Interviews

Luca Blengino ("7 Merveilles") : « Nous avons cherché à tricher de façon consciente. »

Par Charles-Louis Detournay le 11 juin 2014                      Lien  
Delcourt se lance à l'assaut d'une nouvelle série-concept en dévoilant les sept merveilles du monde antique. Des récits aux angles d'attaque assez différents, qui mêlent romance et histoire. Le scénariste unique de la série nous en révèle les coulisses.

Comment vous est venue l’idée de traiter des 7 Merveilles du monde antique ?

Luca Blengino ("7 Merveilles") : « Nous avons cherché à tricher de façon consciente. » Cela vient de ma passion pour l’Histoire, je crois… l’idée est née un peu par hasard. Je suis plutôt mélomane, et il y a quelque année j’ai commencé à écrire un one-shot qui se passait à l’époque de l’esclavage du peuple juif à Babylone. Ce récit était surtout un hommage à Nabucco, l’opéra que Giuseppe Verdi a réalisée en 1842, tiré lui-même du drame d’Auguste Anicet-Bourgeois.

Pour cet album, j’avais choisi une perspective particulière : le point de vue d’un jardinier au travail dans le célèbre jardin suspendu de Babylone. Page après page, ce lieu légendaire est devenu un élément fondamental du récit, un véritable personnage lui-même, plutôt qu’un simple décor. C’est là que j’ai accroché. Je me suis demandé si ce même rencontre était possible avec les autres merveilles de l’antiquité. J’ai écrit rapidement les pitch des autres six récits…

Avez-vous directement été reçu chez Delcourt ou avez-vous proposé cette idée à d’autres éditeurs ?

J’ai gardé ce dossier pendant des mois. Mais suite à l’insistance de quelque amis auxquels j’avais raconté l’idée, j’ai envoyé le projet à mon éditeur Guy Delcourt, avec qui je travaille depuis presque dix ans. La rapidité et l’enthousiasme avec lesquels ce projet a été accueilli m’a vraiment étonné. J’étais plutôt hésitant, je me disais qu’il était peut-être trop ambitieux et compliqué à réaliser. Eh bien, en peu de jours, j’ai eu le feu vert de tout le monde et j’ai commencé à développer les sept histoires…

La Statue de Zeus

Concernant le choix des dessinateurs, aviez-vous déjà une idée claire des auteurs avec lesquels vous vouliez collaborer ?

La fameuse Statue de Zeus

Trouver les dessinateurs a été long et compliqué. Les personnes qui ont envie de passer deux années de leur vie à dessiner des tuniques, des sandales et des chapiteaux ne sont pas légion ! On avait besoin des dessinateurs formidables et courageux. Mais enfin, nous les avons trouvés. Pour la question du style, j’ai suivi une règle assez simple. J’ai commencé à développer l’histoire de façon plus détaillée seulement après avoir trouvé le bon dessinateur, après avoir connu son style, appris ce qui plus il aimait dessiner aux fins d’exploiter au mieux leurs points de force. Par exemple, Stefano Andreucci, le dessinateur de La Statue de Zeus, se défend superbement avec le traitement de l’anatomie humaine. Cet album est devenu forcement une histoire où le corps humain (le corps masculin surtout) est un élément fondamental : le corps des athlètes pendant les jeux, le corps des hommes pendant toutes les périodes de la vie, le corps de pierre des statues de Phidias…

Comment avez-vous défini l’ordre de parution des albums ?

Tout simplement en fonction de l’avancement des dessinateurs, les sept histoires étant des one-shots totalement indépendants les uns des autres.

Traiter des merveilles est une chose, mais il faut également trouver le bon angle de vue, choisir la bonne date pour placer vos personnages...

J’ai étudié. J’ai lu et j’ai analysé avec attention l’histoire de chacune des Sept Merveilles. Et puis j’ai trouvé la période plus intéressante à mettre en scène pour chacune d’elles. Dans quelques cas, je raconte leur fondation. Dans d’autres, leur destruction. Dans un cas particulier, l’histoire se déroule même avant la construction du monument !

Dans La Statue de Zeus, vous rappelez l’hégémonie d’Athènes, même si dans l’esprit des gens, c’est surtout Sparte qui revient en mémoire. Avez-vous besoin de multiplier les portes d’entrée de chaque récit pour le rendre intéressant ?

Historiquement, dans la période où se déroule le récit, la plus forte rivalité se situait entre la théocratie d’Olympie et la démocratie d’Athènes. Ce qui tombait bien avec mon récit ! Je trouve d’ailleurs que le sujet de ’Sparte’ a déjà été fort travaillé récemment. Enfin, dans cet épisode, on retrouve tout de même un personnage spartiate, mais c’est une présence fugace, délibérément peu développée…

Le Temple d’Artémis

Comment construisez-vous les héros de vos intrigues ?

J’ai cherché surtout des angles de vue originaux. Le protagoniste du premier volume est un homme qui cherche son fils. Celui du deuxième est un jardinier forcé à travailler dans le plus beau jardin du monde… Bref, j’ai toujours cherché à raconter chaque Merveille par un point de vue extérieur : aucun des protagonistes n’est directement impliqué dans sa construction.

Un mot sur l’allumage de la ‘flamme’ des Jeux olympiques, je pensais que les adeptes d’Apollon l’allumait avec une loupe solaire : Est-ce une légende ?

