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Loustal : "Le style de l’écrivain m’importe plus que l’histoire"

Par Nicolas Anspach le 14 octobre 2009                      Lien  
{{Loustal}} adapte une nouvelle de l’écrivain {{Dennis Lehane}}, dont quelques-uns des romans noirs furent portés à l’écran par Clint Eastwood ({Mystic River}), Ben Afleck ({Gone Baby Gone} ou encore prochainement par Martin Scorsese ({Shutter Island}). Excusez du peu ! Avec {Coronado}, Loustal nous plonge dans une glauque et oppressante histoire de gangsters aux liens familiaux tendus entre un père et son fils. Ce dernier tente de retrouver la mémoire.

Un jeune homme sort de prison. Son père vient le chercher dans une Buick Skylark volée, avec de la coke dans la boîte à gants et une pute sur la banquette arrière. L’ex-taulard essaie de retrouver la mémoire. Son père prend une chambre dans un motel et lui offre les services de sa copine. Après tout ce temps passé à l’ombre, il doit bien lui rester pulsions, pense le paternel… Rien n’y fait. En fait, le fiston n’a qu’une seule envie : retrouver Gwen, sa copine. Le père, de son côté, ne pense qu’à remettre la main sur une pierre précieuse qu’ils ont volée ensemble… Le climat entre le père et fils se détériore de plus en plus.

Cette tragédie familiale est mise en images avec brio par Loustal qui a opté pour une mise en image aérée. Chacune des pages de l’album contient au maximum deux cases. Avec le principe de la mise en couleur directe, sur son dessin typé élégant et nerveux, le dessinateur parvient à proposer une singulière intensité dramatique, une fois de plus au service d’un texte, noir et ironique.

Loustal : "Le style de l'écrivain m'importe plus que l'histoire"

Votre arrivée dans la collection Rivages/Casterman/Noir est assez naturelle. Vous avez collaboré avec différents écrivains auparavant…

Oui. J’ai un peu tardé à leur présenter un projet suite à un malentendu. On m’avait dit que le texte des adaptations de romans devait être écrit par des scénaristes. L’idée d’adapter un roman de Rivages Noir était séduisante. Mais je préférais en assumer moi-même l’adaptation, tout en respectant, bien entendu, le rapport entre la bande-dessinée et la littérature. J’ai d’abord opté pour un livre de Barry Gifford qui a beaucoup travaillé avec David Lynch. Mais cela s’est avéré compliqué pour différentes raisons.
L’épouse de Marc Villard qui est critique littéraire, m’a conseillé de lire le recueil de nouvelles de Dennis Lehane. Je l’ai lu et j’y ai retrouvé ce que je recherchais : un texte court qui avait du style. En fait, c’est plutôt la manière dont l’écrivain raconte une histoire qui m’importe. Le contenu du récit m’est moins important.

Cette nouvelle avait deux avantages : Dennis Lehane, lui-même, l’avait adapté – en l’agrémentant- pour une pièce de théâtre. La nouvelle s’appelle « Avant Gwen », ce qui n’est pas un titre percutant pour un livre. J’ai repris celui de la pièce de théâtre, Coronado. Cette pièce mettait en scène trois histoires parallèles, dont celle qui est écrite dans Avant Gwen. Je bénéficiais d’un réservoir de dialogues supplémentaires, écrits par l’auteur lui-même. De plus, cette histoire se déroule en une seule journée et contient pas de nombreux flashes-back qui se déroulent dans des lieux différents. Elle avait tout pour me plaire.

Le schéma narratif court de la nouvelle correspond aussi à votre dessin, à votre mise en scène. Vous privilégiez un dessin épuré.

Une nouvelle permet de dilater l’histoire, et surtout de respecter le texte d’origine, d’en développer les atmosphères. Cette collection m’a également permis d’assouvir un rêve : réaliser une bande dessinée avec deux illustrations par page. Je désirais créer des atmosphères afin que le lecteur entre plus rapidement dans l’histoire. Et puis, le texte narratif qui est inscrit sous l’illustration, offre un lien vers le cinéma. Pour les scènes contenant de nombreux dialogues, j’ai préféré dessiner une grande illustration, prenant toute la page, en y incluant de nombreuses bulles. Plutôt que de dessiner de nombreuses cases, avec des champs, des contre-champs, où l’on doit faire des choix difficiles pour respecter une dynamique.

Extrait de "Coronado"
(c) Loustal, Lehane, Rivages/Casterman/Noir

Les deux personnages principaux, le père et le fils, n’ont finalement pas grand-chose à se dire…

Tout à fait ! Il y avait également un petit côté cinématographique. Les personnages se parlent souvent dans une voiture. On pense aux films de Tarantino. J’ai aussi créé des scènes de digression totale par rapport à l’histoire. Cette histoire le permettait. Je me suis étendu sur un moment qui n’apporte rien de plus à l’histoire. Je songe à la scène où la jeune prostituée explique qu’elle rêve d’écrire des scénarios de blockbusters pour le cinéma. C’est une scène très comique !

