Le passé de la BD n’a jamais été aussi présent dans les étals des librairies : que ce soit dans le domaine du patrimoine : rééditions luxueuses en tout genres, munies d’un accompagnement critique circonstancié ou études savantes comme chez Dupuis ; par la continuation de séries classiques existantes ou encore par un système de spin-off, comme c’est le cas pour Les Mondes de Thorgal chez Lombard ou XIII Mystery chez Dargaud. Le Lombard en remet une couche en cette année 2015.
Le suspense en tweed
Avec Ric Hochet d’abord. La disparition de Tibet en 2010 a été un choc pour Le Lombard. L’homme avait fait toute sa carrière dans le catalogue des "Jeunes de 7 à 77 ans", en dépit des ruptures, des changements de direction et des malentendus. Tibet était la fidélité-même, et avec ça, il opérait avec une régularité de métronome : deux albums par an, un Ric Hochet et un Chick Bill. Ric Hochet a squatté longtemps la première place au référendum de l’hebdomadaire Tintin. "Parce qu’il n’y avait pas Tintin" tempérait toujours le modeste dessinateur. Les ventes n’étaient pas astronomiques mais en quantités suffisantes et surtout, régulières. Comme Agatha Christie au Masque : avec le temps, cela faisait un chiffre conséquent. Alors quoi ? La série s’arrêterait là ? Ni Tibet s’il était encore là, et en tout cas ni sa veuve Nicole et encore moins André-Paul Duchâteau, le scénariste de Ric Hochet qui est toujours sur le pont, n’auraient pu s’y résoudre.
C’est Zidrou, scénariste prolifique et multiforme, qui engrange ces dernières années des succès retentissants adaptés au cinéma (L’Élève Ducobu, Tamara...) qui s’y est mis. Ric Hochet est dans la lignée du "light suspense", ces "romans à énigmes" à la John Dickson Karr , Stanislas André-Steeman ou à la Agatha Christie. L’ambition de l’éditeur est de moderniser le personnage. Zidrou y parviendra-t-il ? En tout cas, le dessinateur Simon Van Liemt a maintenu sa célèbre veste de tweed comme les hommes n’en portent plus depuis les années 1970. Surfera-t-il sur Twitter ou Facebook ? Non car, comme dans Blake & Mortimer, l’utopie historique reste de mise, les codes graphiques restent en place. C’est donc une empreinte nostalgique que laisse cette reprise faite avec la bienveillance d’André-Paul Duchâteau, celle d’un temps révolu : celui de la bande dessinée belge des années d’or, d’avant la pollution nucléaire, le réchauffement de la planète, le piratage informatique et l’Internet. De quoi rêver en effet...
Le premier volume sort fin mai. Il a pour titre : RIP, Ric Hochet. Et il revient aux fondamentaux de la série : " Deux ans après son évasion, Caméléon est de retour à Paris. Grâce à la chirurgie et à des mois d’entraînement, il est devenu la réplique exacte de son vieil ennemi : Ric Hochet. En prenant sa place, il va bouleverser son univers " dit le communiqué.
Bob Morane contre tout chacal
Avec Bob Morane, c’est à un autre mythe que l’on s’attaque. Un mythe avant tout romanesque, bien plus "viril" que le précédent, celui de l’aventurier "roi du monde" prêt à faire le coup de poing. Henri Vernes, avec un brio à nul autre pareil, avait su lui conférer cette touche de fantastique dans la lignée des Doc Savage et des Nick Jordan, dont il était le pendant "français", qui faisaient les belles heures de la collection Pocket Marabout dirigée par Jean-Jacques Schellens et Jean-Baptiste Baronian.
Vernes avait envoyé son personnage chasser les dinosaures (bien avant Michael Crichton) ou chanter du Charles Trenet dans le Moyen-âge. Il avait connu des incarnations sous des signatures diverses : Pierre Joubert, Dino Attanaso, Gérald Forton, William Vance, Coria... Un personnage de légende.
Ce sont Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray qui se collent au scénario. Le dessin est de Armand. Ils remettent Robert Morane sous l’uniforme et le balancent en pleine intervention humanitaire au cœur de l’Afrique. Les plus dangereux n’étant pas seulement les génocidaires cinglés à machette : les cols blancs des instances internationales ne sont pas en reste, sans que l’on sache qui des uns et des autres sont les plus meurtriers... L’album s’intitule "Les Terres rares" et est prévu pour octobre 2015.
Le retour de Corentin
Corentin est un de ces personnages dont on croyait le retour improbable. D’abord parce que la série illustrait parfaitement l’incroyable talent de Paul Cuvelier qui changeait de technique presque à chaque volume, quand ce n’était pas dans le même volume. Mais on pardonnait son inconstance : son beau dessin ingriste, tout en sensualité, pouvait-il trouver un jour un digne successeur ? On en doutait.
Et pourtant, Christophe Simon, qui a fait ses dents sur Alix de Jacques Martin, a su convaincre le Lombard -et nous aussi au vu des planches- d’opérer la reprise sur une histoire de... Jean Van Hamme. Le scénariste d’Epoxy et de Corentin (dernière période) se serait remis sur la série de ses débuts ? Pas exactement : c’est une nouvelle qu’il a écrite pour un Tintin Pocket Sélection intitulée : Les Trois perles de Sa-Skya et que Simon adaptera dans un style proche de la période du Signe du Cobra (1969). Paul Cuvelier aboutissait alors à un dessin d’une grande plénitude dont Jacques Martin s’est d’ailleurs beaucoup inspiré. L’album est prévu pour novembre 2015.
Mr Clifton, I presume ?
Moins surprenant est le retour des aventures d’Harold Wilberforce Clifton qui, dès les années 1970, avaient été repris des mains de son créateur, Raymond Macherot, entre-temps passé chez Dupuis. C’est brièvement Jo-ël Azara puis plus durablement Turk & De Groot qui assuraient excellemment l’opération avant de passer la main à Bédu et Michel Rodrigue et de s’achever sur une Balade irlandaise en 2008. C’est encore Zidrou qui revient au pupitre avec le grand retour de Turk au dessin. La chose est prévue en 2016.. By Jove !
Mais ce grand bol de classicisme s’accompagne au Lombard d’un grand vent de modernité. "Nous voulons faire bouger les lignes, nous affranchir des formats" nous dit le directeur éditorial Gauthier Van Meerberck.
De fait, deux voies se dessinent dans le paysage éditorial : celle des "one shots", des ’romans graphiques" où l’on essaie de sortir du lot par une idée originale, un nom ou un titre "vendeur" ou un format inhabituel ; et celui des classiques qui perpétuent des marques à succès, se réassurent auprès d’un public de passionnés et de nostalgiques, tout en réactivant un fonds qui reste une référence incontournable. Entre tradition et modernité, la bande dessinée franco-belge, comme disait Mao Tsé-Toung, marche sur ses deux jambes.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Le directeur éditorial du Lombard Gauthier Van Merbeeck.
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