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Li Lung-chieh : "Les éditeurs disaient que ce que je faisais ne ressemblait pas assez au manga"

Par Céline Bertiaux Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 juillet 2018                      Lien  
Venus en France à l'occasion de Mangasia au Lieu Unique de Nantes, Li Lung-chieh nous a accordé un entretien. Nous avons parlé de ses projets, de la difficulté d'être publié à Taiwan et des possibilités d'édition à l'étranger.

Où et quand êtes-vous né ?
Je suis né à Taipei le 16 septembre 1982.

Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous arrivé à la bande dessinée ?
Je n’ai jamais fait de formation en bande dessinée. Quand j’étais jeune, je lisais beaucoup de mangas et ça m’a donné envie d’en faire aussi. A 15 ans, j’ai participé à un concours de jeunes talents et j’ai remporté un prix. C’était la première fois que je montrais mon travail !

Suite à ce concours, vous avez réussi à vous faire publier ?
Non, pas si vite ! Pendant 10 ans, j’ai été lauréat de 10 autres prix Jeune Talent sans être publié. A Taiwan, ces prix ne garantissent pas de trouver un éditeur. Généralement à Taiwan, quand on est lauréat d’un prix on peut proposer un projet aux éditeurs. C’est curieux parce que pendant les concours, les jurys qui sont éditeurs trouvaient mon travail très intéressant. Mais dès que je demandais qu’ils me publient, ils disaient qu’en fait ce que je faisais ne ressemblait pas assez au manga.

Li Lung-chieh : "Les éditeurs disaient que ce que je faisais ne ressemblait pas assez au manga"

Ils attendaient un style plus manga que personnel ?
En ce moment, les éditeurs taiwanais sont plutôt conservateurs et demandent aux jeunes auteurs un style très manga, oui.

Mais comment viviez-vous ?
J’étais étudiant à ce moment-là, je ne me préoccupais pas de gagner ma vie.

Comment avez-vous réussi à publier vos premiers livres, finalement ?
En 2008, j’ai bénéficié d’un projet entre le gouvernement taiwanais et les éditeurs. C’était une bourse qui m’a permit d’écrire l’histoire de Cafardwoman.

C’est donc une parodie de super-héros ?
Non, non, j’étais très sérieux ! (Rires) Personnellement, je n’ai pas une image négative des cafards.

Quel est le super-pouvoir de Cafardwoman ?
Elle peut voler, et a autant d’énergie et de résistance que le cafard. Cet animal, on n’arrive pas à le tuer facilement !

Et ça a plu au public ?
Ca n’a pas eu un succès énorme. J’ai eu la chance d’être publié par un éditeur majeur du pays, mais ils n’ont pas mis beaucoup de moyens sur mon projet. Ils se concentrent surtout sur la promotion du manga. Alors c’est pour ça, je pense, que cette BD n’a pas tellement marché.

A Taiwan, une BD fait combien de tirage en général ?
3000 exemplaires.

Mais alors vous êtes obligé de faire un autre métier à côté, non ?
Non, je n’ai pas d’assistant, je fais tout, alors je n’ai pas le temps de faire autre chose ! Et je ne me vois pas faire quoi que ce soit d’autre. Je me concentre sur mes BD. Et puisque la collaboration avec les éditeurs ne marche pas très bien, j’ai décidé d’auto-éditer deux livres à côté des quatre publiés en maison d’édition.

Pourriez-vous nous parler un peu plus de ces livres auto-édités ?
Il y en a un dans lequel les personnages sont tous des animaux, et l’histoire se déroule de leur point de vue. Ce ne sont pas des animaux comme La Fontaine, anthropisés. Ce sont de vrais animaux au départ, ils ne parlent pas ! Mais finalement, ils gagnent en intelligence et en adresse en observant les humains, ils les imitent. Par exemple, j’ai un personnage de rat qui regarde un combat à la télévision taiwanaise et décide de devenir catcheur. Grâce à cette expérience d’observation de l’homme, il apprend des techniques de catch qu’il réutilise contre un chat. Autre exemple : il y a un cheval qui regarde une course de voiture et décide de concourir avec les véhicules, et il gagne en vitesse.

