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Los Angeles, un festival, des BD, et des punks à chien

Par Marlene AGIUS le 27 avril 2022                      Lien  
Le weekend dernier avait lieu à Los Angeles le LA Times Festival of Books, qui décerne notamment le Prix de la meilleure BD parmi une sélection de cinq finalistes. Ce fut l’occasion de rencontrer des auteurs, assister à des panels et dépenser beaucoup d’argent sous 90 degrés Fahrenheit (soit 32°Celsius).

Los Angeles ! Cité des anges, de Hollywood, et des dents parfaitement blanches ! Serait-on tentés de dire, avant de traverser le centre-ville plein de crackheads direction l’Université de Sud-Californie, où se tient le LA Times Festival of Books. Du 22 au 24 avril, l’évènement qui se pâme d’être « le plus gros festival littéraire de l’hémisphère Nord » étend ses tentes blanches sur le campus.

Los Angeles, un festival, des BD, et des punks à chien

Tout le monde connaît San Diego et son Comic-Con gargantuesque, où la BD indépendante est certes récompensée, mais qui reste globalement centré sur la pop culture, les super-héros, mangas, TV et jeux vidéo. Dans ce domaine, Los Angeles est à San Diego ce que le Off du Off est au Festival d’Angoulême. Plusieurs festivals, dont le Comic Arts LA (CALA), se doivent de représenter cette scène dont les pôles les plus iconiques de la ville sont la librairie Skylight Books et les Secret Headquarters.

On y trouve des BD autoproduites, des fanzines et des mini-comics, de la micro-édition d’un peu partout. Mais la BD mise à l’honneur au festival est celle du roman graphique. Cette année, les finalistes furent : Heaven No Hell de Michael DeForge ; The Waiting de Keum Suk Gendry-Kim ; Shadow Life par Hiromi Goto & Ann Xu ; et Stone Fruit de Lee Lai. Le prix a été décerné à R. Kikuo Johnson pour No One Else, une histoire intergénérationnelle dont l’action se déroule dans la ville natale de l’auteur, sur l’île hawaiienne de Maui.

No One Else - R. Kikuo Johnson © Fantagraphics

Les grands représentants de la BD indé californienne sont les Frères Hernandez originaires d’Oxnard, près de Los Angeles. Les lecteurs français les plus aguerris ne manqueront pas de connaître Love & Rockets de Gilbert, Jaime, et très rarement Mario Hernandez - chaque frère ayant son univers particulier. Gilbert Hernandez est plus connu pour avoir créé Palomar, ville fictive latino-américaine, pendant que Jaime Hernandez illustra la scène punk californienne de Hoppers.

© Gilbert Hernandez

Le premier numéro, auto-édité en 1981, sort l’année suivante chez Fantagraphics, qui fête donc cette année le 40e anniversaire de sa sortie. Édités dans le désordre, en premier par les Humanoïdes Associés, puis par Le Seuil, Delcourt, enfin Rackham… les livres des frères Hernandez et de la série Love & Rockets manquent de cohérence éditoriale en France.

En début d’année 2022, Komics Initiative a entrepris de publier l’intégrale, car il semblait important « que cette œuvre majeure de la bande dessinée indépendante américaine soit disponible en français, et ce, dans une édition cohérente et de qualité. ». [1]

Les deux auteurs présents sur le festival pèsent le succès de cette série qui se poursuit depuis des décennies : une fanbase qui portent des T-shirts Love & Rockets les remercient tour à tour d’avoir rendu Oxnard populaire, d’avoir contribué à la culture graphique, de représenter la communauté mexicaine-américaine, et de ne pas être des sell-outs complets, des vendus. Parce qu’une des questions récurrentes des panels de comics est celle de Hollywood. Certains auteurs entament des romans graphiques avec l’idée d’une adaptation en film, et y font les concessions nécessaires.

« Un mec de Hollywood m’a même demandé : "Ah, mais donc ce serait important pour vous que vos personnages latinos soient joués par des acteurs latinos ?" Une adaptation ne sera jamais possible, parce qu’ils ne comprennent pas, parce qu’elle ne sera jamais rentable pour eux. Qui voudra produire un film sur des ’homies’ des années 1970 ? » explique Jaime Hernandez.

Love and Rockets #3 (Summer 1983) - Jaime Hernandez © Fantagraphics

Cette question est aussi abordée par Ezra Clayton Daniels - auteur de Upgrade Soul, album magnifique sur lequel il a travaillé pendant 17 ans (la raison pour laquelle cet album n’a pas encore été traduit en français est un mystère à la hauteur du Triangle des Bermudes), primé, nominé aux Eisner, et dernièrement, le scénariste de BTTM FDRS, avec Ben Passmore. Clayton Daniels crée dans ses livres des personnages de minorités avec pour lointain objectif l’attribution de ces rôles à des acteurs issus de ces mêmes minorités, dans une très hypothétique production filmique. Mais avec des pincettes, à veiller aux sensibilités de chacun, dit l’auteur. C’est difficile. On sent que la question de l’inclusivité fait son chemin, en titubant. Et que si tout le monde déteste Hollywood qui ne pense qu’au fric, c’est aussi parce qu’on a l’envie d’y travailler, et de nombreux scénaristes de BD s’attèlent à la télévision.

Upgrade Soul - Ezra Clayton Daniel © Oni Press
BTTM FDRS - Ezar Clayton Daniels, Ben Passmore © Fantagraphics

À l’entrée du panel de BD de Science Fiction, on nous dit de bien garder nos masques, respecter la distanciation physique, et de garder notre calme en cas de tremblement de terre. Niv Bavarsky y parle de son dernier album, Old Growth, à quatre mains avec Michael Olivo.

Old Growth - Nim Bavarsky, Michael Olivo © Fantagraphics

On est témoins de cette génération d’auteurs qui ont vécu l’implantation du « roman graphique » comme concept et comme genre, qui furent influencés par le format comics, le noir et blanc tranché, les BD alternatives comme Love & Rockets, et s’en sont imprégnés avant de s’en éloigner.

Ron Regé Jr., auteur du récent Halcyon appelle ça la « soupe narrative  » de leur mentalité collective. Ceux-là essayent de se "délier des trames narratives ordinaires pour créer quelque chose de plus fou, de plus coloré".

The Cartoon Utopia - Ron Regé Jr. © Fantagraphics
Ron Regé Jr. (assis), Jordan Crane (milieu)

Parti des Underground Comix, Fantagraphics s’est finalement imposé comme le roi de la BD-roman graphique américaine, concurrencé par les Canadiens Drawn & Quartely. Beaucoup de maisons se sont implantées à Los Angeles : BOOM !, Humanoids, DC Comics, Legendary Comics, Asylum Press,... Mais la scène indé d’auto-productions qui a vu naître Love & Rockets existe encore.

L’unique tente dédiée aux comics.

Le festival a convié un public peu nombreux, mais des lecteurs de tous âges et tous horizons. Pour ce qui est de la production angeline, ce festival est la partie émergée de l’iceberg. Pour trouver le reste, il faudra creuser tout au fond de la ville poussiéreuse, derrière le centre hanté par les drogués poétiques. On en retiendra qu’il y a du potentiel.

(par Marlene AGIUS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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