ne pourront qu’enrichir la première. N’est-ce pas ce qui caractérise, justement, les contes ?

Levants © Nicolas Presl / Éditions Atrabile 2018