BD d’Asie

MW - Textes et dessins d’Osamu Tezuka - Editions Tonkam

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 juillet 2004                      Lien  
Nous avons souvent donné ici un compte-rendu enthousiaste des œuvres d'Osamu Tezuka que les Japonais surnomment, avec raison, « le Dieu des mangas ». Ce n'est pas la publication récente de « MW », un chef-d'œuvre de pertinence et de modernité, qui devrait nous faire changer d'avis.

MW raconte la relation très particulière entre un prêtre japonais, le père Garaï, et son amant, Yuki, un tueur pervers d’une grande audace et d’une pénétrante intelligence. Leur relation est ancienne : Yuki était encore enfant lorsque Garaï, un jeune voyou en rupture avec son milieu, attira le jeune garçon dans une grotte. Ils y passèrent la nuit. Ce « péché originel » lie les deux hommes entre eux. Il est aussi ce qui les sauve : pendant leur séjour dans la grotte, un gaz mortel mis au point par les occupants américains (le Japon est alors sous la domination des Alliés) tue la totalité des habitants de l’île d’Okinomabune qui les abrite.

Enfuis à Tokyo, les deux hommes poursuivent le cours de leur existence : Garaï entre dans les ordres ; Yuki mène une double vie : employé de banque modèle et plein d’avenir, il est également un tueur aussi impitoyable qu’immoral. A chacun de ses crimes, il se confesse auprès de son « directeur de conscience » qui ne dirige plus rien, hélas, ni ses pulsions, ni ses remords. Lié par le secret de la confession, il est cependant le spectateur obligé des crimes de son amant. Celui-ci en rajoute dans l’odieux, allant jusqu’à violer puis à soumettre une jeune femme miraculée grâce au père Garaï qui boit ainsi jusqu’à la lie le calice de l’infamie.

Un art de la citation

Le contraste entre le désir de pureté contrarié du prêtre et la figure diabolique de Yuki est saisissant. L’un comme l’autre ont soif d’absolu. Le désir de rédemption de Garaï n’a d’égal que la soif de vengeance de Yuki qui organise ses crimes pour détruire un à un les responsables du meurtre collectif d’Okinomabune qu’une brochette de politiciens corrompus à la botte du gouvernement d’occupation à réussi à étouffer. Pour garder le secret, ils n’hésitent d’ailleurs pas à supprimer un journaliste arrivé trop près de la vérité.

A lire cette série qui se complaît dans l’ambiguïté et la noirceur, on pense à Oscar Wilde, au Portrait de Dorian Gray. Et on fait bien : l’écrivain irlandais est directement cité lorsque, alors que les deux amants font l’amour, Tezuka reproduit fidèlement les dessins d’Aubrey Beardsley, un illustrateur anglais mort à 25 ans, auquel Oscar Wilde confia en 1893 l’illustration de la version anglaise de Salomé, un drame en un acte (écrit directement en français) et qui fit un scandale retentissant lors sa publication deux ans à peine avant que le poète ne soit condamné pour sodomie.

Comme pour Ayako dans lequel le génial mangaka évoque un inceste familial, l’homosexualité du héros est abordée avec tact. Tezuka écrit même, dans cette BD en trois volumes publiée dans le magazine Big Comics de Shogagkukan du 10 septembre 1976 au 25 janvier 1978, que sur ces questions, les Japonais ont un point de vue arriéré. Les travestissements répétés du héros font allusion bien entendu à l’art du Kabuki dont les rôles féminins ne sont tenus que par des hommes.

Par ce faisceau de références allusives, Tezuka met le lecteur face à ses propres ambiguïtés. Celle par exemple qui lui permet d’avoir, comme le père Garaï, un sentiment d’empathie pour Yuki, alors que tout démontre qu’il n’est qu’un monstre.

MW - Textes et dessins d'Osamu Tezuka - Editions Tonkam
MW
d’Osamu Tezuka chez Tonkam. (c) Tezuka Productions.
Dessin d’Aubrey Beardsley (1893)
pour le Salomé d’Oscar Wilde. DR.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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