Or donc, le 29 septembre 1964, dans l’hebdomadaire Primera Plana de Buenos Aires, apparaît pour la première fois une petite fille courtaude aux cheveux noirs envahissants, un peu naïve, mais au bon sens décidément incisif, en particulier quand il s’agit d’éradiquer la soupe du menu : "La soupe est à l’enfance ce que le communisme est à la démocratie", dit-elle.
Mais ce n’est vraiment que quelques mois plus tard, dans le quotidien El Mundo le 15 mars 1965, que la success story commence vraiment. Sa bande est reprise par de nombreux quotidiens de province et sa proximité avec l’actualité va en faire un commentateur éclairé de l’actualité, tout en n’ayant pas trop l’air d’y toucher : la politique est un gros mot, en particulier depuis l’arrivée de la dictature en Argentine... Nous ne sommes pas loin du modèle Peanuts, ni des futurs Calvin & Hobbes, dans ces saynètes philosophiques qui rebondissent sur l’état du monde qui, à cette époque de Guerre du Viêt-Nam, "a mal à l’Asie".
On y trouve un humour enclin à la déconstruction post-moderne : Mafalda suggère le vocable de "dilettante" à la place de "sous-développé", et aux thèmes de plus en plus contemporains comme l’écologie, la remise en cause de la course aux armements, l’équilibre entre les grandes puissances et ce qu’on appelait alors "le Tiers-Monde"...
Comme le remarque très bien Umberto Eco, auteur de la préface de cet ouvrage, Mafalda est plus anticonformiste que contestataire. Elle est "l’anti-Charlie Brown" du simple fait qu’elle est argentine. La seule chose dont on est sûr en matière de politique, c’est qu’elle n’est pas contente : "En Mafalda, analyse Eco, se reflètent les tendances d’une jeunesse inquiète sous la fore paradoxale d’une réprobation infantile, d’un eczéma psychologique de réaction aux mass media, d’une urticaire morale provoquée par la logique des blocs, d’un asthme intellectuel causé par le champignon atomique..."
Quel dommage que Quino ait décidé d’arrêter les aventures de son héroïne dix ans après sa création pour ne se consacrer qu’au dessin d’humour : elle nous aurait régalé par ses remarques malignes sur l’usage de FaceBook, Twitter, YouTube ou WhatsApp...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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