Quand vous travaillez avec Charyn ou Coatalem, vous partez aussi du texte original ?

Pour Coatalem, oui ! Les textes existaient. Jérôme Charyn écrit un synopsis. Je dessine alors un story-board et il rédige ensuite les textes, les dialogues. Paringaux me fournit un synopsis très fouillé. Il adapte son texte en fonction de la mise en scène. J’ai une vraie complicité avec ce dernier, car je sais qu’il aura une vraie satisfaction de découvrir son texte dessiné.

N’avez-vous pas ressenti un manque dans le fait de ne pas connaître Dennis Lehane ?

Je l’ai rencontré une fois alors que je travaillais sur Coronado. Je ne lui ai pas montré mon travail. Sa réaction aurait pu me poser des problèmes. Et puis, il s’agit d’une adaptation de l’œuvre d’un auteur qui m’était étranger. Ce n’était pas un ami. Quand, je travaille avec Paringaux et Coatalem, je leur montre mon travail.
Dennis Lehane possède une écriture forte. Dès la première phrase de sa nouvelle, le ton de l’histoire est donné.

C’est un auteur qui a été adapté plusieurs fois au cinéma…

Oui. Je l’ai d’ailleurs découvert grâce au cinéma ! Il y a eu Mystic River et Gone Baby Gone. Denis Lehane est l’écrivain du « Withe Trash » par excellence. Il retranscrit le milieu blanc et pauvre de Boston et des villes avoisinantes. Un autre film m’a influencé pour son esthétisme : Il s’agit d’Another Day In Paradise de Larry Clarck, avec Melanie Griffith et James Woods. Les thèmes sont relativement proches de Coronado. Ce film aborde la relation entre un vieux gangster et un jeune mec…

Comment adapte-t-on une nouvelle ? N’y a-t-il pas eu tout de même un travail de coupe ?

Non. Au contraire, même. J’ai rajouté certaines choses. Quand on met à plat une histoire pour la traduire pour un autre médium, on se rend compte de ses incohérences. J’ai donc rajouté quelques scènes, et développé des scènes qui m’amusaient. Quand je décide d’adapter un texte, c’est qu’il m’amuse et me donne envie de travailler un an dessus. J’ai donc un profond respect pour l’œuvre, pour le texte en lui-même. Ce n’est pas pour rien que je travaille toujours avec des écrivains ! J’adore l’écriture, même si j’ai du mal moi-même à écrire. Cela me submerge tellement que je préfère travailler avec des personnes dont c’est le métier.

Vous pourriez vivre de vos illustrations, de vos peintures. Quel plaisir avez-vous de continuer à publier des BD ?

Mais tout ce qui me ramène à la mise en scène d’une histoire, et au rapport entre l’image et le texte. J’ai l’impression de faire un petit film, sans être embêté par des acteurs et surtout par des producteurs. Pour le texte, j’aime beaucoup utiliser des images légendées. Le rapport entre l’image et la phrase ciblée est importante. La mise en scène me plait : en combien de pages vais-je adapter l’histoire ? Comment la séquencer ? Et puis, bien évidement, il y a le dessin ! Je ne pourrais également pas me passer de voir mes dessins publiés dans des livres.

On assiste actuellement à un rapprochement entre la BD et l’art contemporain. Vous ne voudriez pas abandonner l’une pour aller vers l’autre ?

Non. En France, le milieu de l’art contemporain est parfois un peu hypocrite. Je ne pourrais jamais bénéficier de la considération des galeristes spécialisés au même titre qu’un peintre ou un plasticien. La raison en est simple : je suis auteur de bandes dessinées et illustrateur.
Mais c’est vrai que je suis entre les deux. Des galeries vendent mes peintures, et j’ai besoin de peindre, de faire d’autres choses que de la BD. Quand je n’ai pas une bande dessinée en cours et que je n’ai pas de commande pour des illustrations, je peins. Cela peut être très excitant parce que l’on sent les choses ce jour-là. Mais le lendemain, cela peut être déprimant. Je suis parfois pris par un sentiment « d’à quoi bon … ». Il faut avoir beaucoup de force et d’énergie pour travailler pendant des heures sur une peinture. Je me retrouve assez bien dans ce passage de l’un à l’autre. Entre ces deux médiums, il y a l’illustration. Pour l’instant, on est dépendant du marché. Les revues ne sont pas en bonne santé. Elles réduisent toutes les coûts, et donc le budget qu’elles consacraient à l’illustration. Même le New-Yorker, pour lequel je travaille régulièrement, a réduit ses tarifs à la pige.

En fait, vous aimez naviguer entre tous ces moyens de vous exprimer.

