MFK 2 : Vinz et Lino reprennent la route !

Après les événements de Dark Meat City, Vinz et Lino font profil bas. Lino est passé de livreur de pizzas en mob à livreur de sushi en scoot, et Vinz zone toujours à l’appart 777 entre deux jobs miteux : les voilà de retour dans leur quotidien de losers après avoir sauvé le monde.

Et depuis, le monde a bien changé. Dark Meat City s’est pacifiée et même gentrifiée (saloperie de bobos), après Gore Tex c’est Oprah Washington, une femme noire, qui a pris place à la maison blanche et les délires conspirationnistes se répandent sur Twitter comme une trainée de poudre, exacerbant les tensions d’une société déjà bien en crise. Vous avez dit fiction ?

Un groupe fanatisé par un pseudo-lanceur d’alerte décide un jour d’attaquer le restaurant où travaille Lino pour "retrouver et sauver les enfants enfermés dans les caves des restaurants asiats". Notre héros se retrouve à nouveau plongé dans la spirale de la violence et de la fuite. Et comme d’hab, il entraîne dans son sillage une cascade d’événements aux conséquences qui le dépassent…

OUI !!! Mais...

Mutafukaz construisait pour partie son succès et sa qualité sur sa capacité à parodier finement la société américaine et les codes du divertissement occidental, de Hollywood à YouTube, des médias télévisés aux jeux de pouvoirs politiques. Cette disposition à se saisir du réel et à le rehausser d’un ou deux degrés pour divertir, faire rire et réfléchir, constituait l’essence même de Mutafukaz. Il en va donc de même avec MFK 2, avec cependant un problème de taille : le réel paraît lui-même déjà trop parodique.

Après le mandat de Trump, à l’ère du Covid, de Q-Anon et des théories du complot aussi farfelues qu’effrayantes, le réel semble déjà enfoncé jusqu’au cou dans la parodie. Et de fait, il n’est matériellement pas possible pour Run de rehausser d’un ou deux degrés la bêtise de Trump (Krupp dans le récit, mais on ne les confond que trop), l’idiotie des conspirationnistes de Q-Anon (Omega dans le récit), la connerie des vendeurs de fausse vérité, qu’ils soient présentateurs de télé ou vendeurs de camping-car. Voilà pourquoi à la lecture, ce MFK 2 parait manquer d’un peu de subtilité dans sa parodie, là où son aîné trouvait un équilibre parfait (et le mot est pesé).

À la lecture des faux Tweets du faux Trump et du faux Q, on trouve l’intention trop grossière, too much. Jusqu’à ce qu’on réalise qu’en fait, pour une fois, Run ne parodie pas le moins du monde : il reproduit presque mot pour mot. Et de passer du rire aux larmes : le réel a rattrapé la fiction de Mutafukaz, aïe.

Il n’en reste que Run est un maître de la narration, que son univers est passionnant et bien construit, que ses personnages sont attachants au possible. Replonger dans l’aventure aux côtés de Vinz et Lino fait un bien fou. Cette suite, à l’instar des spin-off de la série mère comme Loba Loca ou Mutafukaz 1886, est à la hauteur de l’ambition et des attentes, et ne vient pas ternir l’héritage de Mutafukaz. Rien que pour ça, chapeau Run.

L’album n’est, bien sûr, pas exempt de défauts. Outre la "lourdeur" de son imitation du présent (dont on ne tient aucune rigueur à l’auteur, mais qui est bien la faute de notre assez pathétique réel comme on l’a expliqué), le récit met un peu de temps à se lancer, et la synergie entre Vinz et Lino semble moins instinctive que dans la série principale. Un point qui sera sans doute évoqué dans la suite (on espère), comme l’évolution d’une relation entre deux jeunes adultes paumés devenus deux grands adultes paumés.

Le dessin est toujours impeccable, l’univers regorge de clins d’œil visuels hilarants que seuls les membres de la Génération Z saisiront (David Goodenough, McFly & Carlito... on vous laisse trouver les autres) et l’action est toujours aussi bien menée, particulièrement la première séquence dans le restaurant de sushis, petit bijou d’action hollywoodienne survoltée.

La recette fonctionne, la sauce prend et le chef Run nous régale autant avec ce premier tome de MFK 2 qu’il a pu le faire avec son premier-né. On rigole un poil moins et on se crispe un poil plus, la faute à un réel qui laisse de moins en moins de place à la parodie, mais même dans cet espace de plus en plus restreint, le boss du label 619 excelle. Tant mieux, et longue vie à Vinz et Lino !