C’est donc une réflexion sur l’influence que les humains pourraient avoir sur les animaux ?
A travers ça, je montre l’influence que les êtres humains ont sur les uns et les autres. A cause de notre éducation et de notre famille, nous ne pouvons pas toujours réaliser notre rêve. J’ai voulu voir comment les animaux, eux, pouvaient réaliser les leurs.

Vous avez aussi écrit Ichtyophobia : en grec, la peur du poisson…
C’est autobiographique, j’ai moi-même peur du poisson !

Mais je vois un combat avec un ours, est-ce vraiment autobiographique ?
(Rires) C’est plus de l’autofiction, c’est vrai ! Mais je parle beaucoup de moi, je me base sur de vrais évènements de ma vie.

Pourquoi avoir fait une bande dessinée sans texte ?
Je n’ai pas mis de paroles pour rendre ça plus universel. C’est accessible à tous, dans tous les pays, il n’y a pas de problème de traduction. C’était aussi intéressant de voir ce qu’on pouvait raconter seulement avec l’image.

Par contre, Koxinga Z semble plus historique. Quel est le sujet ?
C’est un livre sur une bataille très importante dans l’histoire de Taiwan. C’est après cette bataille décisive que l’île, qui avant était surtout peuplée d’aborigènes taiwanais, a vu sa population devenir majoritairement chinoise. Aujourd’hui, les Taiwanais sont surtout des descendants chinois.

Cette bataille est donc l’acte fondateur du Taiwan moderne, sa conquête par les Chinois ?
Pas tout à fait ! Koxinga, c’était un général chinois, mais à l’époque, la Chine était gouvernée par la Mandchourie. Il est chassé par les Mandchous. A Taïwan, quand on parle de cette bataille du 17e siècle, c’est souvent du point de vue de ce général. J’ai essayé de changer cela et de voir cette bataille du point de vue des Néerlandais.

Et ça n’a pas intéressé un éditeur néerlandais ?
Je n’ai pas pensé à en contacter un ! En fait, le gouvernement néerlandais était impliqué, mais leur envoyé était d’origine suédoise. Il travaille pour la Compagnie des Indes néerlandaises, parce que dans cette compagnie, il y avait beaucoup d’étrangers.

Mais ça pourrait intéresser un public néerlandais tout de même !
Dans ce livre, je parle beaucoup du mal que les Néerlandais ont fait aux Taïwanais, je n’en parle pas en bien. Nous, les êtres humains, on est compliqués. Ceux qui sont présentés comme des héros en Hollande sont vus comme des personnes cruelles par les habitants locaux.

Quant à votre dessin, est-il typique de Taiwan ?
Au contraire, j’ai essayé de développer un style très personnel, qui ne ressemblerait à aucun autre. Bien sûr, au début je copiais les auteurs de mangas que j’appréciais. Mais j’ai aussi lu des bandes dessinées européennes et américaines, qui m’ont montré qu’on pouvait très bien développer un dessin très personnel.

Quels sont les auteurs européens et américains que vous admirez ?
J’admire Geof Darrow et Moebius, dont les dessins m’ont inspiré. Mais il y a aussi un auteur que j’adore, celui qui a écrit Cowboy Henk, Herr Seele. Je l’ai découvert à Angoulême. J’étais avec deux autres autrices de bande dessinée, et nous avons acheté chacun un album de notre côté. Et comme par hasard, on a tous les trois acheté le même : Cowboy Henk.

Mais le dessin d’Herr Seele est très différent du vôtre !
Oui, il ne m’a pas inspiré, lui. Je pense que tout être humain normal est incapable de copier Herr Seele ! (Rires)

Propos recueillis par Didier Pasamonik, avec l’aimable contribution de Li-Chi Lin, la talentueuse autrice de "Formose". pour la traduction simultanée.

(par Céline Bertiaux)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Merci à Madame Li-Li Lien, directrice du Centre Culturel de Taïwan à Paris.

 
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