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Loïc Dauvillier (L’Attentat) : " Il y avait dans le roman L’Attentat, tous les éléments pour me séduire."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 31 août 2012                      Lien  
C'est l'un des livres-choc de la rentrée. Tiré du roman de Yasmina Khadra, L'Attentat est le livre du moment qui parle le mieux du conflit israélo-palestinien, avec finesse mais sans naïveté, ni manichéisme.
Loïc Dauvillier (L'Attentat) : " Il y avait dans le roman L'Attentat, tous les éléments pour me séduire."
L’Attentat de Dauvillier & Chapron, l’une des perles de la rentrée BD
Ed. Glénat

Vous avez été éditeur ?

Je le suis toujours. Je m’occupe des éditions Charrette. D’ailleurs, ce matin, j’ai finalisé les maquettes des trois prochains livres à paraître en 2013. Il est vrai que les éditions Charrette ne publient plus actuellement de bande dessinée. C’est peut-être cela qui vous fait parler au passé.

Comme scénariste, vous n’en êtes pas à vos débuts dans le scénario non plus...

Exact. J’ai signé mon premier contrat d’édition en 2003. J’ai la chance d’avoir la confiance des éditeurs. Je dis bien chance… car ce n’est pas évident de publier, surtout actuellement.

Après un livre sur les Juifs et la Shoah (L’Enfant cachée), en voici un autre sur Israël et la Palestine. Il y a un lien entre ces deux sujets ?

En travaillant sur ces deux ouvrages, je me doutais que l’on me poserait cette question. Normalement, l’ouvrage L’Enfant cachée aurait dû être publié bien avant L’Attentat. La proximité des dates de publication renforce le possible rapprochement entre les deux livres. Il est question d’une petite fille juive dans L’Enfant cachée et du conflit palestino-israélien dans L’Attentat. Il n’est donc pas illogique de rapprocher les deux ouvrages.

Pour autant, je n’ai pas abordé les choses de cette manière. L’Enfant cachée est un ouvrage qui peut être lu par l’ensemble de la famille. Il raconte l’histoire d’une petite fille juive persécutée durant la deuxième guerre mondiale. L’Attentat n’est pas un ouvrage pour tous les publics. Il raconte l’histoire d’un médecin arabe, naturalisé israélien, dont la vie bascule du jour au lendemain. Dans L’Attentat n’est question qu’ une seule fois de la Shoah (scène de la discussion entre le grand-père de Kim et d’Amine). Pour comprendre que le grand-père parle de la Shoah, il faut faire le lien entre les paroles prononcées par le grand-père et le tatouage qu’il porte sur son bras.

Pour moi, s’il doit y avoir un lien entre les deux ouvrages, c’est celui de la disparition d’un proche. Pour L’Enfant cachée, c’est celle des parents de la petite Dounia durant une rafle. Pour L’Attentat, c’est la disparition de l’épouse d’Amine dans un attentat kamikaze.

Qu’est-ce qui vous a motivé à adapter l’œuvre de Yasmina Khadra ?

Le projet date de 2009. Je venais de publier Inès aux éditions Drugstore. Lors d’une discussion avec Cédric Illand (l’éditeur d’Inès, un autre de mes ouvrages), il m’a conseillé de lire ce livre. Appréciant beaucoup les échanges avec Cédric, je suis donc attentif à ses conseils. Il y avait dans le roman L’Attentat, tous les éléments pour me séduire. C’est un livre où l’humain est au cœur du récit. J’ai énormément apprécié la manière dont Yasmina Khadra aborde le conflit palestino-israélien. Il dresse un constat et invite le lecteur à s’interroger sur la situation. Il n’impose pas des réponses, il provoque des questions. Je me reconnais dans cette démarche. Il est évident que Cédric avait en tête d’adapter cet ouvrage. Je suis content d’avoir suivi son conseil de lecture.

Comment avez-vous procédé à cette adaptation ?

Avec Cédric Illand, il nous a fallu trouver le bon dessinateur pour ce récit. Cela n’a pas été une chose facile… Si l’approche graphique était primordiale, il fallait également que le dessinateur soit en accord avec le fond et la façon de l’aborder ce projet. J’avais vraiment besoin de savoir qui allait dessiner ce livre pour attaquer l’adaptation.

Et puis, on a repéré l’ouvrage de Julia Wauters et Glen Chapon, Vents dominants (aux éditions sarbacane). J’ai adoré ce livre. J’aimais la dimension humaine et la façon dont le dessin portait le récit. Cédric aimait également cet ouvrage et le travail de Glen. Nous avons contacté le dessinateur. Glen a fait des essais et nous nous sommes rencontrés physiquement lors du festival Quai des bulles. Suite à une longue balade sur les remparts de Saint-Malo, l’équipe était formée. Je me sentais apte à attaquer le travail du découpage.

Pour ce qui est de la forme, je voulais que le travail sur L’Attentat soit au carrefour entre mon travail sur Inès (drugstore)et celui sur Oliver twist (Delcourt). D’ Inès, je voulais garder la sensibilité et le traitement des personnages et des émotions. D’Oliver Twist, c’est la structure de la page « à la Tintin » (4 strips de 3 cases) que je voulais conserver. Le travail d’Hergé m’impressionne par sa fluidité de lecture. Pour un ouvrage comme L’Attentat, il me semble essentiel de ne pas perdre le lecteur en route.

Au début, le récit ne devait pas dépasser les 120 pages. Nous en avons réalisé plus de 140. Les éditions Glénat nous ont laissé faire le livre que nous voulions. Jusqu’au dernier moment, la pagination n’était pas claire. C’est une chance de pouvoir travailler ainsi.

