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Loustal et Walthéry aux antipodes chez Huberty-Breyne

Par Charles-Louis Detournay le 6 septembre 2020                      Lien  
Alors que les voyages hors d'Europe restent pratiquement interdits, deux grands artistes, Jacques de Loustal et François Walthéry, nous entraînent de l'autre côté, aux antipodes, chacun de leur manière, dans de belles expo-ventes de la Galerie Huberty-Breyne.

Les réceptions des vernissages restent interrompues actuellement, Coronavirus oblige. Les expositions n’en continuent pas de suivre sans se ressembler chez Huberty-Breyne. Après François Boucq qui expose son travail en ce moment dans leur filiale parisienne autour de New York Cannibals, l’un de nos coups de cœur de la rentrée, ce sont deux autres expositions qui ont été inaugurées hier à Bruxelles chez Huberty-Breyne dont le niveau et le talent requis devraient faire se déplacer les amateurs, notamment en raison de leur invitation au voyage dans des contrées qui nous sont pour le moment interdites.

Loustal et Walthéry aux antipodes chez Huberty-Breyne

Walthéry aux îles mélanésiennes

En dépit leur importance dans leur domaine respectif, c’est la première fois qu’Huberty-Breyne et François Walthéry collaborent, mettant ainsi à l’honneur les 50 ans de Natacha. Cette entame est pourtant à la hauteur de nos attentes, car plutôt de montrer les planches encrées du dernier album de l’aventurière dans les îles du Pacifique sud, cette exposition révèle les coulisses de l’oeuvre, en proposant les pages crayonnées de l’auteur, partiellement encrées.

D’apparence mesurée (l’exposition propose la moitié du dernier album, ainsi que quatre planches encrées d’un autre récit), l’amateur ne s’y trompe pourtant pas. Les galeristes et l’auteur ont choisi les planches les plus évocatrices de l’album 23 Sur Les Traces de l’Épervier bleu : celles où les voiliers, la mer et les éléments se déchaînent, mais surtout les scènes où les bagarres et l’action s’enchaînent à un rythme effréné. Sur la base d’un scénario classique de Sirius, Walthéry s’en donne à cœur joie : les coups pleuvent, les personnages crient dans des expressions très travaillées.

Dans d’autres planches, les auteur et galeristes ont tenu à faire un clin d’œil aux premières pages qui paraissaient il y a 50 ans dans Spirou. On y retrouve effectivement toute une longue séquence au sein du village de Mélanésiens, ce qui renvoie au tome 1 de la série Natacha, hôtesse de l’air où notre tandem de héros vit une situation presque identique. À défaut des premières planches, toutes dispersées depuis des lustres, retrouver ce type de confrontation constitue une vraie madeleine de Proust.

Des trésors cachés

En 50 ans, Walthéry a eu bien sûr eu l’occasion de s’améliorer, les planches crayonnées qui nous sont montrées en sont la meilleure démonstration. Affranchi de la contrainte du trait juste, l’auteur se laisse aller en charbonnant à souhait. Aussi généreux dans son dessin que dans la vie, Walthéry ne s’économise donc pas sur ses planches : débarrassé de la ligne claire de l’encrage, l’auteur joue des volumes et des expressions, quelle plénitude !

Enfin, ces planches crayonnés dévoilent quelquefois des petits secrets : Comme Walthéry passe ses journées sur ses planches tout en pensant parfois à autre chose ou en téléphonant, il y note quelques informations, en guise de pense-bête. Et comme Walthéry travaille essentiellement de nuit (une pratique qu’il a héritée chez Peyo il y a plus de 55 ans), ces notes lui permettent de rappeler les intéressés.

Un travail de crayonné magnifique : un combat de traits !

On se prend alors à tenter de décrypter ses quelques lignes : ici, il est question d’appeler Hermann, dans une autre, il veut demander à un journaliste venu l’interviewer le numéro Hugues Dayez. De temps en temps, il note également des répliques complémentaires au scénario de Sirius, des répliques de son cru que l’on retrouve alors à la planche suivante.

On y trouve aussi quelques réflexions, comme cette annotation où il estime que nous vivons dans une époque devenue celle du « fast-food de la bande dessinée » qui implique le fait que chaque album soit vite mis sur le marché, parfois acheté puis lu avant d’être bien souvent oublié. Un mode de production voire de consommation dans laquelle il ne se retrouve pas, lui qui a évolué des années entre Peyo, Franquin, Morris, Roba, Jidéhem, Will et les autres, et qui livrait un album de Natacha en moyenne tous les quatre ans, alors qu’il est publié depuis bientôt soixante ans.

