Liberty - Par Warnauts & Raives - Le Lombard

Kinshasa, 1974. La capitale du Zaïre (actuellement, la République Démocratique du Congo, NDLR) est en pleine ébullition. “The Rumble in the Jungle”, le combat qui oppose Muhammad Ali à George Foreman pour le titre de champion du monde poids lourds de boxe anglaise, a lieu dans ce pays d’Afrique centrale transformé par la politique d’authenticité et de fierté africaine du président Mobutu.

Cet affrontement épique est depuis entré dans l’Histoire car Ali y a regagné sa couronne de champion du monde, spoliée à la suite de son opposition à la guerre du Viêt Nam et de son soutien au mouvement Black Power. Tout un symbole ! Mais derrière la grande histoire, il y a celle plus modeste des gens du peuple. C’est ce que nous raconte ce roman graphique dans lequel nous suivons le parcours de deux femmes, une mère et sa fille.

Tshilanda est la fille du chef de la sécurité d’un grand hôtel international de la capitale zaïroise. C’est une séduisante jeune femme à peine sortie de l’enfance qui attire tous les regards masculins. Mais l’un de ces hommes, le magnétique manager du groupe de James Brown, alors de passage au Zaïre, ne va faire qu’une bouchée de la naïve adolescente. Elle se retrouve enceinte à 16 ans… Il faut la faire quitter le Zaïre afin d’éviter le scandale. Deux hommes, Mike le batteur afro-américain du groupe du “Godfather of Soul”, et Edouard, un diplomate français basé à Kinshasa, se sont pris d’affection pour elle et vont l’aider à partir pour les États-Unis, où elle accouche d’une petite fille au nom de Liberty…

Liberty

Warnauts & Raives © Le Lombard

Un récit entre fiction, anecdotes personnelles et Histoire

Après Les Suites vénitiennes et L’Innocente, Liberty est la 3e réédition au Lombard d’une œuvre du duo Warnauts & Raives initialement publiée chez Casterman en 2010. Il s’agit aussi du dernier album du binôme chez l’éditeur tournaisien, avant leur entrée chez le rival bruxellois.

Précisons que ce changement d’éditeur s’accompagne également d’un changement de format. En effet, l’album passe d’un one shot de 64 pages conventionnel 24 x 32 cm à un livre de 160 pages au gabarit 202 x 268 mm, qui correspond plus aux dimensions d’un roman graphique. Parmi les autres modifications, notons un changement de typographie dans le titre ainsi que d’un retournement du dessin de couverture.

À l’instar des autres albums de Warnauts & Raives, Liberty est né d’anecdotes et de leur envie de partager leurs points de vue sur le monde : « À chaque fois que l’on fait un récit, c’est que l’on a envie de dire des choses. Des choses que l’on ressent, et puis on se dit que l’on devrait un peu s’interroger là-dessus… “Liberty” est inspiré d’une confidence que m’avait faite une amie. Mais son histoire à elle est beaucoup moins dramatique. Elle m’a raconté avoir noué une relation d’amitié avec un homme qui est devenu pour elle une sorte de père adoptif. Et puis, son -véritable- père avait la même fonction que le père de notre héroïne dans la BD », nous explique Éric Warnauts.

Warnauts & Raives © Le Lombard

Les auteurs terminent l’album par l’élection de Barack Obama le 4 novembre 2008. À l’origine, ils n’avaient pas prévu cette conclusion, mais l’actualité de l’époque les a poussé à réécrire la fin dans le but d’en faire une sorte d’apogée du combat des Afros-Américains pour les Droits civiques : « Au moment où nous avions écrit l’histoire, Barack Obama n’était alors qu’un vague candidat. Et puis, durant la création de l’album, celui-ci est devenu incontournable. Rappelez-vous l’effet d’annonce ! Il est quand même le premier Noir américain à être président des USA. Au moment où nous avions remis le scénario final à Casterman, il était en concurrence avec Hillary Clinton et on ne pensait pas qu’il passerait, mais il a réussi son coup ! » nous rappelle quant à lui Guy Raives.

L’intrigue prend de temps à autre des accents plus personnels lorsque, par exemple, le personnage de Liberty dit qu’elle aurait préféré être blanche… « Ce sont des choses que j’ai déjà entendues sortir de la bouche de ma fille ainée », précise Warnauts qui est père de deux filles métisses nées de son union avec une Congolaise. Il poursuit ses explications en ces termes : « C’est pour cela qu’il faut du temps pour que les choses changent car, ce genre de réflexion, je ne l’ai pas entendu chez ma seconde fille qui est cinq ans plus jeune que sa sœur… Lorsqu’elles étaient en immersion dans une école en anglais, il n’y avait que deux ou trois métis dans la classe de la première. Tandis que pour la seconde, il y avait une plus grande diversité ethnique. Du coup, ma cadette ne s’est pas posée de questions et elle a eu un rapport beaucoup plus sain avec ses origines congolaises. Mais aujourd’hui c’est passé, ma fille ainée est réconciliée avec sa part africaine... C’est Guy (Raives, NDLR) qui a eu l’idée de remettre ça dans l’album ».

Le Congo, le voyage, les destins croisés de personnages anonymes témoins des grands moments de l’Histoire, les relations entre Blancs et Noirs… Vous l’aurez compris, Liberty est représentatif des thématiques chères aux deux auteurs belges. C’est un récit résolument optimiste en dépit des parcours tragiques des personnages que nous suivons. C’est une BD dont la beauté graphique n’a d’égale que le profond humanisme qui se dégage de la bibliographie de ces conteurs. Un album à (re-)découvrir absolument.

Ali contre Foreman - Le mythique combat "The Rumble in the Jungle"

Warnauts & Raives © Le Lombard