Oui. Récemment, j’ai fais une résidence d’artiste pour la ville de Saint-Gratien. J’ai dessiné une dizaine de paysages urbains au fusain. C’était agréable de représenter cette ville bourgeoise, avec ses maisons napoléonienne. Je viens également de réaliser une série d’illustrations pour un livre sur Boris Vian. Il est tiré à 101 exemplaires, en sérigraphie, et édité par un cercle de bibliophiles. Tout cela fait partie des commandes imprévisibles que j’accepte en fonction des projets.

(c) Loustal, Philippe Van Roy & édition Zanpano

Vous avez travaillé dernièrement sur des photos de Patrick Van Roy mettant en scène Bruxelles.

Oui. C’était une commande des « Petits Papiers » à Bruxelles. J’étais, au départ, assez contre le fait d’associer le dessin et la photographie. Mais j’ai été séduit par les clichés de Patrick Van Roy. C’est le genre de photo que je fais moi-même. Il y a une perfection technique dans le rendu des lumières de ses clichés. J’utilise régulièrement mes photos pour mes dessins. Je les redessine pour les mettre en scène. Ici, il fallait intervenir sur la photographie. Du coup, j’ai utilisé une technique qui m’est inhabituelle : de la gouache. Je n’ai pas voulu ramener le dessin à mon univers et y mettre un personnage. Patrick Van Roy avait photographié des images réelles de décors urbains et bétonnés. J’y ai introduit de la faune et de la flore… Je suis particulièrement content de l’une des images de ce projet artistique.

Quels sont vos prochains grands projets ?

Des dessins de voyage, qui seront édités par une maison d’édition de littérature générale, La Table Ronde. Ce beau livre rassemblera des dessins, des illustrations, des petites peintures que j’ai faites sur différents pays : Vietnam, Écosse, Maroc, etc.
Je vais publier un publier livre de photographies chez Alain Beaulet sur le thème de la voiture. On y retrouvera le même type de voiture que j’ai dessiné dans Coronado. Celle que l’on pouvait voir à la fin des années 1960 aux USA, ou dans des films tels que Macadam à deux voies ou Gran Torino. J’aime beaucoup ce style de voiture. C’est pour cette raison que j’ai modifié la voiture utilisée par le père dans Coronado. Dennis Lehane avait choisi une Dodge moderne. Je préférai mettre en scène une Buick Skylark. J’ai choisi cette voiture pour rendre hommage à Champaka. L’une de mes premières sérigraphies publiées par le label d’Eric Verhoest représentait cette voiture.

Toutes ces photos vous inspirent dans votre travail ?

Oui. Je pense que cela se ressent dans mes dessins, au travers le cadre et la composition. Ce livre rassemblant mes photos de voiture sortira fin octobre. Ce sera le troisième de ce type chez Alain Beaulet. J’aime cette idée de publier aussi des petits livres sans aucune prétention, avec des photos, à un prix réduit. Le premier livre était consacré aux horizons, le deuxième à mes photos argentiques. J’ai envie d’en publier un sur les piscines… Ce type de livre ne demande pas une économie très lourde. Ce n’est pas comme tous ces livres de photographies qui se retrouvent soldés au bout de six mois. Évidemment, le type de papier et l’impression ne sont pas les mêmes.

Les belles américaines photographiées par
Couverture du recceuil de photographies "Cars" - (c) Loustal & Alain Beaulet.

Pas de nouveau projet en bande dessinée ?

Si ! Je vais travailler avec Tonino Benacquista. Nous allons réaliser une vingtaine d’histoires courtes sur un thème commun et finalement peu traité en bande dessinée ou littérature : les histoires d’amour qui se terminent bien. Ce ne sera pas vraiment de la BD, mais plutôt des tableaux. Chaque histoire sera composée de douze images. Nous hésitons encore sur la forme du livre : quatre images par page ou une seule ? Ce livre, qui devrait s’appeler « L’amour, des fois cela marche ». Il sera résolument positif. Cela me changera du Sang des voyous et de Coronado. L’album sortira pour Angoulême 2011. Après, je pense que j’aurai envie de me recentrer un petit temps sur la peinture. Mais si l’envie m’en prend, je peux toujours m’arrêter quelques jours pour peindre durant la réalisation du livre avec Tonino Benacquista. J’ai déjà alterné mon travail pour ces différents arts : une semaine pour la BD, une autre pour la peinture.

(par Nicolas Anspach)

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Loustal, sur ActuaBD, c’est ausis les chroniques de :
- Panoramas, Regards
- Le Sang des Voyoux

Une interview (avec Paringaux) : "Le Sang des voyous est un récit axé sur les errances du personnage (Septembre 2006)

Et des textes d’actualité :

- Loustal à Cherbourg : Clair et obscur (Avril 2008)
- Loustal en clair-obscur à Cherbourg-Octeville (Janvier 2008)

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Lien vers le site officiel de Loustal

Photo (c) Morgan Di Salvia

 
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