Pour ce qui est de la question du fond : Parfois, lorsque l’on adapte un roman, on peut modifier la structure dramaturgique. C’est ce que j’ai pu faire sur la série Oliver Twist. Avec L’Attentat, il n’y avait aucune raison d’y toucher.
Je me suis concentré sur deux points. Premièrement, sur les dialogues. Je tenais à garder le ton de Yasmina Khadra. Pour autant, je sais qu’un dialogue destiné à un roman et un dialogue pour une bande dessinée, ce n’est pas la même chose. On ne dialogue pas de la même façon. Pour un roman, le dialogue s’inscrit au milieu des autres mots. En bande dessinée, le dialogue s’inscrit au milieu des images. C’est très différent. Mon travail a été de trouver un équilibre.

Deuxièmement, sur la documentation. Glen et moi, nous tenions absolument à inscrire le récit dans les territoires où se déroulent les actions. Dans un roman, on peut décrire vaguement un lieu. C’est le lecteur qui va faire de mise en espace. Il va s’inventer son décor. En bande dessinée, on peut improviser, mais ce n’était pas notre souhait sur ce projet.

L’Attentat de Dauvillier & Chapron, d’après yasmina Khadra
(c) Glénat

Yasmina Khadra est-il intervenu ?

Oui et non. Au début, il a été très vigilant sur ce que nous voulions faire de son histoire. Il nous a expliqué qu’il sortait d’une très mauvaise expérience sur l’adaptation cinématographique de ce roman. Le scénario pour le cinéma ne lui convenant pas, il avait été dans l’obligation de s’opposer à la réalisation de ce projet. Nous avons parfaitement compris sa position et nous avons pris le parti de lui soumettre une version en story-board. Avec une trentaine de planches, nous avons été le rencontrer. Il a pris le temps de lire notre travail. Il a été très disponible pour répondre à l’ensemble de nos questions. À la fin de cette rencontre, il nous a donné sa confiance. Nous avons pris la décision de découper et de story-boarder l’ensemble de l’ouvrage. Nous lui avons fait parvenir pour lecture et validation. Il a respecté notre travail et n’a demandé aucune modification.

Vous êtes allé en Israël et en Palestine ?

Cela n’a malheureusement pas été possible. Pour la documentation, nous avons fouillé le moindre recoin d’internet. ça n’a pas été facile mais nous avons réussi. Nous remercions l’ensemble des internautes qui ont eu la gentillesse de mettre leurs photos de voyage sur Internet. Elles nous ont été très utiles. Avec Glen, nous devons être fichés à la D.G.S.E. Pour trouver l’intérieur de la mosquée de Bethléem, nous avons du visiter des site, comment dire…, avec des vidéos étranges… Je n’en dirai pas plus. La documentation a occupé une grande place dans ce travail mais il nous semble que c’était la moindre des choses. Sans nous rendre sur place, je pense que nous sommes fidèles aux lieux.

Comment vous êtes-vous documenté sur la situation politique ?
On n’aborde pas ce sujet en partant de rien. La situation politique de cette région ne m’était pas inconnue. Vivre sur cette planète et ne pas prendre conscience de l’importance de ce conflit, c’est pour moi impensable.

Pour les décors, comment Glen Chapron a-t-il procédé ?

Dans mon découpage, j’ai l’habitude de joindre la documentation nécessaire. Glen avait une base de travail mais je sais qu’il a fait beaucoup de recherche de son côté.

Vous décrivez bien la différence entre islamistes, fondamentalistes et patriotes. Était-ce dans l’œuvre d’origine ?

La précision est celle de Yasmina Khadra. L’auteur maitrise parfaitement ce sujet. On retrouve cette préoccupation dans ses autres romans. Pour n’en citer que deux : Les Hirondelles de Kaboul, Les Sirènes de Bagdad.

Processus créatif et usage de la documentation
(C) Glénat et les auteurs

C’est un album très fort, avec de très belles séquences, où les femmes jouent un rôle important. Croyez-vous que ces deux peuples arriveront un jour à s’entendre ?

On ne peut que souhaiter un règlement du conflit et un apaisement des tensions entre les peuples. Je suis bien en peine de ne pas pouvoir répondre à votre question.

Vous avez d’autres projets de ce type ?

En adaptation, oui. Je suis actuellement en train de travailler avec Thibault Balahy et Olivier Adam sur l’adaptation du roman Falaises d’Olivier Adam. L’ouvrage sortira en octobre 2013 chez l’Olivius (L’olivier-Cornélius).

J’aime beaucoup le travail d’adaptation. J’ai des envies… Ça ne manque pas.
Actuellement, mon temps d’écriture est accaparé par deux gros projets. Le premier est un projet transmédia jeunesse que je mène avec Baptiste Amsallem. Il porte le titre Monsieur Lapin. Il y a trois volets à ce projet : Une bande dessinée, à paraître en octobre 2012, aux éditions des ronds dans l’O ; une application numérique, à paraître en octobre-novembre 2012, que nous réalisons avec la structure My pixel is alive ! ; et une série d’animation TV, produite par Marmitafilms que je coréalise avec Jérôme d’Aviau.

Le deuxième, c’est l’adaptation en long métrage d’animation de L’Enfant cachée. Je suis actuellement en train de travailler sur la réécriture du scénario. Des producteurs sont intéressés… On verra bien.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

L’Attentat de Dauvillier & Chapron, d’après yasmina Khadra
(c) Glénat

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Loïc Dauvillier. Photo DR.

 
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