C’est que Lucky Luke a une méga notoriété en Turquie. Plus importante même que Astérix, Tintin ou Mickey. La raison ? Une diffusion massive de ses aventures à la télé dans les années 1980 et surtout un piratage de chaque instant avant que la Turquie ne signe la Convention de Berne dans les années 1990.
Si son apparition a eu lieu en 1956 pour la première fois en Turquie dans le magazine satirique Dolmuş, édité par le célèbre dessinateur Turhan Selçuk, le créateur du fameux Abdülcanbaz, avec respect et probablement de façon légale, il n’en est pas de même entre 1959 et 1961 où les aventures de Lucky Luke sont publiées aux côtés d’autres bandes dessinées (notamment d’origine italienne), en petits formats fascicules noir et blanc de 32 pages aux éditions Bilgi avec les premières traductions de Ali Öndeş. Mais comme à l’époque les scanners domestiques n’existaient pas, ces productions pirates sont des copies en noir et blanc entièrement redessinées à partir des albums originaux !
La voie officielle cohabite avec les pirates puisqu’en 1962, Lucky Luke sera republié avec ses dessins originaux dans l’hebdomadaire Arkadaş des éditions Karaca qui en a acquis les droits. Les trois histoires publiées dans cette édition paraissent l’année suivante sous forme d’albums couleurs en grand format et de très bonne qualité. Dès 1969, le nom original « Lucky Luke » est ajouté au logo « Red Kit » sur toutes les publications.
Les pirates du cow-boy continuent à prospérer sous des formats divers en parallèle dans de nombreuses maisons d’édition comme les éditions Yurdagül (1962-1963), les frères Şakrak, Bilge et Asim, qui se font ainsi concurrence entre 1965 et 1971 ou encore les éditions Şilliler en 1974 et ce, jusque la fin des années 1980. Les éditions Nil publient pendant les années 1980 des petits formats en grand nombre tandis que les années 1990 voient aussi apparaître Lucky Luke dans une série éducative des éditions Gelişim.
À partir des années 1990, les choses se régularisent, la série passant successivement sous les bannières de Milliyet, de Inkilap puis de Yapɪ Kredi. Plus de 70 albums ont été publiés chez ce dernier éditeur, organisateur de cette présente expo.
L’amusant, c’est que pour les Turcs, Lucky Luke n’a pu être créé que par un auteur turc ! Il existe de nombreux blogs et sites web dédiés au personnage et même une page Facebook « Les Fans Turcs de Red Kit » et son fidèle destrier s’appelle Düdül : " Bien que cette traduction perde dans son sens l’idée de « joie » que Morris lui avait donné en nommant le fidèle cheval Jolly Jumper, nous explique Canan Marasligil, traductrice de son état et co-organistarice du Festival Istanbulles, Düldül a d’autres significations en turc. C’est le nom de la montagne Düldül dans le Sud-Est du pays où le prophète Ali aurait galopé avec son cheval du même nom. Le mot düldül, dans son usage commun, désigne d’ailleurs un cheval, ou encore une voiture démodée ou ancienne. Bel et bien ancré dans les esprits des lecteurs de Red Kit un très grand nombre de la population turque a qui vous poserez la question « qui est Düldül ? » vous répondra sans doute « Mais le cheval de Red Kit, pardi ! »"
Le plus incroyable dans cette aventure turque de Lucky Luke est son parcours cinématographique. Alors que Morris & Goscinny ne voient leur personnage à l’écran qu’à partir de 1971 avec le dessin animé de Belvision, les Turcs quant à eux avaient déjà tiré plus vite que l’ombre du cow-boy : En 1967, ils lancent la toute première adaptation cinématographique de Lucky Luke : Çifte Tabancalı Damat (Le Gendre à double feu, réal. Nuri Ergün). Ce film en noir et blanc présente l’acteur principal Öztürk Serengil qui rêve qu’il est Red Kit et court d’aventures en aventures dans le Far West. En 1971, c’est au tour de İzzet Günay d’incarner Red Kit et de se battre contre les frères Dalton. En 1974 c’est la star Sadri Alışık qui incarne le cow-boy dans Atını Seven Kovboy (Le cowboy qui aimait son cheval, réal. Aram Gülyüz). Depuis ces versions pirates, les utilisations de Lucky Luke relèvent plutôt de la parodie, comme dans le dernier film de Cem Yılmaz, Yahşi Batı, où Lucky Luke croise le héros ottoman du film dans un bureau de poste et se voit offrir un “çay” par le facteur.
Si vous passez par Istanbul, notamment à l’occasion du Festival Istanbulles (du 21 au 27 mai 2012, nous vous en reparlerons), allez voir cette exposition singulière en plein cœur du centre touristique de la Sublime Porte.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Médaillon : Pour l’affiche, Achdé a réalisé un dessin original.
Cet article doit beaucoup aux travaux de Levent Cantek et Canan Marasligil, qu’ils soient ici remerciés.
INFOS PRATIQUES
Dates : 10.05 > 10.06.2012
Lieu : Yapı Kredi Kültür Merkezi - İstiklal Caddesi No : 161-161A - 34433, Beyoğlu, İstanbul
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