Alors que paraît le dernier opus signé Gerra et Achdé, L’homme de Washington (Lucky Comics), Dupuis entame la réédition de l’œuvre d’origine de Morris. Le moment pour redécouvrir un classique.
Quand on feuillète les premières pages du premier volume de L’Intégrale Lucky Luke 1946-1949 (Dupuis), une première évidence saute aux yeux : Morris invente un univers dédié au cinéma d’animation. Il faut dire qu’il sort à ce moment des studios belges de dessins animés CBA, où il travaillait avec Franquin, Paape et Peyo [1] . Comme ces nombreux projets d’après-guerre d’une Europe qui se reconstruit et où tout espoir est permis (qui ne rêvait d’être le « Disney européen » ?), l’affaire capote. Morris rebondit aussitôt en publiant son Lucky Luke dans Spirou (1946), un hebdomadaire publié par Dupuis, l’éditeur du Moustique pour lequel le dessinateur fait déjà des illustrations depuis deux ans. C’est parfaitement formaté : l’humour est ce que recherche Charles Dupuis pour positionner son hebdomadaire ; le western, notamment popularisé par La chevauchée fantastique de John Ford (1939), est un des genres favoris de la jeunesse à ce moment-là, idéalisé dans la pratique scoute.
L’autre évidence est l’habileté de l’artiste. L’encreur des studios CBA sait manier le pinceau comme personne. Et même si certaines séquences montrent une maladresse narrative (il se fait même aider, dans l’une d’entre elles, la bataille dans le saloon, par un certain Jijé), artistiquement, le trait est bien au-dessus de celui de certains de ses jeunes contemporains, Franquin et Peyo inclus.
Mais la vraie maîtrise réside dans sa connaissance du sujet : Morris a habité les États-Unis entre août 1948 et décembre 1954. Sa parodie du western est fine et en parfaite intelligence avec les mœurs et l’histoire des États-Unis. C’est d’ailleurs à New York qu’il rencontre un certain René Goscinny arrivé d’Argentine. Les deux hommes ne se quitteront plus à partir du 11ème tome de la saga jusqu’à la disparition du scénariste en 1977. La qualité unique du duo est de parler en connaissance de cause, sans forcer le trait par des anachronismes tapageurs, avec élégance et professionnalisme. C’est assurément un des sommets de la bande dessinée franco-belge dont on regrette juste qu’il ne soit pas contextualisé, comme c’est le cas pour les intégrales de Spirou ou de Johan & Pirlouit par exemple.
Le tandem Goscinny-Morris finira par réaliser le rêve du jeune encreur de dessins animés. En 1971, Raymond Leblanc, le concurrent de Dupuis, produira chez Belvision, Daisy Town, réalisé par Morris, Goscinny et Pierre Tchernia. C’est le début d’une aventure qui permet à Morris d’accomplir un de ses rêves de jeunesse.
Depuis, le « Lonesome Cow Boy » n’a pour ainsi dire jamais quitté l’écran. Un film live est programmé pour le 21 octobre 2009 avec Jean Dujardin dans le rôle-titre, Michaël Youn dans celui de Billy The Kid, Daniel Prévost dans le rôle de Pat Poker et Sylvie Testud dans celui de Calamity Jane ! C’est James Huth (Brice de Nice) qui tient la caméra.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Cf. "Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé", par Philippe Capart et Erwin Dejasse. Lire notre chronique.
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