Pour comparer les différences entre les planches crayonnées et encrées, l’exposition présente également en avant-première quatre pages du prochain album du P’tit Bout d’chique à paraître en décembre prochain. Ce joyeux petit garçon vit des aventures qui s’apparentent à celles de François Walthéry enfant au sein de son village natal, près de Liège. Véritables pièces soigneusement choisies, ces quatre pages rassemblent de gigantesques bagarres, d’élégants avions et profite aussi de la présence de Natacha elle-même. Toute la quintessence de l’art de François Walthéry !

Loustal globe-trotter

Si l’autre exposition qui vient d’être inaugurée dans le grand espace de la galerie bruxelloise prolonge ce thème du voyage, le style de Loustal est bien sûr très différent de celui de Walthéry, preuve de l’éclectisme des galeristes Alain Huberty et Marc Breyne.

Le nouveau livre de Loustal "Aux Antipodes"

Souvent les expositions de Loustal suivent une seule thématique. Celle-ci a l’avantage d’être bien plus large : des lieux et des contrées aussi variées qu’éloignées les unes des autres ont été choisis par l’artiste pour générer un bénéfique sentiment de dépaysement. Une ambition qui n’est pas nouvelle chez Loustal, car plusieurs de ses ouvrages précédents tenaient du carnet de voyage. Ainsi, Dessins d’ailleurs (La Table ronde) paru en 2010 qui rassemblait six années de voyages en Égypte, au Vietnam, au Costa Rica, au Canada, en Écosse, au Maroc, en Croatie... Ensuite, Esprits d’ailleurs paru en 2014, toujours chez le même éditeur, contenait les dessins rapportés d’Afrique du Sud, de Tahiti, d’Algérie, de Suisse, du Japon ou de l’Utah.

Pour ce troisième recueil intitulé Aux Antipodes, Jacques de Loustal est parti traquer des images et des atmosphères dans des endroits où il ne pourrait sans doute jamais mettre le pied. Son secret ? Google Earth, avec lequel il s’est donc baladé aux antipodes, traquant tous les petits détails comme s’il était sur le pont d’un brise-glace en train de capturer l’essence de ces lieux inatteignables pour le commun des lecteurs.

Mais Loustal ne puise pas uniquement dans ces images réalistes, il les entremêle ces images avec les souvenirs des gravures exotiques de livres du XIXe siècle qu’il a dévorés, enfant, dans la bibliothèque de ses parents. Le résultat de cette convergence étonne et surprend : le choc visuel est magnifié par la narration de ces anecdotes authentiques qui confronte la force des éléments à la présence plus ou moins tolérée de l’homme, comme en témoigne le frêle esquif présent.

Loustal ne peut se limiter à ces voyages par procuration. Il s’est une fois de plus rendu dans ces lieux hautement évocateurs qu’il fréquente en évitant soigneusement la haute saison, afin que l’afflux des touristes ne vienne pas perturber leurs atmosphères particulières. La Grèce, les Keys, les Îles Canaries, l’Islande, l’Italie, le Brésil où il évoque la réadaptation de jaguars captifs, mais aussi et surtout son superbe voyage en Terre de feu où il retraite ses propres dessins pour mettre en scène un subtil jeu de parallèles entre ses précédentes œuvres sagement figuratives et cette seconde vague, puissante et réaliste.

Les fusains en particulier (une centaine !), réalisés par l’artiste, fascinent par leur diversité. Loustal ne s’est pas limité à une technique comme souvent. Il passe ici de l’huile à l’aquarelle, du trait de pinceau au fusain au gré de ces contrées emblématiques.

Cette invitation au voyage tombe à merveille alors que le confinement continue de restreindre nos déplacements. Il permet de continuer de rêver.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

"Loustal - Aux Antipodes" et "François Walthéry - Sur Les Traces de l’Épervier bleu" à la Huberty & Breyne Gallery de Bruxelles du 5 au 26 septembre 2020.
Place du Châtelain, 33 – 1050 Bruxelles
TEL : +32/2.893.90.30
Mail : contact@hubertybreyne.com
Galerie ouverte du mardi au samedi de 11h à 18h.

Le site de la Galerie Huberty & Breyne

Toutes les photos sont : Charles-Louis Detournay.

 
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