Ah, les célèbres miroirs, on aura l’occasion de parler pendant un des prochains tomes de la série ! Pour la scène de l’inauguration des Jeux, je voulais un quelque chose très simple, tribal, presque barbare. Loin de la vision épique et mystique, qui d’habitude caractérise la représentation des anciens Jeux olympiques dans les œuvres de fiction : la poussière de l’arène, les spectateurs assis sur le bord d’une colline, un taureau égorgé… et un bûcher allumé avec une simple torche !

Les Jardins suspendus de Babylone

On sent que vous avez demandé aux dessinateurs de travailler sur la base de croquis, de photos et de reproductions de sites archéologiques...

Oui, sans doute. Le défi, c’était trouver le juste équilibre entre une réalité historique crédible et les exigences du récit. Parfois, on a triché, d’autres fois, on s’est conformés à une réalité bien documentée. Mais en règle générale, nous n’avons jamais cherché la vérité. Plutôt, la vraisemblance.

Par les notes de fin d’ouvrage, mais même dans les albums eux-mêmes, on sent votre passion de l’Histoire, et la volonté d’expliquer le quotidien de l’époque et du lieu traités...

Je ne suis pas historien, tout simplement un amateur. Je ne suis donc pas qualifié pour réaliser des monographies didactiques. Avec chaque dessinateur, nous faisons pourtant de notre mieux pour donner une reconstruction vraisemblable de chaque époque, tout en soumettant la réalité historique aux exigences du récit, que cela soit du point de vue narratif ou esthétique.

Récemment, un historien, lecteur du premier album, m’a fait remarquer, à juste titre, que la célèbre couronne de laurier en réalité n’était pas utilisée dans les Jeux olympiques, mais plutôt dans ceux de l’Attique. Je connaissais ce détail, mais j’ai gardé la couronne pour sa puissance symbolique dans l’imaginaire des lecteurs (il aurait été un peu bizarre de raconter les Olympiades sans la célèbre couronne de laurier, même si c’est un faux). Dans une autre page du tome 1, on peut observer des bougies allumées, ce qui n’existait naturellement pas à l’époque ! Mais nous les avons utilisées pour éclairer une scène de façon suggestive… Je pourrais continuer à multiplier les exemples d’entorses à l’Histoire, recompter ces détails. Bref, disons que nous avons cherché à tricher de façon consciente, sans jamais oublier que ces albums sont avant tout des œuvres de fiction.

La Statue de Zeus

Alors que La Statue de Zeus évoque plusieurs destins, Les Jardins de Babylone restent concentrés sur personnage principal. Pourquoi cette différence de traitement ?

Un autre défi que je me suis posé, a été d’écrire sept histoires… très très différentes entre elles. Du point de vue des thématiques, dans le style, dans le rythme... Je suis content que le lecteur puisse ressentir cette différence. Le troisième épisode sera d’ailleurs focalisé sur le contraste et l’amitié entre deux personnages au caractère très fort. Chaque fois, j’ai cherché une formule un peu différente, pour également exploiter au mieux les capacités narratives de chaque dessinateur.

N’était-il pas plus compliqué de trouver des documents sur Babylone que sur Olympie ?

Du côté archéologique, Babylone est assez documentée. Disons qui a été plus difficile de trouver de la documentation sur le Jardin suspendu lui-même. Parmi les Sept Merveilles, c’est la seule dont il ne reste plus la moindre trace ! Peut-être aussi qui c’était juste une légende, puisqu’aucune source contemporaine à Nabuchodonosor n’en parle vraiment. Encore aujourd’hui les historiens et les archéologues se demandent si ce lieu a jamais vraiment existé…

Le Phare d’Alexandrie

Vous mêlez au récit de Babylone, l’histoire des Juifs. Fallait-il donner cette dimension au récit ?

Oui, bien sûr. Mais plus que de religion, j’ai essayé de revenir sur le clash culturel entre ces deux peuples et leurs traditions si différentes, les Juifs et les Chaldéens, forcés à vivre dans la même ville, les premiers en tant qu’esclaves, les deuxièmes comme leurs maîtres.

Pouvez-vous déjà nous dire un mot sur les prochains albums à paraître ?

Le Tome 3 est une véritable Spy Story, qui se déroule à Alexandrie d’Égypte à l’époque de Ptolémée II. C’est un récit plein d’action, car je voulais mettre en scène une sorte de Piège de Cristal, mais avec le Phare d’Alexandrie au lieu du gratte-ciel de la Nakatomi Plaza... Cela convient « merveilleusement » bien au style de Tommaso Bennato, qui est un virtuose du découpage et qui a réalisé des séquences d’action formidables.

Le quatrième épisode sera plus comique et joyeux, car il met en scène deux pauvres escrocs qui se faufilent dans le temple d’Artémis à Éphèse, en se déguisant en deux haut-prêtres. Ce n’est pas par hasard que j’ai demandé la collaboration de mon ami Antonio Sarchione, car j’ai toujours vu en lui un fort potentiel ironique.

Le cinquième récit, réalisé par l’artiste brésilien Carlos Magno de Oliveira, sera par contre un thriller avec des nuances horrifiques et surnaturelles. Il se déroulera dans les viscères de la Grande Pyramide de Gizeh. Je vous promets encore quelques surprises à venir !

Un extrait du récit traitant de la Grand Pyramide

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Des 7 Merveilles, commander
- La Statue de Zeus chez Amazon ou à la FNAC
- Les Jardins de Babylone chez Amazon ou à la FNAC

Découvrir le site internet de la série

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Charles-Louis Detournay  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD