Albums

Ma vie de réac - Par M. Navarro - Dargaud

Par Tristan MARTINE le 27 septembre 2016                      Lien  
La vie et l’avis d’un réac. Fruit d'une publication issue du blog de Morgan Navarro sur le portail du quotidien "Le Monde" qui comptabilise pas moins de 30.000 visiteurs uniques mensuels, l'exercice s'avère Intéressant, à défaut d’être toujours désopilant.

Le site du quotidien Le Monde accueille plusieurs blogs de bande dessinée, qui devant leur succès (30.000 visiteurs mensuels pour Ma vie de réac), sont de plus en repris en albums.

Nous avions déjà évoqué Une année au lycée, blog de F. Erre présentant un professeur de gauche. Cette fois-ci, c’est à peu près l’inverse, puisque le personnage que l’on suit est une espèce d’anar’ de droite désabusé.

Ma vie de réac - Par M. Navarro - Dargaud

Il s’agit surtout, comme l’indique clairement le titre, d’un vrai réactionnaire, énervé par à peu près tout, de la multiplication des fèves dans les galettes des rois pour ne pas attrister les enfants, aux élèves satisfaits d’un 15/20, en passant par le mariage homosexuel et jusqu’aux épiceries aux horaires d’ouverture trop restreintes et à l’utilisation adverbiale de « juste ». Bref, notre monde est fait d’assistés, ne voulant plus travailler, obsédés par la médiocrité et fuyant l’excellence et l’exigence. Les bobos, les musulmans, les homosexuels, les féministes, les militants, les adolescents mal élevés, les adultes refusant de vieillir… autant de cibles de cet « hétéro-mâle-blanc-catholique ».


Morgan Navarro, qui a longtemps travaillé pour le magazine Ferraille, qui a publié Flipper le Flippé et dont Les Voyages de Teddy Beat avait reçu en 2011 le prix de l’audace à Angoulême, nous livre un album teinté d’humour noir et pince-sans-rire, à la manière d’un Gaspard Proust. Nuit debout, Charlie hebdo, attentats du Bataclan, commémorations de Verdun, toute l’actualité passe à la moulinette réactionnaire. Si cela fait sens dans un blog, ces réactions à chaud aux évènements passent parfois moins bien une fois imprimées quelques mois plus tard, et plus globalement c’est l’éternel problème de l’écueil de la mise en recueil de posts de blog qui se repose.


Mais le véritable problème n’est pas là. Il est plutôt dans la question de savoir si cette bande dessinée veut faire passer un message, ou non, et sur la manière dont nous pouvons le recevoir. En un mot, est-ce du lard ou du cochon (non halal) ? Le personnage mis en scène porte le nom de l’auteur, Morgan Navarro, mais on se rend vite compte (ou l’on croit vite se rendre compte) que l’auteur s’amuse avec son homonyme de papier. Certaines planches, sous prétexte d’iconoclasme osé, enfoncent en réalité des portes ouvertes, quand d’autres posent des questions qui poussent le lecteur à s’interroger sur lui-même et sur ses propres opinions. Rit-on de telle planche parce que nous trouvons Morgan Navarro ridicule ? Rit-on car nous sommes d’accord avec lui et trouvons ridicule ce que lui aussi trouve ridicule ? Même si, quand il essaye de montrer que « c’était mieux avant » à partir d’une photo floue de 1925, c’est clairement de lui que l’on se moque, bien souvent, la réponse se situe entre ces deux extrêmes. Sa femme se moque elle-même de son cynisme et son entourage se demande ce qui relève de sa pensée et ce qui n’est que provocation. On s’interroge également. En cette période où les ouvrages d’E. Zemmour se vendent si bien, cette bande dessinée doit-elle être vue comme la petite sœur d’Un quinquennat pour rien ou de Le Suicide français, les derniers essais d’E. Zemmour, ou comme une cousine éloignée adepte du second (voire du dixième) degré ?


D’un point de vue purement littéraire, l’album est assez inégal. Certaines sentences cyniques, qui peuvent rappeler Cioran, font mouche : ainsi, quand il entend à la radio « J’ai encore envie de rêver à un monde sans inégalités », Morgan répond « Ben, ça existe déjà, ça s’appelle la mort. ». Mais certains gags tombent réellement complètement à plat, comme celui où le personnage central va voir la principale du collège de ses enfants pour s’insurger contre l’autorisation des smartphones dans l’enceinte scolaire. Ici, il y a un vrai message, une vraie idée (avec laquelle on est, ou pas, d’accord), mais justement, tel est le problème : on est dans une planche descriptive, argumentative, peut-être, mais pas comique. Le dessin, très expressif, est, lui, extrêmement lisible et servi par une palette de couleurs limitée qui permet de se concentrer sur le propos.


« Morgan Navarro aborde avec audace les contradictions de notre société contemporaine. Hilarant et grinçant, il met en scène tout ce que vous ne pouvez exprimer tout haut mais que vous pensez tout bas… » annonce la quatrième de couverture. Cette dernière phrase rappelle fâcheusement de récents slogans politiques, mais le fait est qu’à défaut d’être réellement audacieux et hilarant, cet album grinçant vous fera sourire, parfois, et réfléchir, souvent.

(par Tristan MARTINE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 978-220507514

Commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC

Dargaud
 
Participez à la discussion
3 Messages :
  • Il faut arrêter de penser que tous les auteurs de BD sont de gauche, Morgan Navarro, Christian Rossi, Mr Le Chien ou Hermann sont réacs et l’assument. Ca s’appelle la pluralité.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Polo le 29 septembre 2016 à  09:12 :

      Ils sont d’autant plus précieux qu’ils sont rares :-)

      Répondre à ce message

      • Répondu par Zot ! le 29 septembre 2016 à  16:29 :

        Sympa à lire en blog, gratuit ! Un peu moins compilé en album payant, car assez répétitif et sans le soutien de l’actualité.

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Tristan MARTINE  
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD